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Les Kurdes : des fondements de l'identité aux revendications actuelles
Par BIBAS Benjamin, le 30 avril 1999 à 00h00
Le procès d’Abdullah Öcallan («Apo»), président du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), devant la Cour de sûreté de l’État d’Ankara a formellement débuté mercredi dernier en Turquie, après que les procureurs eurent requis contre lui la peine capitale. Selon plusieurs hommes politiques turcs, l’instruction du procès, entamée dans les derniers jours du mois de février, ne devait pas durer plus de quelques semaines. On peut légitimement s’interroger sur les raisons d’une telle célérité, tant les titres d’accusation – «homicides», «massacres» voire «extorsions de fonds destinées à diviser le territoire turc» –méritent un examen complexe. Depuis le mois d’octobre 1998 – date où, sous la pression militaire turque, Apo a dû quitter la Syrie où il s’était réfugié à partir de 1984 –, les autorités turques se sont en effet caractérisées par leur détermination à poursuivre le leader kurde : le 16 février dernier, au lendemain de l’arrestation d’Öcallan au Kenya, le premier ministre turc, Bülent Ecevit, ne déclarait-il pas que «nous avions dit que nous le capturerions partout dans le monde. Nous avons tenu cette promesse de l’État» ? Pour tenter de comprendre cet empressement, il est nécessaire de revenir aux sources de l’identité kurde et de la formation de l’État turc moderne. La revendication de l’identité nationale kurde, sa radicalisation récente peuvent alors apparaître comme le résultat d’une idéologie nationale et d’ambitions géopolitiques turques avec lesquelles elles entrent en conflit. Le peuple kurde peut de prime abord se définir par ses langues, qui appartiennent au groupe nord-ouest des langues iraniennes. Non pas dialectes du persan, elles peuvent être qualifiées de «langues spéciales, sœurs du persan et peut-être plus anciennes que lui» (selon J. de Morgan, «Dialectes kurdes» in Mission scientifique de Perse, Paris, 1904). Aujourd’hui, les langues kurdes les plus parlées sont le kurmanji (forme septentrionale), présent surtout en Turquie, en Iran et dans le Caucase, et le sorani (forme méridionale), surtout parlé en Irak et en Syrie. Selon l’orientaliste russe V. Minorsky, le peuple dépositaire de ces langues est probablement né de l’association de deux tribus, les Mardes (originaires de Russie méridionale et du Caucase oriental) et les Kyrtes (d’origine méconnue), parlant des dialectes médiques et venant – après la chute de Ninive (612 A.C.) – se superposer en Assyrie (sud du Caucase) à des peuplades locales. Le nom – Kurmandj – que les Kurdes se donnent eux-mêmes résonne d’ailleurs comme l’association des noms de ces deux tribus. Le peuple kurde se serait ainsi progressivement constitué dans les vallées de la chaîne du Zagros (nord-ouest iranien ou «Vieux Kurdistan» pour les Kurdes), puis aurait gagné le Kurdistan central et méridional (nord de l’actuel Irak), enfin le Kurdistan occidental et septentrional (sud-est anatolien). Il se compose de plusieurs tribus extrêmement solidaires, sédentarisées en villages à la fin du 1er millénaire A.D. Quoiqu’en voie d’urbanisation, la société kurde reste aujourd’hui essentiellement rurale. L’islam sunnite y est très majoritaire, mais les Kurdes comptent aussi quelques yézidis, alévis, chiites, juifs (pour la plupart émigrés vers Israël) et chrétiens. À l’heure actuelle, on dénombre entre 25 et 30 millions de Kurdes, installés pour la plupart en montagne dans une zone continue de peuplement majoritaire située au confluent de la Turquie, de l’Iran, de l’Irak et de la Syrie. En Turquie, on évalue leur nombre à plus de 13 millions (environ 20 % des 63 millions de Turcs en 1990). En 1965, date du dernier recensement où la langue maternelle est prise en compte, onze départements du sud-est anatolien étaient peuplés majoritairement (plus de 50 %) de Kurdes. En Iran, les Kurdes seraient au nombre de 6 à 7 millions (sur une population totale estimée à 64 millions d’habitants en 1998). En Irak, ils seraient plus de 4 millions (sur une population irakienne d’environ 20 millions d’habitants). En Syrie, enfin, les Kurdes représenteraient entre 1 et 1,5 million des 14 millions de résidents. Par ailleurs, plus de 500 000 Kurdes peuplent les républiques du Caucase (Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan). Ils