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Actualités - CHRONOLOGIE

Le procès dans l'affaire Murr prendra fin lundi avec les plaidoieries de Karam et du chef des FL Naïm qualifie d'illégale la procédure judiciaire et Rizk souligne le ralliement de Geagea à Taëf(photos)

L’immense salle de tribunal au quatrième étage du Palais de justice a vibré hier au son des voix des avocats de M. Samir Geagea, qui ont mis tout leur poids dans la balance pour tenter de démontrer à la Cour de justice que leur client est poursuivi pour des raisons politiques plutôt que pour un crime dont il n’a pas été établi jusqu’aujourd’hui qu’il en est l’auteur, ont-ils relevé. Il s’agit bien entendu de la double tentative d’assassinat de M. Michel Murr, les 20 et 29 mars 1991. Le procès s’achèvera lundi avec les plaidoiries de Me Issam Karam et de M. Geagea, qui mettront l’accent, entre autres, sur les zones d’ombre ou les contradictions qu’ils ont relevées au cours du procès. Hier, ce sont Mes Edmond Naïm et Edmond Rizk qui ont pris la défense de leur client. Si Me Naïm a axé sa plaidoirie sur le volet juridique d’un procès qu’il a jugé illégal parce qu’il ne relève pas, a-t-il précisé, de la compétence de la Cour de justice, du moins en raison de «l’illégalité» de la procédure suivie pour déférer l’affaire devant un tribunal d’exception, Me Rizk a choisi de soulever le côté politique de cette affaire. Edmond Rizk le témoin a par moments remplacé Edmond Rizk l’avocat, exposant à la cour certains épisodes de l’étape qui a marqué la conclusion de l’accord de Taëf pour expliquer que son client s’était rallié au projet de l’Etat et «militait» pour l’édification d’un Etat sur «des bases saines».

Bien que différentes dans la forme et le contenu, il n’en demeure pas moins que les deux plaidoiries avaient un point commun: démontrer que M. Murr, qui détenait en 1991 le portefeuille de la Défense, n’est pas un leader politique au sens déterminé par la loi d’amnistie pour que le dossier de la tentative d’attentat qui l’a visé soit déféré devant la Cour de justice.
Me Naïm considère ainsi qu’avant de signer l’arrêté nommant M. Georges Ghantous juge instructeur dans cette affaire, le ministre de la Justice, M. Bahige Tabbarah, aurait dû s’assurer de la qualité de leader de M. Murr, dont il ne conteste pas toutefois la qualité d’homme politique. Le texte de loi prive des effets de l’amnistie le meurtre ou la tentative de meurtre de leaders politiques, d’hommes de religion et de diplomates.
A l’ouverture de l’audience, à 14h30 précises, Me Naïm est déjà debout devant le micro, quelques papiers déposés devant lui. Me Karam s’installe parmi les journalistes accrédités au Palais de justice «pour laisser la place libre au maître», dit-il. Lorsque c’est le tour de Me Rizk de plaider, il s’installera aux côtés des avocats de la partie civile.

Nul et non avenu

«Je vais essayer de démontrer que la décision du ministre de la Justice de charger M. Georges Ghantous d’instruire le dossier de cette affaire, est nul et non avenu et que, par conséquent, toute la procédure qui en découle, à savoir l’enquête, l’acte d’accusation et, veuillez m’excuser de le dire, le procès qui a suivi, l’est également». C’est par ces mots que l’avocat expose le principal élément de sa plaidoirie qu’il étayera d’une série de jurisprudences libanaises et françaises et de nombreux textes de loi. D’une voix posée, scandant bien ses mots et ne se référant aux documents déposés devant lui que pour lire certains textes, Me Naïm développera deux heures durant, de 14h30 à 16h30, son argumentation qu’il a conclue en demandant que son client soit acquitté.
Après avoir rappelé l’article 363 du Code de procédure pénale qui prévoit la création de la Cour de justice et détermine les crimes qui sont de la compétence de ce tribunal d’exception, Me Naïm précise que l’article 8 de la loi d’amnistie n’ajoute rien au texte précédent lorsqu’il précise que les seuls crimes qui ne tombent pas sous l’effet de l’amnistie sont les meurtres ou les tentatives d’assassinat des leaders politiques, des hommes de religion et des diplomates. «Selon la loi, ces affaires, lorsqu’elles se produisent, sont automatiquement déférées devant la Cour de justice et ne nécessitent pas pour cela la publication d’un décret», ajoute-t-il, précisant ensuite que lorsque des textes de loi sont jugés incomplets, le pouvoir réglementaire «se doit de les compléter en précisant les conditions qui doivent êtres remplies pour les mettre à exécution».
Il souligne ensuite que lorsqu’il a décidé de déférer l’affaire Murr devant la Cour de justice, le ministre «aurait dû s’assurer que la tentative d’attentat figure parmi les crimes prévus dans l’article 363» du Code de procédure pénale. Il tente ensuite de définir le concept de leader politique «qui diffère beaucoup dans tous les pays du monde comme au Liban de celui d’homme politique». «Riad el-Solh, Béchara el-Khoury, Kamal Joumblatt, Emile Eddé, Abdel-Hamid Karamé, Nabih Berry et (il désigne son client du doigt) Samir Geagea sont des leaders politiques».

