Actualités - CHRONOLOGIE
Turquie La corruption au cœur de la crise économique
le 20 février 2002 à 00h00
Ibrahim Haluk Erenler en a eu assez : ce chauffeur de taxi criblé de dettes a garé sa voiture devant le bureau du Premier ministre, est descendu et a demandé en hurlant une audience à Bulent Ecevit. Lorsque les forces de sécurité ont remarqué sa présence, il est retourné à son véhicule et l’a incendié avant d’être maîtrisé. Les manifestations de ce genre sont devenues tristement banales devant le siège du gouvernement à Ankara, depuis que la crise économique, qui a éclaté il y a un an, avec le décrochement de la livre turque du système de parité fixe le 22 février, a plongé d’innombrables Turcs dans la misère. Elle a commencé avec une dispute entre M. Ecevit et le président Ahmet Necdet Sezer, qui a détruit le peu de confiance restant dans la politique de réformes hésitante du gouvernement. Lorsque M. Ecevit a qualifié publiquement cette dispute de «grave crise» au sommet de l’État, tout s’est effondré : la Bourse, la livre turque et les taux d’intérêt ont atteint des milliers en pourcentage. Depuis, le gouvernement, aidé par les milliards de dollars injectés par le Fonds monétaire international (FMI), a engagé une vaste série de réformes, en particulier la modernisation d’un secteur bancaire pléthorique et en pleine déliquescence. Mais la difficulté de prendre un cours radicalement nouveau après des décennies de mauvaise gestion se reflète dans la lutte contre l’un des principaux problèmes de la Turquie : la corruption. Elle était, déjà, à l’origine de la dispute entre MM. Sezer et Ecevit : le président a reproché au gouvernement de lutter trop mollement contre la corruption, ce qui a entraîné un échange verbal acide, et les deux hommes se sont jetés à la figure un exemplaire de la Constitution. Pourtant, une étude de l’institut de recherche réputé d’Istanbul TESEV, publiée un an après la crise, est venue démontrer à quel point la colère de M. Sezer était justifiée, et combien peu a été fait depuis. Selon ce sondage, 46 % des 1 200 entrepreneurs interrogés ont été contraints de corrompre des fonctionnaires au cours des deux dernières années. Douaniers et policiers trônent en tête du hit-parade des corrompus. Mais un entrepreneur sur trois a aussi dû corrompre un juge ou autre représentant de la justice, des municipalités ou des services financiers. «Donne-moi de l’argent pour m’acheter un bol de soupe», demandent les policiers responsables de la circulation lorsqu’ils veulent un bakchich. La «soupe» s’achète dans tout le pays. Et la Banque mondiale, qui soutient le pays avec le FMI à coup de milliards depuis le début de la crise, a pressé le gouvernement turc d’agir plus fermement contre le phénomène. Pas facile, car les pots-de-vin font partie de la vie quotidienne et de celle de l’appareil d’État. Il est ainsi d’usage d’affecter certains fonctionnaires dans une ville particulièrement juteuse en revenus tirés des pots-de-vin afin qu’ils puissent tranquillement se remplir les poches. Même les hauts fonctionnaires «améliorent» leurs salaires. Une télévision turque a fait scandale récemment en filmant deux hauts fonctionnaires d’Ankara en train de recevoir des pots-de-vin d’un de ses journalistes qui se faisait passer pour un entrepreneur. «La raison de la crise économique réside dans la corruption», a souligné M. Sezer en présentant l’étude de la TESEV la semaine dernière. Une lutte plus déterminée et efficace contre le phénomène est une composante essentielle des réformes qu’Ankara s’est engagé à mettre en œuvre pour juguler la crise. Le président a appelé la justice à être plus vigilante et à punir sévèrement les politiciens corrompus. Mais ce sont justement eux qui ont le moins intérêt à changer la situation actuelle.
Ibrahim Haluk Erenler en a eu assez : ce chauffeur de taxi criblé de dettes a garé sa voiture devant le bureau du Premier ministre, est descendu et a demandé en hurlant une audience à Bulent Ecevit. Lorsque les forces de sécurité ont remarqué sa présence, il est retourné à son véhicule et l’a incendié avant d’être maîtrisé. Les manifestations de ce genre sont devenues tristement banales devant le siège du gouvernement à Ankara, depuis que la crise économique, qui a éclaté il y a un an, avec le décrochement de la livre turque du système de parité fixe le 22 février, a plongé d’innombrables Turcs dans la misère. Elle a commencé avec une dispute entre M. Ecevit et le président Ahmet Necdet Sezer, qui a détruit le peu de confiance restant dans la politique de réformes hésitante du gouvernement. Lorsque M....