sont présents par dizaines de milliers dans les grandes capitales du Moyen-Orient (Beyrouth, Damas, Téhéran…). Ils seraient enfin près de 2 millions à vivre dispersés en Europe, l’émigration vers cette destination ayant décuplé au cours des années 1990 du fait de la répression croissante des régimes turc et irakien. De l’occupation au réveil national Le territoire kurde, situé au croisement des anciens Empires ottoman et perse, a été soumis à diverses occupations depuis l’Antiquité. En 555 A.C., la chute de l’Empire Mède, dont le centre était situé dans l’actuel Kurdistan iranien, provoque la désunion des tribus kurdes. Aux VIIe et VIIIe siècles A.D., les territoires kurdes sont islamisés, puis inclus dans l’Empire omeyyade. Au Xe siècle, un début d’autonomie kurde semble se dessiner avec l’avènement de la dynastie des Chaddadites. Au XIIe siècle, le nom de Kurdistan apparaît pour la première fois, en tant que province seldjoukide située aux alentours des monts Zagros. Entre 1169 et 1250, les Ayyoubides, dynastie arabe d’origine kurde comptant Salah ed-Dine parmi ses représentants, règnent sur ces montagnes. À la fin du XIIIe siècle, les Mongols s’approprient la région. L’occupation turque commence avec la conquête ottomane par Sélim 1er, puis par Soliman, entre 1514 et 1536. La montagne kurde reste pourtant assez autonome puisqu’elle est alors morcelée en plusieurs Sandjaks («Kurd Hukumeti», i.e. «Gouvernement kurde»), dirigés de manière quasi indépendante par des chefs de tribus locaux. C’est pourquoi au XVIe siècle, durant la lutte turco-persane, les Kurdes globalement satisfaits de leur statut prennent parti pour l’orthodoxie sunnite et contre le chiisme schismatique. Or au XVIIIe siècle, le recul de l’Empire ottoman en Europe (traités de Karlovitz en 1699, de Passrovitz en 1718) lui fait craindre en la relative autonomie kurde la formation possible d’un futur État rival : l’Empire resserre son emprise à mesure qu’il s’affaiblit. Décision est prise de centraliser l’administration des Sandjaks kurdes. Cette mesure provoque le mécontentement des populations locales. Le XIXe siècle voit donc l’émergence d’un véritable mouvement national kurde. Les premières révoltes ont lieu en 1804 : les Kurdes de Bedir Khan remportent plusieurs victoires sur les troupes ottomanes. En 1818, une deuxième révolte éclate, alliant les Kurdes de Perse à ceux de Bayazid et de Van (actuelle Turquie). En 1833, un nouveau soulèvement emporte tout le territoire kurde. Plusieurs chefs de tribu (Bedir Khan, Mohammed Pacha…) s’unissent, prennent Erbil, Mossoul, Zakhlo, la Djezireh et se proclament indépendants. L’arrestation de Mohammed Pacha (1835), l’expulsion de Bedir Khan (1847) ne calment les troubles que momentanément. En 1853, une nouvelle révolte, menée par Yezdan Cher, se déploie depuis Van jusqu’à Bagdad. Mais Yezdan Cher est arrêté en 1855 et la révolte est matée. En 1878 enfin, les Kurdes de l’Empire ottoman et de Perse s’allient pour obtenir leur autonomie. Cependant, la répression conjointe des deux Empires ne leur en laisse pas l’occasion. Le mouvement change d’aspect au début du XXe siècle avec l’apparition, dans les villes de l’Empire, des premiers journaux nationalistes kurdes. En 1898 est ainsi fondé au Caire le mouvement national «Kurdistan», dont l’organe bilingue du même nom, rédigé par des descendants de Bedir Khan, est publié en turc et en kurde. En 1910, un groupe d’étudiants crée le premier parti kurde : Heiva Ya Kurd («l’Espoir kurde»), promu par la revue mensuelle Roj a Kurd («le Jour kurde»). Au cours de la Première Guerre mondiale, c’est pourtant de la montagne qu’émerge l’action nationale décisive. Les chefs kurdes de Hamawend et de Soleimanyeh (actuel Irak), désireux de se libérer définitivement de l’emprise ottomane, invitent les Britanniques à constituer un gouvernement kurde provisoire sur leur territoire. Celui-ci, dirigé par cheikh Mahmoud el-Berzenji, voit le jour peu après le 7 mai 1918 (prise de Kirkouk par l’armée britannique). Mais les Britanniques souhaitent conserver sous contrôle direct les riches régions pétrolifères de Soleimanyeh, Kirkouk et Mossoul. Les Kurdes, contraints par les convoitises européennes sur le territoire qu’ils revendiquent, envoient donc l’émissaire Cherif Pacha plaider leur cause à la Conférence de paix à Paris en 1919. Traité de Sèvres (1920) : l’indépendance manquée Ainsi, c’est lors de l’ouverture