La définition

Pendant qu’il cite des extraits de la définition de leader politique telle qu’elle figure dans l’«Encyclopaedia Britannica», le président Philippe Khairallah prend des notes. Il n’en avait pas pris lors du réquisitoire du représentant du Parquet et des plaidoiries des avocats de la partie civile et des représentants de l’accusé Manuel Younès. Il demande ensuite à Me Naïm de lui remettre une copie traduite en arabe de cette définition, selon laquelle «un leader politique est celui qui exerce une influence sur les gens et les dirige vers des buts déterminés...». «Or, poursuit, Me Naïm, M. Michel Murr est un ingénieur et un brillant homme d’affaires, issu d’une grande famille, et servant les Libanais comme tout député, mais il ne dirige pas la population dans un sens déterminé. A mon avis, cette évaluation aurait dû être faite par le ministre de la Justice avant de nommer un juge d’instruction dans cette affaire. Au lieu de cela, il s’est seulement fondé sur la décision du juge d’instruction militaire qui avait estimé que l’affaire était du ressort de la Cour de justice et avait demandé au Parquet de la lui transmettre». Et de préciser ensuite que le ministre de la Justice a pour seules attributions de «nommer le magistrat instructeur devant la Cour de justice, une fois que le décret déférant un dossier devant ce tribunal est promulgué. Dans cette affaire, il n’y a pas de décret, mais on s’est basé sur l’article 8 de la loi d’amnistie qui défère de droit devant la Cour de justice les affaires de meurtres ou tentatives d’assassinats de leaders politiques, de chefs religieux ou de diplomates».
Me Naïm cite ensuite des exemples puisés dans la vie judiciaire française pour démontrer que les tribunaux judiciaires et, dans le cas de l’affaire Murr, la Cour de justice, constituent l’autorité compétente pour déclarer nulles ou annulées certaines procédures.
Il rejette l’existence d’une «hostilité» entre MM. Murr et Geagea, soulignant que si les relations étaient tendues entre les deux hommes, c’était pour des raisons politiques. Me Naïm estime, subsidiairement, au cas où la Cour de justice retiendrait la responsabilité de M. Geagea, que le crime imputé à son client est d’ordre politique et tombe ainsi sous les effets de la loi d’amnistie. L’avocat considère qu’en vertu d’une loi promulguée en janvier 1958 et confirmée dans un décret législatif de 1977 qui donnent compétence en matière de terrorisme aux tribunaux militaires et non à la Cour de justice, c’est devant le tribunal militaire que le chef des FL devrait être jugé.

L’affaire Chamoun

Il attire ensuite l’attention des magistrats sur le jugement rendu dans l’affaire Chamoun. Après avoir précisé que contrairement au Code pénal français, le Code pénal libanais considère comme politique tout crime ou délit commis pour des motivations politiques, Me Naïm rappelle que la cour avait considéré que les motivations étaient politiques mais que le crime ne l’était pas directement, précisant également qu’il s’agissait d’un meurtre «complexe et non pas connexe, même si la motivation était politique».
Il enchaîne ainsi en estimant que le ministre de la Justice — qui s’était fondé, dit-il, sur l’avis du juge d’instruction militaire — avait eu tort de considérer que les deux tentatives d’attentat sont «connexes», puisque le deuxième n’avait visé personne et serait ainsi du ressort de la Cour d’assises. Me Naïm conclut en faisant valoir que les accusations qui pèsent sur M. Geagea concernent son éventuelle instigation à l’attentat, selon certains témoins dont il conteste la crédibilité. Il précise que personne n’a indiqué qu’il était au courant de la manière avec laquelle l’opération devait se produire en mettant l’accent sur la différence entre l’inspiration à des actes déterminés et l’instigation par des méthodes déterminées.

