Actualités - OPINION
TRIBUNE État de droit et indépendance de la magistrature
Par Khoury-Hélou Joe W., le 01 juillet 1999 à 00h00
L’annonce d’une réforme judiciaire, précédée d’une levée de l’immunité des magistrats, incite à la réflexion sur l’état de nos institutions. C’est à bon escient que le nouveau régime – dont le leitmotiv principal est la suprématie de la loi – insiste sur l’indépendance de la magistrature, sans laquelle toutes les mesures prises au nom de la restauration de l’État de droit et de l’ordre républicain ne seraient que vétilles. La loi est certes faite pour régir les relations des individus entre eux, mais sa prépondérance se place surtout au niveau de la réglementation de la vie publique, dans les rapports du citoyen avec l’État, et qui doit se manifester à double sens : celui qui prend en compte les exigences de l’ordre public et l’intérêt général et celui qui, dans le même temps, veille à préserver les libertés fondamentales et la dignité humaine et empêcher tout arbitraire. Ce rôle régulateur incombe, naturellement, à la magistrature. François Mitterrand avait dit : «Dans une démocratie le juge ne doit obéissance qu’à la loi et si la loi s’abaisse ou s’égare, qu’à sa conscience. Les principes de base, qui protègent et garantissent en les conciliant la liberté du citoyen et l’ordre dans l’État, sont peu nombreux et faciles à reconnaître». On a beau pérorer sur les vertus de la justice, il n’en demeure pas moins que les risques de dérapage ne peuvent être écartés, tant que l’indépendance de la magistrature, et avec elle celle des magistrats, n’est pas résolument affirmée. Choisir la magistrature comme carrière est sans doute la plus noble des vocations, puisque c’est chercher à faire la justice pour les autres, en se résignant à toutes sortes d’abnégations au niveau personnel. Dans les années 70, deux grands magistrats, M. Sélim Jahel et feu cheikh Nassib Torbey, enseignaient à l’Institut de magistrature, dans le cadre de conférences intitulées “Psychologie et déontologie judiciaires”, l’éthique professionnelle et le comportement que devrait être, dans la vie, celui du magistrat : une rigueur à toute épreuve qui impose constamment au magistrat de décortiquer ses dossiers et de trancher, dans l’humilité et la discrétion, en gardant à l’esprit que derrière chaque dossier des intérêts, des dignités humaines, voire des vies sont en jeu. Il se doit de passer outre à toute influence, celles provenant de ses penchants propres, de l’opinion publique de collègues, et a fortiori d’hommes de pouvoir. Cette même rigueur exige une vie sociale qui, loin de toute austérité, préserverait la dignité du magistrat et n’ébranlerait en aucune circonstance le respect que son rôle doit inspirer. Il s’interdit, et c’est le moindre, toute sollicitation pour un poste, avancement ou promotion. Ces vertus intrinsèques demeurent néanmoins insuffisantes pour instaurer une vraie justice, elle-même indépendante et libérée de toute emprise. C’est au niveau du statut, en effet, que le bât blesse. Il est vrai que la Constitution, dans son préambule et dispositif, a consacré le principe de la séparation des pouvoirs. Il est vrai aussi que cette Constitution a parlé d’indépendance et de garantie par le biais du principe d’«inamovibilité». Mais dans la pratique, la situation est toute autre, une série de textes faisant obstructions à la bonne application du principe. D’ailleurs, la définition de Montesquieu, selon laquelle la justice constitue le troisième pouvoir, a été sévèrement critiquée en France, pour manque de réalisme. Car, comme le soulignait M. André Braunschweig, président d’honneur de l’Union syndicale des magistrats, «l’on est bien obligé de constater que les magistrats, même ceux du siège, d’une manière ou d’une autre, sont, comme sous tous les régimes, soumis au pouvoir politique par le biais du contrôle de leur carrière». Le système, qui est le nôtre, assujettit en effet le magistrat, depuis son recrutement jusqu’à sa paie, en passant par sa promotion et affectation au bon vouloir de l’Exécutif. Le principe dit de l’«inamovibilité» qualifié de simple «alibi» n’a jamais été une garantie, M. Braunschweig affirmant à ce sujet que «l’inamovibilité ne saurait remédier ni à l’arrivisme auquel le juge peut succomber, ni au favoritisme que le pouvoir est parfois tenté d’exercer». M. Michel Debré, occupant les fonctions de Garde des Sceaux, affirmait de son côté que «l’inamovibilité garantie de l’indépendance des juges, n’est qu’un mythe depuis qu’on a organisé la carrière des fonctionnaires et qu’on leur accorde le bénéfice d’un statut»… Il disait aussi, «le juge est inamovible afin qu’il soit indépendant et rarement affirmation fut en pratique moins exacte. Le problème pour un juge français n’est pas d’éviter une révocation improbable mais de recevoir un avancement». La lutte menée en France en faveur de l’indépendance de la magistrature était axée, surtout, sur la composition du Conseil supérieur de la magistrature et ses prérogatives, le but étant de rendre cet organisme le plus autonome possible, par l’institution notamment du collège des magistrats qui élirait ses représentants, loin de toute autre intervention. En dépit de l’énorme avancée dans ce domaine, certains continuent d’émettre des réserves sur l’existence d’une indépendance implacable de la magistrature française. Chez nous, qui demeurons loin des progrès réalisés dans les démocraties occidentales, un chantier de réformes est en cours, prôné par le chef de l’État et méticuleusement concocté par le ministre de la justice. Créer un statut, braver les tabous, en consacrant l’entière autonomie ne doit pas être besogne impossible. Reste, bien entendu, le problème de l’élément humain. Or, une levée d’immunité a été annoncée. D’ailleurs, et avant même toute réforme, fustiger le corps judiciaire tout entier à cause de renégats qui l’infestent serait injuste. C’est bien le système qui déraille, puisqu’il ne fait de la magistrature qu’un simple service public dérivé, non responsable ni du recrutement ni de la promotion des juges, et il faut reconnaître par ailleurs que d’excellents magistrats, agissant dans la discrétion et l’anonymat le plus noble, rendent une vraie justice. Les bévues ne sont d’ailleurs pas le monopole de notre Justice. Quoiqu’il en soit, dans une société restreinte où la canaillerie est vite repérable, la sélection devient aisée et la gangrène peut être promptement arrachée. L’essentiel est d’agir vite, et la levée de l’immunité est de bonne augure. Ainsi sera franchi un grand pas vers l’État de droit.
L’annonce d’une réforme judiciaire, précédée d’une levée de l’immunité des magistrats, incite à la réflexion sur l’état de nos institutions. C’est à bon escient que le nouveau régime – dont le leitmotiv principal est la suprématie de la loi – insiste sur l’indépendance de la magistrature, sans laquelle toutes les mesures prises au nom de la restauration de l’État...
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