ET TRADITIONS
Dans un premier article intitulé «Justice pour les agents de change», paru dans «L’Orient-Le Jour» du 10.12.1996, l’ancien président du Comité de la Bourse de Beyrouth, M. Gabriel Debbas, avait évoqué les irrégularités entachant le nouvelle réglementation boursière au Liban et amputant les droits acquis des anciens agents de change. Revenant à la charge, M. Debbas invoque, à l’appui de ces thèses, les traditions professionnelles qui étaient de rigueur à la Bourse depuis sa création en 1920.
De 25 agents de change dont notre association était formée, il n’en reste plus aujourd’hui qu’une dizaine. Le temps et l’exode ont eu raison des autres. Quant à ceux qui sont restés, un règlement intérieur, élaboré par un comité illégalement constitué, les a réduits au chômage forcé, faisant ainsi fi d’un texte de loi protégeant les droits acquis.
Comme pour se démarquer d’un passé dont ils étaient exclus, les auteurs de cette farce ne se sont même pas donné la peine de convier les agents «indésirables» à la cérémonie d’inauguration des nouveaux locaux de la Bourse. On m’avait pourtant prevenu que courtoisie et «fair-play» ne faisaient pas partie de notre monde.
Au nom des nouveaux concepts d’«emerging markets» et de «private banking» fraîchement importés de l’extérieur, on a cru bon d’opérer la rupture avec le passé. Je ne vois pas l’opportunité de m’étendre sur la vanité d’user de ces expressions au Liban. Ce ne sont que des contenants vides de tout contenu, dont on se sert pour faire «bon chic, bon genre». Il est en effet des paramètres socio-économico-politiques qui définissent le concept de marché émergent, alors que l’introduction du «private banking» au Liban est parfaitement inutile, le secteur bancaire ayant de tout temps offert à sa clientèle des services personnalisés. A force de cultiver l’art de noyer le poisson dans l’eau, on est parvenu à s’éloigner des réalités libanaises.
Pourtant, cette Bourse que l’on s’efforce de promouvoir à coups de séminaires, conférences, congrès, cocktails, accolades et autres célébrations, cette Bourse, elle existe depuis les années 20. Je ne peux m’empêcher de penser avec émotion à ces premiers locaux, face au cinéma Opéra. A l’époque, son président avait pour nom Gabriel Trad et le secrétaire général était Albert Debbas, frère du premier président de la République.
La Bourse, donc, était établie au premier étage d’un immeuble à la lisière de Souk el Nourieh et à moins de 100 mètres de Souk Sursock. Le local petit et étroit était composé de minuscules cabines ou comptoirs loués aux changeurs qui pratiquaient le marché de l’or et des devises. De petits bureaux étaient dévolus également à l’administration. L’espace réservé à la Bourse des valeurs, avec gradins et autres n’a jamais servi. L’ensemble était vétuste et se ressentait de la crasse du voisinage. A Nourieh et Souk-Sursock, un passant devait faire bien attention à ne pas glisser sur les peaux de bananes et autres détritus.
Cependant, ces locaux abritaient un mouvement intense, qui avait principalement pour objet la manipulation des pièces d’or. Les visiteurs ou les touristes ne manquaient jamais de passer par là car il se traitait, dans ces locaux, des échanges d’une exceptionnelle ampleur évalués à plusieurs millions de pièces d’or chaque année. Et Bey-routh était bien placé, alors, pour constituer un des principaux réseaux par où transitaient les grandes transactions sur les métaux précieux.
La Bourse des valeurs n’a jamais vu le jour dans ce secteur. Les transactions sur les titres se passaient entre banques et, incidemment, avec des courtiers spécialisés pour le compte d’une clientèle, fort rare d’ailleurs.
A cette époque donc, il n’y avait pas de valeurs percutantes et les principales se négociaient à la Bourse de Paris. Il fallait essayer de les rapatrier, et un long travail a été organisé avec le concours des services de titres de quatre ou cinq banques assurant la liaison avec Paris. Ces valeurs étaient en très grande partie celles des sociétés concessionnaires qui avaient leur siège à Paris. Elles avaient pour noms: Electricité de Beyrouth, Port de Beyrouth, Radio-Orient, Chemin de fer DHP, Foncière de Syrie. Ce n’est qu’après un bon nombre d’années qu’elles ont pris ou repris leur identité libanaise. C’était le commencement d’une évolution recherchée pour la Banque des valeurs pour aider celle-ci à promouvoir les investissements et la création des sociétés anonymes.
Ce bref historique n’avait d’autre objet que de rappeler qu’il existait des traditions à respecter remontant à l’Empire ottoman, lequel autorisait malgré tout la liberté des changes sur une large échelle. Et la population de tous ces territoires du Moyen-Orient, en particulier le Liban, demeurait respectueusement à mi-chemin de l’Occident. Le capital et le bas de laine ne connaissaient pas d’autre chemin que la propriété foncière et les bourses bien garnies de pièces d’or. Etions-nous en retard sur l’éventail futuriste occidental? Avons-nous fait fausse route? Avons-nous combattu le progrès ou l’évolution? L’on connaît la suite: le boom des années 60 puis les diverses secousses qui ont ébranlé le marché. Tout au long de cette phase de l’histoire de la Bourse, les agents de change veillaient au grain. Je ne me souviens d’aucune défaillance ou d’incident de parcours susceptibles d’ébranler la confiance des investisseurs de l’époque, dont un bon nombre sont restés les actionnaires d’aujourd’hui. C’est que, de par notre collaboration avec le Comité et en étroite association avec le ministère des Finances, nous amendions sans cesse le règlement intérieur, suivant par là les besoins du marché.
Pourquoi nous sommes-nous insurgés contre le nouveau règlement de la Bourse? Pourquoi rejetons-nous les dispositions relatives aux agents de change?
Quelles raisons a invoqué le Comité pour nous écarter du circuit? La loi sur la Bourse a confirmé les droits acquis par les agents. Nous sommes, par contre, réfractaires à toutes les dispositions nouvelles prises par le Comité pour prétendument améliorer le standing de la Bourse en y ajoutant certaines obligations qu’il est matériellement impossible aux anciens agents d’exécuter.
Estimant qu’une société anonyme inspire plus de confiance qu’un agent ayant plus de 50 ans d’expérience, le nouveau règlement intérieur à sonné le glas de la Bourse des valeurs, étant bien enterdu qu’aucune institution, financière ou autre, n’est habilitée à s’exprimer au nom des agents, ceux-ci n’ayant délégué personne pour parler en leur nom.
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