Rizk: Une plaidoirie
vibrante

Après une pause d’une demi-heure, c’est son collègue, Me Rizk, qui prend le relais. En orateur chevronné, l’avocat se lance dans un long discours politique dans lequel il fait essentiellement le procès de l’Etat. Me Rizk prend soin de préciser qu’il n’a jamais fait partie des partisans de M. Geagea, soulignant que s’il a voulu le défendre, c’est parce qu’il «ne peut pas supporter une injustice de cette taille, garder le silence et fermer les yeux sur une erreur qu’on commet». Le ton est donné. Une main dans une poche et l’autre tendue tantôt en direction des magistrats tantôt en direction de M. Geagea, Me Rizk ne tient pas en place. Il n’a pas besoin de micro pour se faire entendre tant sa voix est puissante. Les soldats de la Moukafaha en poste dans le hall s’attroupent à la porte de la salle pour l’écouter et certains journalistes en oublient de prendre des notes. Il faut dire que l’avocat a le don de galvaniser l’audience.
A plusieurs reprises, il souligne que sans son client, l’accord de Taëf n’aurait pas pu être conclu, affirmant que les députés qui se trouvaient dans cette ville séoudienne pour élaborer le texte du document qui devait faire cesser les combats au Liban étaient constamment en contact avec le chef des FL qui avait accordé son aval à ce projet. Me Rizk parle en connaissance de cause. Il se trouvait lui-même à Taëf et avait détenu par la suite trois portefeuilles ministériels.
Après avoir réaffirmé son opposition à la loi d’amnistie et renouvelé ses critiques à l’encontre de ce texte dans la mesure, note-t-il, où il établit une distinction entre les Libanais, Me Rizk rappelle que la loi avait été promulguée avant la création de la Cour de justice et qu’il avait lui-même été visé par un attentat à la voiture piégée du temps où il détenait le portefeuille de l’Information. Le véhicule avait été déposé devant le siège du ministère. «En ce temps, les FL ne contrôlaient pas la région et on ne pouvait pas accuser les forces présentes sur le terrain, tout comme nous n’avions pas accusé celles qui se trouvaient au Chouf d’avoir assassiné Kamal Joumblatt ou celles qui étaient déployées à Beyrouth-Ouest, lorsque Hassan Khaled, René Moawad, Sélim el-Laouzi et plusieurs autres avaient été tués. Nous avions décidé de tourner la page de la guerre pour réunifier le pays et réaliser la paix civile. Pourquoi avoir provoqué ces histoires aujourd’hui?», tonne-t-il. L’écho dans la salle rend son intervention encore plus impressionnante.

