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Actualités - CHRONOLOGIE

L'immobilité tendue de Tran Anh Hung

Pour tout cinéaste qui se respecte, et Tran Anh Hung en est un, composer une image est «quelque chose de sérieux, de grave» et il est indéniable que cette concentration créatrice se retrouve dans «À la verticale de l’été», présenté à Cannes dans la section «Un Certain regard». «Dans l’absolu, je souhaite créer des icônes et je voudrais que l’image cinématographique ait la force et la pérennité des images religieuses», a-t-il dit à Reuters. L’image n’est pas «quelque chose que je fais volontiers», poursuit- il. «C’est au moment de faire la scène que l’image se découvre, alors le moment est grave. L’équipe le sait très bien et il règne sur le plateau un silence quasi-religieux». À la verticale de l’été : le titre lui-même est tout un programme. Tran Anh Hung, réalisateur de L’odeur de la papaye verte et de Cyclo (Lion d’or à Venise en 1995), avoue ne pas connaître la signification réelle. Il lui a été inspiré par un haïku japonais et «reflète une sensation», par exemple celle de la pluie. Le scénario tourne autour de trois femmes, trois sœurs, trois étapes de la vie amoureuse d’une femme. La sœur cadette Lien (Tran Nu Yen Khe) veut se trouver un mari qui soit l’image fidèle de son frère, acteur, pour lequel elle entretient un amour qui n’est pas sans ambiguïté. La deuxième sœur, Khanh (Le Khanh), vient de se marier. «Elle connaît le moment le plus lumineux du couple», dit Tran Anh Hung. Pourtant son mari, écrivain, est près de la tromper. La troisième, Suong (Nguyen Nhu Quynh), «connaît les problèmes qui se posent au couple avec la durée». Son époux, un photographe, a une autre femme et un enfant. L’action – si l’on peut dire – s’étale sur un mois, au terme duquel chacun coupe court aux déceptions, aux soupçons et aux dissimulations et révèle ses vérités. Ce mois débute par l’anniversaire de la mort de la mère et se clôt sur celui de la mort du père. C’est ainsi : au Vietnam, on ne célèbre pas les anniversaires du vivant des gens et ce culte mortuaire est le plus ancien du Vietnam, avant même l’arrivée du bouddhisme, précise Tran. À l’exemple d’un Edward Yang, Tran Anh Hung a l’objectif délicat. Le dénouement d’une scène est souvent elliptique; les grondements intérieurs ne sont trahis le plus souvent que par une savante combinaison de gestes, de mouvements de caméra et de cadrages. Tran y ajoute un sens de la composition qui n’est rien moins que pictural. Outre les gens, les lieux aussi participent de l’ambiance. Surtout, Tran voulait absolument filmer à Hanoi. Forme et intériorité «Dès qu’on arrive à Hanoi, on perçoit d’emblée cette douceur étonnante. C’est une ville lente, sensuelle, très intime, et tout cela est immédiatement perceptible», affirme-t-il. Arrivé à Paris en 1975, à l’âge de 12 ans, Tran Anh Hung est né à My-tho, une ville proche de Saigon. Mais il se dit «beaucoup plus lié à Hanoi». «C’est, il me semble, ce qui manque à cette vie surchargée de tout ce que nous menons : trouver un lieu où existe la possibilité d’une harmonie. Ce lieu, je l’ai trouvé à Hanoi et j’ai voulu en tirer un film. “Cyclo” parlait d’un pays en pleine métamorphose alors qu’ici, je pars à la recherche d’une forme liée à la possibilité du bonheur, à la recherche d’une harmonie». Tran ne peut aisément discerner quels peuvent être les apports respectifs de sa double culture française et vietnamienne mais, précise-t-il, «si j’écris une histoire se passant au Vietnam, je veux l’écrire en France, pas là-bas. L’écrire en France me procure une distance et permet ultérieurement une confrontation de la réalité avec celle que j’ai pu fantasmer». Cette exigence formelle qui crève les yeux à l’écran n’est pas là que pour faire jolie. «Seule la forme permet de faire ressortir l’intériorité», dit encore Tran Anh Hung, peau mate et tête de bonze, au physique frêle mais au visage dont la placidité ne parvient pas à dissimuler une vive énergie intérieure, peut-être brutale parfois. «Il me faut trouver une forme qui permette de créer des espaces que peut investir le spectateur avec sa propre intériorité; ce faisant, il a le temps de s’écouter lui-même, de laisser venir les réminiscences – dans ce cas – liées à ses propres parents ou à ses proches», poursuit-il. «En cela, c’est une expérience intéressante». Cela étant, ce travail de l’apparence visuelle n’est pas une revendication posée a priori mais «s’impose avec chaque film et est lié à la spécificité de chacun de ces films». De cette harmonie apparente, ici de la cellule familiale, sort pourtant la menace, celle qui aboutira aux grandes révélations de chacun. «Au cinéma, on ne montre que des problèmes, alors que j’aimerais faire un film où tout se passe bien», déplore Tran. C’est là qu’est le pari du film : «Comment faire un film qui donne une possibilité de bonheur et qui montre à la fois les problèmes intimes ? Les personnages sont à la recherche de cette harmonie et, à force de la vouloir, ils parviennent presque à y accéder». Ce n’est pas que les différents membres de la famille ne se parlent pas, au contraire les dialogues sont nombreux. Mais les paroles sortent masquées et contribuent à épaissir le mystère autour des parents. «Je n’aurais pas pu faire ce film si je n’avais pas eu mon enfant entre-temps, il m’a délié la langue», lance joyeusement Tran. «J’ai dit à mon producteur (ndlr: Christophe Rossignon, de Lazennec) : Je vais faire mon premier film parlant». Tran Anh Hung a l’ambition de tourner un jour un film sur la guerre du Vietnam, cette guerre qui, avoue-t-il, «est un filtre au travers duquel je dois passer tous mes projets». Mais avant cela, il y aura Je viens avec la pluie, un autre projet de film qu’il qualifie lui-même d’«extrêmement ambitieux». Au point qu’À la verticale de l’été, écrit après lui, aura vu le jour avant.
Pour tout cinéaste qui se respecte, et Tran Anh Hung en est un, composer une image est «quelque chose de sérieux, de grave» et il est indéniable que cette concentration créatrice se retrouve dans «À la verticale de l’été», présenté à Cannes dans la section «Un Certain regard». «Dans l’absolu, je souhaite créer des icônes et je voudrais que l’image...