Actualités - REPORTAGES
Des éditions savantes en arabe aux traductions latines
Par D.G, le 03 octobre 2001 à 00h00
Après quelques publications arabes isolées, apparaît une imprimerie arabe à Rome en 1584, celle du cardinal Ferdinand de Médicis. Que la première publication soit celle des Évangiles n’a rien d’étonnant. Par contre, comment est-il possible que les autres publications de cette imprimerie soient le Canon de médecine d’Avicenne, la Géométrie d’Euclide et la Géographie d’Idrisi ? Car, à l’époque de la parution de ces livres il n’y a certainement pas cent personnes en Europe capables de les lire. Et il n’y a ni traductions, ni dictionnaires, ni grammaires. Ou plutôt si, la Typographia Medicea publie en 1592 deux grammaires d’un seul coup, tout en arabe, l’idéal pour un débutant. Une curieuse variante pour tous ces livres : certains ont une page de titre bilingue, en arabe et en latin, d’autres tout en arabe et ce sont les plus nombreux. C’est là un signe caractéristique des impressions orientales faites par des Européens : quand on rencontre ces deux types de pages de titre, c’est que les premiers étaient destinés aux Européens, les autres non. La majorité des livres de la Typographia Medicea, avec la page de titre tout en arabe, était donc destinée à des arabophones. S’agissait-il de livres que l’on destinait aux chrétiens d’Orient en même temps que les livres religieux ? Ce n’est pas le cas, car, alors que ces derniers ont un colophon qui indique le lieu et la date d’impression, les livres scientifiques n’en ont pas. Autant on voulait que les chrétiens d’Orient sachent bien que ces instruments de leur salut venaient de Rome, autant on voulait éviter que les musulmans sachent que ces «manuscrits» bizarres venaient d’un pays chrétien. Il pouvait sembler paradoxal de vouloir réintroduire dans le monde arabe des livres qui en provenaient, mais ce n’était pas a priori impossible. Un précédent pouvait le laisser espérer. La fabrication du papier était bien une technique qui avait été apportée par les Arabes, or l’Europe était devenue exportatrice de papiers vers l’empire ottoman. Au XVIIIe siècle, l’exportation du papier vers l’Égypte sera deux fois plus importante que tout le commerce avec les Échelles de Seyde et de Tripoli. Le livre imprimé pouvait très bien réussir à gagner lui aussi l’empire ottoman. La preuve que telle était bien l’intention du directeur de l’imprimerie des Médicis est l’Euclide. À la fin de ce livre, on trouve en effet un texte qui est en turc, c’est même d’ailleurs le premier texte imprimé en turc avec des caractères «turcs». Or, il contient l’autorisation accordée par le sultan Murat III à deux marchands italiens de vendre ce livre dans l’empire ottoman, c’est une licence d’importation pour le livre imprimé arabe à contenu scientifique. Le monde arabe a refusé l’imprimerie tant qu’il n’en a pas eu besoin, comme la Chine a refusé la typographie, après l’avoir essayée d’ailleurs, tant qu’elle n’y a pas trouvé son avantage. Dans le premier cas le manuscrit, dans le second la xylographie l’emportèrent sur la typographie pendant plusieurs siècles. Avec l’Euclide, l’empire ottoman acceptait de faire un essai. Il a été concluant, il y avait assez de copistes et les lecteurs préféraient le manuscrit. Pour le monde de langue arabe, ce dédain de l’imprimé n’avait pas de conséquences, du moins pendant très longtemps. Pour l’Europe savante, les conséquences furent par contre désastreuses. Si les livres scientifiques arabes avaient été achetés dans l’empire ottoman, leur édition aurait été économiquement viable et certainement même profitable. Il aurait été donc possible de réserver une partie des exemplaires à l’usage du monde savant, ceux avec une page de titre bilingue. Même si pour les premiers livres il n’y avait eu qu’une poignée de lecteurs, il se serait constitué un fonds de publications utilisables dès que des arabisants auraient été formés. Or, les lieux où on enseignait l’arabe se multipliaient, deux chaires sont créées au Collège royal en 1587 et en 1600, Paul V introduit cet enseignement en 1610 chez tous les réguliers. D’autres part, les publications de grammaires et bientôt de dictionnaires complétaient cet enseignement. Quelques décennies auraient peut-être suffi, car le désir du monde savant était réel, pour que soit formé un public trop limité pour supporter économiquement une édition en arabe, mais qui au moins aurait pu en utiliser une partie. Une fois le marché ottoman fermé, une autre forme d’édition arabe restait possible. Il fallait pour cela à la fois développer l’enseignement de la langue pour diffuser une certaine connaissance de l’arabe et engager des gens bilingues comme traducteurs pour éditer des textes avec leur traduction. Il y en avait : les élèves du Collège maronite de Rome. Savary de Brèves en prit deux à son service comme traducteurs. Ces éditions bilingues serviraient de lecture pour les arabisants et les feraient progresser dans la connaissance de la langue, ils fourniraient aussi les traductions des textes que réclamaient les savants, tout en leur fournissant le moyen de contrôle éventuel en leur donnant la possibilité de se reporter au texte original. En fait arriver à toucher à la fois le public des arabisants et celui des savants qui s’intéressaient non à la langue, mais au contenu des textes était possible pour les ouvrages de morale ou d’histoire, Leyde Erpenius s’engagea dans cette voie, mais cela se révéla impossible pour le seul livre de mathématiques que l’on voulut sérieusement éditer en même temps que traduire, les Coniques d’Apollonius de Perga. «Le livre et le Liban»
Après quelques publications arabes isolées, apparaît une imprimerie arabe à Rome en 1584, celle du cardinal Ferdinand de Médicis. Que la première publication soit celle des Évangiles n’a rien d’étonnant. Par contre, comment est-il possible que les autres publications de cette imprimerie soient le Canon de médecine d’Avicenne, la Géométrie d’Euclide et la Géographie d’Idrisi ? Car, à l’époque de la parution de ces livres il n’y a certainement pas cent personnes en Europe capables de les lire. Et il n’y a ni traductions, ni dictionnaires, ni grammaires. Ou plutôt si, la Typographia Medicea publie en 1592 deux grammaires d’un seul coup, tout en arabe, l’idéal pour un débutant. Une curieuse variante pour tous ces livres : certains ont une page de titre bilingue, en arabe et en latin, d’autres tout en...
Les plus commentés
Aoun depuis le Caire : Le Liban veut revenir à une situation de « non-guerre » avec Israël
Dans les prisons israéliennes, la torture généralisée des détenus palestiniens
Municipales : le grand bond en arrière