
De gauche à droite : Aya Abou Mrad, Michelle el-Hosn, Marybelle Nasr, Chris Aoun
Doit-on être seul pour vivre ensemble ?
Par Aya Abou Mrad
La solitude est souvent perçue comme un refuge, une forme d’autonomie, un calme propice à la paix intérieure. Mais cette paix aussi séduisante soit-elle, est-elle vraiment la bonne voie vers la vie commune ?
Il faudrait apprendre à être seul pour mieux vivre avec les autres, pense-t-on. Il faudrait se retrouver soi-même, s’isoler, faire le vide… Comme si l’on pouvait se préparer à la vie commune en fuyant les autres. Cette idée, aussi tentante qu’elle puisse paraître, soulève un véritable paradoxe.
Partant de ce constat, permettez-moi de vous poser une question : peut-on apprendre à danser sans musique ? À nager sans eau ? À cuisiner sans ingrédients ? Peut-on vraiment apprendre à vivre en altérité en étant seul ? La réponse est non, un non retentissant.
Vivre avec autrui n’est pas une compétence que l’on prépare dans le silence. C’est une expérience qui ne s’apprend qu’avec les autres. Car vivre ensemble, c’est justement se confronter aux autres, puisque c’est dans le regard qu’on croise, dans le désaccord qu’on surmonte, dans la main qu’on tend, que l’on devient capable de cohabiter ensemble.
(…) La société précède toujours l’individu. Au travail, dans le métro, dans les files d’attente, on apprend sans y penser les règles silencieuses du vivre-ensemble : céder sa place, respecter l’espace de l’autre, baisser un peu la voix. Ce sont des gestes simples qui pourtant se basent sur la même logique : apprendre à coexister, à coopérer, à composer avec les différences.
Parce qu’on ne devient pas citoyen, collègue, partenaire, parent… en se coupant du monde. C’est par les autres qu’on apprend à se connaître. Sartre disait : « L’homme n’est rien d’autre que ce qu’il se fait. » Mais pour se faire, encore faut-il se frotter au réel, affronter des opinions contraires, se confronter à la différence. Car seul, on ne se contredit pas. Seul, on ne négocie rien. Seul, on n’avance pas.
Être seul, ce n’est pas forcément apprendre à mieux vivre avec les autres. C’est parfois oublier comment les comprendre, comment les accueillir, comment les supporter. C’est fermer les fenêtres au lieu de les ouvrir. Et que devient une société où chacun s’enferme dans sa bulle ? Un désert. Un archipel de silences, incapable de s’ouvrir, de s’adapter, d’interagir. (…)
Alors non, on ne doit pas être seul pour vivre en communauté. On doit être présent. Présent pour les autres, présent avec les autres. Présent pour échanger, pour écouter, pour construire même quand c’est difficile. Et c’est précisément cela, vivre ensemble : reconnaître que l’autre n’est pas un obstacle, mais une condition de notre équilibre.
Regardez autour de vous. Ce que vous pensez de vous-même, vos qualités, vos défauts, vos forces, vos failles, tout cela s’est formé dans l’interaction : dans les compliments reçus, dans les critiques entendues, dans les relations et les expériences vécues.
Ce n’est pas en étant seul que l’on apprend à coexister avec les autres, mais bien dans la vie partagée que l’on apprend à se découvrir soi-même. Toute conscience, dit-on, est conscience de quelque chose. Autrement dit, la conscience n’existe que dans sa relation au monde. Privée des autres, elle se fige, se perd, puis s’éteint doucement.
En définitive, la solitude peut être une pause, une respiration pour se recentrer. Mais la vie collective demeure le souffle vital. Vivre ensemble demande du courage. C’est accepter que le « je » ne suffit pas. Que le « nous » est essentiel. Ça bouscule. Ça dérange. Mais c’est là, précisément, que l’on apprend la tolérance, le respect, la confiance, pas dans l’isolement, mais dans l’échange. Car comme on ne devient pas forgeron sans forge, on ne devient pas humain sans humain. ❤
Même en 100 ans aurions-nous le temps ?
Par Chris Aoun
On court tous après quelque chose.
Des rêves, des projets, des « plus tard », des « un jour peut-être ».
On remplit nos journées, nos agendas, nos têtes.
Et pourtant… on a toujours l’impression de manquer de temps.
On se demande alors : « Même en 100 ans aurions-nous le temps ? »
Le temps. Une obsession qui nous dévore.
On dit : « Je n’ai pas le temps », « Le temps passe trop vite », « J’aurais voulu avoir plus de temps ».
Mais est-ce que le problème, c’est vraiment le temps ?
Ou ce qu’on en fait ?
Je me souviens d’un moment tout simple.
C’était un dimanche. Je devais travailler, j’avais plein de choses à faire.
Soudainement, mon petit frère est venu me voir avec son livre à la main et m’a dit :
« Frérot, tu peux me lire une histoire ? »
En premier, j’ai hésité. Puis, je lui ai dit : « Désolé mais pas maintenant. »
Il a baissé les yeux, et il est reparti avec un air tout triste.