de la Conférence de Paris, le 30 janvier 1919, que la notion de Kurdistan apparaît pour la première fois dans l’histoire diplomatique. Lloyd George, Premier ministre britannique, fait adopter une résolution selon laquelle «considérant les mauvais traitements que les Turcs ont fait subir aux populations qu’ils avaient assujetties, (…) l’Arménie, la Syrie, la Mésopotamie, la Palestine, l’Arabie et le Kurdistan doivent être entièrement disjoints de l’Empire turc». Loin de vouloir satisfaire les aspirations nationales kurdes, Lloyd George entend plutôt protéger les gisements de pétrole du nord de la Mésopotamie. En effet, le 30 octobre 1918 –date de la capitulation ottomane –, l’armée britannique n’occupe qu’incomplètement la Mésopotamie septentrionale, région sur laquelle le Royaume-Uni ambitionne déjà d’exercer un mandat. Elle continue pourtant sa progression et prend la ville de Mossoul une dizaine de jours après l’armistice. Or les congrès nationaux turcs, à l’origine de la fondation du nouvel État turc, proclament à l’été 1919 la ligne d’armistice comme nouvelle frontière de cet État. Le Kurdistan apparaît alors comme une création occidentale, zone intermédiaire destinée à éviter les conflits armés directs entre un nouvel État turc expansionniste et une Mésopotamie septentrionale riche en pétrole et placée sous un mandat britannique dont la légitimité est discutable. La fondation proposée d’un État kurde n’englobant pas la région de Mossoul permet en somme de ménager les populations locales, tout en préservant les intérêts pétroliers britanniques dans la région. Le Traité de Sèvres est signé le 10 août 1920. L’article 62, relatif à la question kurde, arrête en conséquence «l’autonomie locale pour les régions où domine l’élément kurde, situées à l’est de l’Euphrate, au sud de la frontière méridionale de l’Arménie (…) et au nord de la frontière turque avec la Syrie et la Mésopotamie». Selon l’article 63, «le gouvernement ottoman s’engage à (…) appliquer (…) l’article 62». Enfin, selon l’article 64, les Kurdes doivent fournir la preuve, un an au plus après la ratification du traité, «qu’une majorité de la population de ces régions désire être indépendante de la Turquie». Or cette indépendance sous condition devait rester lettre morte. En effet, dès la fin de la Première Guerre mondiale, le mouvement national turc parvient à remobiliser une Anatolie déprimée par la défaite et par la perte des provinces arabes. Il gagne rapidement du terrain, contrôlant à la fin de l’année 1920 non seulement le sud-est anatolien (territoire réservé à l’émergence d’un État kurde), mais aussi le territoire destiné par le traité à la création d’un État arménien. Sa victoire sur les autorités ottomanes, qui se solde par l’arrivée au pouvoir de Mustapha Kemal Atatürk, marque le début d’une politique de rupture avec les institutions et les engagements de l’Empire : le Traité de Sèvres, y compris les paragraphes concernant la question kurde, n’est pas ratifié par la Turquie. En 1926, à l’occasion de la venue à Istanbul du Haut-commissaire britannique en Irak, Atatürk entérine cette situation par une phrase aux accents définitifs : «Les droits des minorités doivent être subordonnés aux droits des nations existantes (…) Les Kurdes seront incapables de se gouverner seuls pendant plusieurs générations». Turquie : deux nationalismes incompatibles En effet, le nouvel État kémaliste laisse peu de place aux revendications, ni même à l’existence déclarée des Kurdes établis sur son sol. Ses réformes spectaculaires (proclamation de la République en 1923, latinisation de l’alphabet turc, transfert de la capitale administrative d’Istanbul vers Ankara…) sont révélatrices d’un bouleversement politique radical : le passage d’un empire à légitimité notamment religieuse (pouvoir spirituel ou califat du sultan ottoman) à un État laïc fondé sur une communauté de langue. Le califat est ainsi aboli, en dépit des promesses d’Atatürk d’édifier le nouvel État sur la fidélité à l’islam et la solidarité turco-kurde. A contrario, la nation turque moderne se veut culturellement homogène, épurée de tout élément non-turc. Les Kurdes apparaissent dès lors à l’État comme un obstacle à la cohésion de la patrie. Davantage annexés qu’intégrés, ils sont désormais appelés «Turcs des montagnes», considérés comme des Turcs «kurdifiés» – au contact des «féodaux kurdes» présents en Anatolie sous l’Empire