
Un bâtiment endommagé par l’aviation israélienne, dans le centre de Tyr, le 23 mars 2025 au lendemain de l’attaque. Photo Matthieu Karam/L’Orient-Le Jour
L'année 2024 a été marquée par une « hausse des violations des droits humains », a conclu le rapport annuel de la Commission nationale des droits de l'homme, comprenant le Comité pour la prévention de la torture.
Le constat de l'institution nationale indépendante, établie par une loi de 2016, et qui inclut le Comité pour la prévention de la torture, a été exposé mardi au cours d'une conférence de presse tenue à Beyrouth, devant une assistance composée de représentants d’organisations affiliées aux Nations unies, ainsi que de diverses organisations actives dans des domaines connexes, selon l’Agence nationale d'information (ANI, officielle).
La Commission, dont le rôle est d’« œuvrer à la protection et à la promotion des droits de l’homme au Liban », y présentait son rapport annuel ainsi qu’un second consacré aux conséquences de la récente guerre entre le Hezbollah et Israël.
« Un cri de conscience »
Intitulé « Promouvoir les droits de l’homme et le droit international humanitaire : lutter contre la torture et les violations graves », le rapport annuel aborde de manière plus large les droits humains (éducation, santé, justice, discriminations à l'encontre des plus vulnérables, conditions carcérales), en s'appuyant notamment sur les chiffres déjà publiés par des organisations internationales (Unicef, Banque mondiale...) ou nationales (SKeyes, Helm), ainsi que sur des données officielles et des articles de presse.
« Il ne s'agit pas de simples compilations de faits ou de chiffres, mais d'un cri de conscience », a déclaré le président de la CNDH, Fadi Gerges pendant la conférence, selon le site de la Commission. « Nous avons été témoins de l’effondrement des droits fondamentaux des Libanais — la santé, l’éducation et le logement, jusqu’à la liberté d’expression, la justice et la reddition de comptes — sous le poids de l’effondrement financier et des agressions militaires », a-t-il affirmé.
Comme le suggère son titre, le rapport consacre un volet à la torture, que le pays considère comme un crime au sens de la Convention internationale ratifiée en 2000 — parmi d'autres textes engageant le Liban dans ce domaine — depuis l'adoption d’une loi votée en 2017.
Parmi les exemples mis en avant pour étayer ses conclusions, le rapport revient essentiellement sur l’affaire de Bachar Abdel Saoud, un détenu syrien mort sous la torture en 2022 au bureau régional de la Sûreté de l’État à Bint Jbeil. En 2024, le tribunal militaire avait requalifié les faits en un simple délit, abandonné les poursuites engagées en vertu de la loi anti-torture, en se basant sur l'article 166 du Code de justice militaire, qui interdit la violation des règlements, des ordres et des instructions générales. Une décision dénoncée par Amnesty International, qui l’a qualifiée d’« occasion manquée » pour la justice libanaise.
Le rapport liste également les activités de la Commission en matière de prévention de la torture, et revient sur le cas de réfugiés et migrants syriens expulsés de force vers la Syrie, où certains ont été arrêtés. Citant un rapport du Syrian Network for Human Rights, « 36 personnes ont été arrêtées parmi celles qui ont été forcées de regagner la Syrie depuis le Liban en juin 2024 ». « Les autorités libanaises ont expulsé plus de 1 400 réfugiés syriens en 2024 jusqu’à présent, en violation flagrante du principe de non-refoulement consacré par la Convention des Nations unies contre la torture », peut-on encore lire dans le rapport.
Les auteurs du document reviennent également sur l’affaire Meseret Hailu, une travailleuse domestique migrante, qui a porté plainte pour esclavagisme contre son employeur en 2020. L’interrogatoire de l’accusé a eu lieu cette année, indique le rapport, qui précise que parmi les chefs d’accusation figure la torture.
Pour remédier à ces failles, les auteurs du rapport recommandent au Liban « de travailler plus sérieusement à l'adoption de législations, telle que la loi anti-torture, et de veiller à ce que les responsables de violations des droits de l'homme soient obligés de rendre compte de leurs actes », en mettant en place des « mécanismes indépendants et transparents » pour encadrer les enquêtes comme les poursuites.
Guerre et prison
Le rapport annuel s’attelle aussi aux conséquences de la guerre sur les conditions carcérales, en évoquant le transfert de détenus vers des zones « sûres » après la fermeture de prisons et de centres de détention, ce qui a entraîné « une surpopulation carcérale sans précédent et une pression accrue sur un système pénitentiaire déjà fragilisé par le manque de services de base tels que les soins de santé et l’alimentation ».
« Nous avons effectué plus de 200 visites dans des centres de détention et des prisons, et nous avons été confrontés à une réalité sombre qui exige un plan national global pour réformer ce secteur sensible », a déclaré Fadi Gerges. « Nous ne pouvons pas parler de dignité humaine dans un pays où les droits des détenus sont violés sans qu’il y ait de reddition de comptes. »
Le second rapport, intitulé « Le Liban sous le feu : défis pour l’État de droit et le respect des droits de l’homme durant la guerre israélienne contre le Liban », révèle que la Commission a documenté plus de 14 775 attaques israéliennes ayant entraîné la mort de plus de 4 000 personnes et provoqué des milliards de dollars de dégâts. Selon la Commission, ce rapport « révèle également l’échec de l’État libanais » à « aborder les défis de l’après-guerre, notamment l’absence d’un plan dirigé par l’État pour le retour des personnes déplacées ».