Ce jour-là, j’ai compris quelque chose.
Ce n’est pas qu’on n’a pas le temps.
C’est qu’on le donne à autre chose.
Des choses qui peuvent bien attendre.
La phrase « Je le ferai plus tard » montre déjà à quel point on ignore l’importance et la valeur du temps.
Alors oui, on pourrait vivre 100 ans.
On pourrait avoir une vie longue, pleine de jours, de semaines, de mois.
Mais si on ne prend jamais le temps pour l’essentiel
bien sûr, 100 ans ne suffiront pas.
Et vous savez quoi ?
C’est justement parce que notre temps est limité qu’il est précieux, qu’il vaut plus que n’importe quelle chose sur terre.
C’est parce qu’on n’a pas l’éternité qu’on a cette envie de faire, de créer, d’aimer, de se lever chaque matin avec l’excitation de vivre.
Si on avait l’infini… on finirait par s’ennuyer.
Il n’y aurait plus d’urgence, plus de feu dans le cœur.
Le temps perdrait sa valeur.
Parce que le vrai temps, ce n’est pas celui qui passe.
C’est celui qu’on partage.
Avec ceux qu’on aime.
Avec ce qui nous rend vivant.
Un regard, un rire, une balade sans téléphone, un « je t’aime » qu’on ose enfin dire.
C’est ça, le vrai temps.
Et il est là, maintenant. Pas demain, pas plus tard.
C’est le présent qui est le cadeau.
Alors, si l’on devait se poser une question, ce ne devrait pas être « Aurait-on le temps avec 100 ans ? »
Mais plutôt :
« Et si on arrêtait d’attendre d’avoir le temps… pour vivre vraiment ? » ❤
Les frontières nous séparent-elles ?
Par Michelle el-Hosn
L’alphabet phénicien.
Né il y a plus de 3 000 ans, dans un petit port de chez moi.
Il est devenu la base de toutes les lettres que vous utilisez aujourd’hui, dans votre quotidien.
Les Phéniciens, mes ancêtres, n’avaient pas de visas.
Ils avaient des bateaux, du commerce… et des mots.
Ils sillonnaient les eaux.
Pas pour conquérir.
Pour relier.
Alors aujourd’hui, si quelqu’un ose dire que
Les frontières séparent les humains…
Je vous le dis franchement :
Ne parlez plus.
Parce que parler, c’est déjà traverser une frontière.
Celle que mes ancêtres ont ignorée pour que nous puissions nous comprendre aujourd’hui.
Fermez les yeux une seconde. Imaginez. Vous avez 16 ans. Fou·folle amoureux·se. Mais tout vous dit : « Vous ne devez pas être ensemble. » Et pourtant, vous êtes prêt·e à tout pour franchir l’interdit.
Maintenant, ouvrez les yeux.
Quand il s’agit d’humanité, pourquoi ne sommes-nous plus ces Roméo et Juliette, prêts à briser les barrières, à franchir les murs ? (…)
On a tracé des lignes sur du papier.
Puis, ces lignes sont devenues des lois.
Et aujourd’hui, un enfant né à quelques mètres d’un autre
n’aura ni les mêmes droits,
ni les mêmes chances,
parfois… même pas le droit d’exister.
Et pourtant, on continue de blâmer les frontières.
Au lieu d’affronter notre propre déshumanisation.
Je suis libanaise.
Et je suis la preuve vivante que les murs ne tiennent pas face à l’humanité.
Chez nous, les frontières sont l’une des plus dangereuses au monde.
On est entourés du nord au sud par des peuples qui souffrent,
des enfants qui apprennent à courir plus vite que les bombes,
Et pourtant malgré les guerres qui tombent à nos portes,
On s’est levés.
On a soutenu les innocents. On a accueilli, protesté, pleuré avec eux.
On nous a dit : « Ce n’est pas votre guerre. » Mais comment détourner le regard… quand une mère vous tend son enfant décapité ?
Un pays qui pleure les autres comme il pleure ses propres enfants.
Et moi ?
Moi je suis née là-bas.
Là où, sur les formulaires, on coche : « origine étrangère ».
Là où un passeport ralentit les contrôles.
Là où les bombes ont failli nous empêcher de venir ici le vendredi.
Et aujourd’hui, je suis en France.
Entre nous il y a mille frontières.
Certaines m’ont accueillie.
D’autres m’ont vue comme « l’étrangère ».
Mais soyons honnêtes :
Si les frontières étaient un vrai obstacle,
je ne serais pas là.
Devant vous.
Écoutée. Acceptée.
Je serais rejetée par tout le monde.
Regardez l’Union européenne :
Des pays autrefois en guerre, aujourd’hui liés.
On peut aimer à Amsterdam, se marier à Rome, travailler à Bruxelles, vivre à Paris.
Les frontières sont là.
Mais, ils ont choisi de les traverser ensemble.
En faisant des différences une richesse, pas une menace.