Les chefs de milice

En défendant M. Geagea, c’est le procès de l’Etat que Me Rizk fait. Il rappelle que le chef des FL était en faveur la dissolution des milices mais qu’il s’était élevé contre le maintien de certaines forces armées et avait certaines revendications économiques et sociales «parce qu’il était pour l’édification d’un Etat véritable». «Samir Geagea était un milicien mais voyez où se trouvent aujourd’hui les chefs de milice. Pourquoi est-il seul dans le box des accusés? «Ils» s’étaient entendus sur le remboursement à l’Etat de 10 milliards de livres. Mais cet argent a donné naissance à des palais. Pourquoi Geagea voulait-il tuer Michel Murr? Il avait bien encerclé son fils, mais il l’avait quand même relâché. Quel est son mobile et que représente Michel Murr pour (que son assassinat entrave) la dissolution des milices? Comment (le ministre) peut-il soutenir que seules les FL étaient présentes à Antélias? On sait bien que les éléments de cette formation faisaient la navette en mer pour se déplacer entre Jounieh et Beyrouth. Lorsque Béchir Gemayel avait été assassiné, c’était le parti Kataëb qui contrôlait cette région, mais il s’est avéré que c’est un membre du PSNS qui l’avait tué. Lorsqu’on veut se débarrasser de cette manière (un attentat à la voiture piégée) de quelqu’un, on a intérêt à agir dans un milieu contrôlé par d’autres pour avoir un alibi», fulmine-t-il.
Me Rizk insiste sur le point selon lequel M. Murr ne peut pas être considéré comme un leader politique, indiquant «qu’il avait échoué aux élections législatives avant d’être élu sur la liste Kataëb», qu’«il n’avait pas signé l’accord tripartite mais qu’il était seulement présent au moment de sa signature» et «était resté trois ans ministre sans portefeuille avant qu’on ne lui confie le département» de l’Intérieur. L’avocat s’en prend vivement à certains pôles de l’Etat, rappelant les menaces du chef du Législatif, M. Nabih Berry, d’un nouveau 6 février ainsi que l’attitude du pouvoir lors de l’affaire d’Abou Mahjane, avant d’affirmer que son client protestait seulement contre la présence de forces armées. «Est-il possible de réédifier l’Etat en désarmant une seule milice? Quelqu’un peut-il m’expliquer cette histoire d’Armée rouge japonaise? de Kurdes qu’on entraîne? Est-ce Geagea qui mettait en danger la paix civile lorsqu’il réclamait la dissolution de toutes les milices et le règlement des problèmes économiques et sociaux?»
Il met l’accent sur la manière «étrange» qui a caractérisé, dit-il, le transfert du dossier du Tribunal militaire à la Cour de justice. «Michel Murr est resté trois ans ministre et n’a jamais réclamé que son dossier soit transféré devant la Cour de justice. Au départ, les accusés étaient autres que Geagea. Le juge d’instruction militaire avait voulu entendre Nabil Abou Nasr et Joseph Geagea (dans le cadre de l’enquête menée sur la double tentative d’attentat) et Geagea les lui avait envoyés. Le juge les avait entendus avant de les relâcher. Il y avait à l’époque deux personnes emprisonnées (Mohamed Ibrahim et Michel Hambarsoumian) dont on a fait ensuite des témoins», note-t-il. Et de contester ensuite vivement les dépositions de Fady Ghosn, Elie Jabbour et Wafa Wehbé sur base desquelles le chef des FL avait été considéré comme l’instigateur de la tentative d’assassinat de M. Murr. «J’envie Wafa Wehbé qui a les moyens de déjeuner tous les jours au restaurant «Halabi» (à Antélias) et d’inviter Naja Kaddoum lorsqu’il le rencontrait quotidiennement vers midi, midi et demi, ironise-t-il. Wafa Wehbé prétend que Kaddoum épiait les déplacements de Murr, mais ce dernier passait tous les jours sur cette route à 9h15. Est-il possible qu’il continue de le guetter trois heures après son passage?».
Me Rizk rappelle que la défense avait réclamé la convocation de MM. Mohsen Dalloul, Albert Mansour et Joseph Abou Charaf, parce qu’ils pouvaient témoigner de faits concrets. Et d’indiquer dans ce cadre qu’à plusieurs reprises, le chef de l’Etat, M. Elias Hraoui, s’était félicité devant lui de la coopération de M. Geagea avec qui il était en contact «pour obtenir des informations». Il rappelle aussi que lorsque le gouvernement avait décidé de nommer le brigadier Elie Hayek, commandant pour la région du Mont-Liban, ce dernier s’était rendu par voie de mer à Jounieh auprès de M. Geagea qui l’avait installé dans un local relevant des FL.
Me Rizk conclut en se disant persuadé que les magistrats renverront le dossier «parce qu’il est monté de toutes pièces et qu’il a pour seul but de porter atteinte au pays» et en approuvant les points soulevés par son collègue.
Lundi, Me Karam et M. Geagea dissèqueront le dossier point par point.

L’immense salle de tribunal au quatrième étage du Palais de justice a vibré hier au son des voix des avocats de M. Samir Geagea, qui ont mis tout leur poids dans la balance pour tenter de démontrer à la Cour de justice que leur client est poursuivi pour des raisons politiques plutôt que pour un crime dont il n’a pas été établi jusqu’aujourd’hui qu’il en est l’auteur, ont-ils...