ottoman – et qu’il convient de rendre à leur vrai nature. La langue, le simple mot lui-même de «Kurde» sont donc interdits. Une loi de déportation et de dispersion des Kurdes est promulguée le 5 mai 1932, qui prévoit l’éparpillement des Kurdes du sud-est anatolien entre les villages turcs, dans une proportion de 5 % de la population. Ces mesures engendrent la rébellion kurde tout au long des années vingt et trente. Après la mort d’Atatürk (1938) et la fin du régime de parti unique (1946), l’expression politique kurde en Turquie parvient pourtant à se restructurer. Au cours des années cinquante et soixante, sous l’influence de l’urbanisation, la contestation kurde du sud-est anatolien sort de son cadre tribal. Les populations urbaines se mobilisent pour exiger des réformes économiques, une distribution plus équitable des richesses, l’application de la Constitution et la reconnaissance de leur spécificité culturelle. Les Kurdes de Turquie sont encouragés dans leur agitation par la révolte kurde d’Irak, sous la direction de Mustapha Barzani, en 1961. Dans les années 1970, la rébellion prend des accents idéologiques, ancrés à gauche, avec la création des Foyers culturels révolutionnaires de l’Est : l’État turc est alors dépeint comme un «valet de l’impérialisme américain». La radicalisation du mouvement va donc s’aggravant au moment de la fondation en 1977, par un groupe marxiste d’étudiants kurdes d’Ankara, du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). L’apparition d’un nouvel acteur au Kurdistan turc : le PKK Le programme du PKK est exposé dans le manifeste du parti, rendu public le 27 novembre 1978, jurant de «lutter contre le colonialisme, le féodalisme, l’impérialisme et le capitalisme» véhiculés par la Turquie et ses alliés. Dans un ouvrage édité au début des années quatre-vingt, Abdullah Öcallan définit le PKK comme un groupe de défense contre l’oppression pesant sur l’identité kurde : «La défense est la seule façon de rester vigilant et d’essayer de bâtir notre force. (…). Les gens ne peuvent pas prononcer leur nom, ils ne peuvent pas défendre leur identité et ils ne peuvent même pas satisfaire les exigences les plus simples dans les domaines de l’économie, de la santé, des soins…». Le PKK compte alors environ 300 militants actifs. Les actions violentes se limitent à des attaques de paysans contre des chefs de tribus dans le département d’Ourfa. Mais le coup d’État militaire du 12 novembre 1980 en Turquie change la situation : en 1983, l’interdiction de l’usage des langues kurdes, les violences répétées et une intense campagne de répression dans le sud-est anatolien engendrent la radicalisation et l’extension du PKK. Non plus confiné à une lutte de classes à l’intérieur de la société kurde, le parti s’attaque donc dès 1984 aux installations militaires turques dans le sud-est du pays. Recrutement de masse et lutte armée deviennent ses deux mots d’ordre. Deux structures sont créées en conséquence : le Front de libération nationale du Kurdistan (ERNK) en 1985 ; l’Armée de libération populaire du Kurdistan (ARGK) en 1986. Face à la montée du PKK, mais aussi d’autres forces (notamment islamistes) remettant en cause la nation laïque, l’armée turque gagne en importance car elle apparaît comme la dernière institution garante de l’État kémaliste. Le gouvernement turc réagit donc en militarisant le conflit kurde : mise en place de «gardiens de village» recrutés localement et rémunérés par l’État, dès 1985, pour lutter contre la propagande armée du PKK – ces gardiens de village seraient au nombre de 70 000 en 1996 ; regroupement, en juillet 1987, des onze départements majoritairement kurdophones en une vaste région où l’État d’urgence est proclamé. Un gouverneur central est nommé et installé à Diyarbakir. Il est assisté d’un commandant de la Sécurité régionale, plus spécialement en charge de l’organisation des activités militaires. La lutte entre le PKK – qui multiplie les actions armées – et les gardiens de village, ainsi que les opérations militaires turques de grande envergure dans la région se traduisent par une augmentation du nombre de victimes civiles et par une escalade de violences. Ainsi, entre 1984 et 1994, on dénombre 19 000 morts dans le conflit. Selon le gouvernement régional de l’État d’urgence lui-même, 1 800 villages kurdes sont entièrement évacués par les forces militaires turques durant la seule année 1994. À la