Aujourd’hui, même la nourriture est un moyen de ressentir d’un pays et d’un peuple.
Le houmous — ou hemmous chez nous —, le taboulé, le fattouche…
Ils sont partout.
Même dans vos supermarchés.
Et personne ne les a arrêtés à la frontière.
Parce qu’entre nous :
Qui peut dire non à un bon plat libanais,
pendant que Ana la habibi de Fairouz résonne doucement en fond ?
Et c’est ça, la clé.
Les vraies frontières ne sont pas tracées sur une carte.
Elles sont dans les esprits.
Elles naissent quand on entend nous dire :
« Tu viens d’un pays compliqué. »
Ou : « Chez vous, c’est la guerre, non ? »
Oui, chez moi il y a eu la guerre.
Mais ce n’était pas les armes, le vrai danger.
Ce sont les humains quand ils ont choisi de se séparer par peur de l’autre, ou par oubli de leur humanité.
Un TikTok libanais peut faire pleurer un Colombien.
Un piano à Paris peut consoler un cœur à Beyrouth.
La vie humaine cherche toujours à se rejoindre.
Et là où il y a des murs,
les mots trouvent des ponts.
Pour nous rappeler une chose :
Tant qu’il y aura une seule voix pour aimer,
aucune frontière ne tiendra.
Alors, si vous cherchez une preuve
que l’amour traverse les frontières…
Ne regardez pas les cartes.
Regardez-nous. Ici. Maintenant. (…)
Comme l’a écrit Gibran Khalil Gibran :
« La terre est ma patrie, l’humanité est ma famille. » ❤
À chercher l’équilibre finit-on par tomber ?
Par Mary-Belle Nasr
Chers jurés, cher public, je vous invite à fermer les yeux et à imaginer un funambule, balancé entre ciel et béton, marchant sur un fil aussi fin qu’une promesse : chaque pas un vertige, chaque souffle un pari avec le vide.
Nous sommes tous ce funambule, un peu bancal, un peu brisé, à chercher l’équilibre que la vie nous promet, mais qui souvent nous trahit.
Car à force de vouloir se tenir debout, nous oublions parfois qu’on peut tomber sans jamais être vaincu.
Alors à chercher l’équilibre… finit-on par tomber ?
Je vous demande d’ouvrir calmement les yeux, et d’embarquer avec moi dans ce voyage fragile, de plonger dans ce vertige lumineux, de découvrir pourquoi tomber c’est parfois le seul moyen de vraiment vivre.
À force de vouloir tout contrôler, tout maîtriser, nous oublions que l’équilibre n’est qu’une illusion, un mirage qui nous glisse entre les doigts.
Un équilibre parfait ? C’est un funambule figé, immobile, mort avant même d’avoir goûté à la chute.
Car c’est dans le déséquilibre que réside la vie, dans le vacillement, le doute, l’éclat d’une larme qui brûle.
Un secret simple, toute la sagesse du Liban dans ces mots. Un pays qui malgré les ruines et les tempêtes, se relève toujours, ardent, incandescent, vivant.
Dans notre quotidien de Libanais, l’équilibre est précaire. Pas plus tard qu’hier, les bombardements qui ont ravagé Beyrouth ont failli nous empêcher de participer à cette grande finale. Mais nous, nous sommes nés funambules et nous avons appris à nous accrocher à la corde fine, à avancer coûte que coûte.
Tomber n’est pas mourir, c’est renaître. (…)
À quoi bon rester debout, si c’est pour avancer sans jamais se remettre en question ?
Le grand écrivain libanais Alexandre Najjar écrit : « La douleur est la racine du courage, et le courage est la fleur de la vie. » (…)
À chercher l’équilibre, on oublie souvent qu’être humain c’est être fragile.
Alors oui, on finit par tomber. Mais tomber c’est accepter d’être vivant, c’est oser le désordre, c’est défier le vide.
Car comme Sénèque l’écrivait à Lucilius : « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles. » Alors tombons, osons, recommençons. Car le vrai courage n’est pas de rester debout, mais de ne pas avoir peur de tomber.
Certaines chutes ne guérissent jamais. Celles qui brisent plus qu’un os, plus qu’un rêve, plus qu’un cœur. Celles qui laissent des cicatrices invisibles, des silences lourds, des absences criantes.
Dans le Liban que j’aime, dans les ruelles de Beyrouth, des familles entières ont chuté, non pas sur un fil tendu, mais dans l’abîme d’un souffle qui s’est arrêté trop tôt.
Alors oui, tomber c’est humain. Mais parfois tomber c’est perdre un peu de soi, un peu de tout.
Et c’est là que le vrai courage commence : dans la douleur, dans la rage, dans la mémoire, dans la force indomptable de relever le regard même quand le vide semble infini.
Car, au bout du compte, ce n’est pas la chute qui définit l’homme, mais la volonté inébranlable de se relever encore, toujours, envers et contre tout.
Alors tombons. Tombons bien. Tombons avec classe.
Mais surtout ne fermez jamais les yeux. ❤