fin de l’année 1995, le nombre d’émigrants forcés de la région s’élève à 3 millions (selon la Fondation turque des droits de l’homme). Depuis 1995, le conflit aurait causé 10 000 nouvelles victimes. Stratégie actuelle du PKK Aujourd’hui, le PKK compterait environ 30 000 militants et 400 000 sympathisants selon des sources diverses, voire opposées, mais concordantes. Il s’agit d’un parti structuré avec un président – Abdullah Öcallan—, un conseil de présidence, un comité central et un conseil disciplinaire central. Un Congrès du parti se réunit ordinairement tous les quatre ans. Redéfinie en 1994, la stratégie actuelle du PKK consiste à réclamer un cessez-le-feu qui serait suivi d’un dialogue, dans le but de trouver une solution pacifique et durable au conflit à l’intérieur des frontières d’une Turquie souveraine. Cette même année, le PKK a publié une «déclaration d’intention» de se conformer aux lois humanitaires et aux règlements de guerre exposés dans la convention de Genève de 1949. Cette déclaration désigne les «forces de sécurité» turques (armée, forces antiguérilla, services de renseignement, gendarmerie, «gardiens de villages», à l’exclusion de tous les autres fonctionnaires) comme uniques cibles des actions armées du PKK. La stratégie du PKK peut se lire comme une réponse à la militarisation de la politique kurde de la Turquie survenue dans les années 1990 (décision du Conseil de sécurité national de «répondre aux fusils (kurdes) avec des fusils» en mars 1990, apparition d’une structure secrète de commandement sous contrôle militaire pour la solution de la question kurde au début des années 1990). Même s’il est depuis peu débordé par de nouvelles organisations kurdes plus radicales, le PKK tient donc un discours de respect des vies humaines civiles afin de ne pas laisser prise aux accusations de «terrorisme» et de gagner la reconnaissance de la communauté internationale. Ainsi, près de 80 ans après la reconnaissance internationale d’un peuple kurde (Traité de Sèvres), la Turquie demeure le théâtre des revendications kurdes les plus vives. La poursuite, la capture et le procès rapides d’Abdullah Öcallan traduisent la volonté actuelle des autorités turques de durcir le conflit, à un moment paradoxal où le PKK commençait à exposer verbalement ses intentions pacifiques. La militarisation récente du régime peut certes expliquer la détermination du gouvernement d’Ankara. Mais elle contribue aussi à faire renaître une violence kurde aussi aveugle et désorganisée que vaine, comme le montrent les attentats de ces derniers jours à Istanbul et dans l’ensemble de la Turquie (attentats auxquels le PKK dément avoir pris part). Pour l’heure, le gouvernement turc semble peu sensible à ces violences. Peut-on s’en étonner, d’ailleurs, tant nombre d’informations récentes – implication des États-Unis (aide à l’arrestation d’Öcallan et utilisation de la base turque d’Incirlik pour lancer des raids aériens contre l’Irak), refus des pays européens de délivrer un visa à Öcallan – semblent lui donner raison ? Les Kurdes feraient alors, une fois de plus, les frais d’enjeux géopolitiques au regard desquels leur existence nationale apparaît bien mineure. Sources : Entretien : - Kamuran JEKIKAN, secrétaire général de l’Institut kurde de Paris, le 10 mars 1998. Ouvrages : – Blau Joyce, Le problème kurde, Le monde musulman contemporain, Bruxelles, 1963. – Chaliand Gérard (dir.), Les Kurdes et le Kurdistan, Maspero, Paris, 1979. - Nikitine Basile, Les Kurdes, étude sociologique et historique, Imprimerie nationale, Paris, 1956. – Picard Elizabeth (dir.), La question kurde, Éditions Complexe, Bruxelles, 1991. Articles : – Imset Ismet G., article consacré au Parti des travailleurs du Kurdistan et publié sur le site Internet http://home.worldcom.ch/~kurdkom – Le Monde, divers articles du 12 octobre 1998 au 15 mars 1999. – Le Monde diplomatique, divers articles de décembre 1997 à mars 1999. – Libération, divers articles, mars 1999.
Le procès d’Abdullah Öcallan («Apo»), président du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), devant la Cour de sûreté de l’État d’Ankara a formellement débuté mercredi dernier en Turquie, après que les procureurs eurent requis contre lui la peine capitale. Selon plusieurs hommes politiques turcs, l’instruction du procès, entamée dans les derniers jours du mois de février,...
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