
Scènes de désolation après l'explosion au port de Beyrouth, le 4 août 2020. Photo AFP
Craignant une tentative de saboter le cours de la justice, l’Association des familles des victimes de l’explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth a mis en garde, mercredi, contre une possible manœuvre parlementaire visant à accorder l’immunité aux députés poursuivis dans ce drame. À l’occasion du 58e mois de leur mobilisation, les familles ont exhorté le président Joseph Aoun et le Premier ministre Nawaf Salam à empêcher l’ouverture d’une session parlementaire extraordinaire avant le 13 juin, date-clé dans l’enquête menée par le juge Tarek Bitar.
« Nous craignons que l'appel du Parlement à une session extraordinaire avant le 13 juin, date de la session prévue pour interroger le député accusé Ghazi Zeaïter devant l'enquêteur judiciaire, ne soit utilisé comme un moyen d'accorder l'immunité aux parlementaires accusés et de les empêcher de comparaître devant le juge Tarek Bitar dans l'affaire du crime du port », a souligné l’association dans un communiqué. « Cette décision serait considérée comme une obstruction à la justice et rouvrira la plaie saignante que nous essayons de guérir par la vérité et la redevabilité », a ajouté le communiqué.
Le juge d’instruction Tarek Bitar, chargé de l’enquête sur l’explosion au port de Beyrouth, a fixé au vendredi 13 juin la date d’audition de l’ancien ministre des Travaux publics et député Ghazi Zeaïter, mis en cause dans cette affaire. L'enquête judiciaire visant à déterminer les responsabilités de ce drame, qui a coûté la vie à 235 personnes et blessé plus de 6 500 autres, n’a toujours pas abouti.
Les familles ont affirmé suivre avec « beaucoup d'espoir et de prudence les récents développements judiciaires dans le dossier (...) Nous attendons avec impatience la fin de l'enquête avec tous les accusés, indépendamment de leur statut politique ou judiciaire, car personne n'est au-dessus de la loi, quelle que soit sa position ».
L’association a enfin salué « les mesures judiciaires audacieuses prises par le juge Tarek Bitar, après des années d'obstruction et d'ingérences politiques », estimant qu’il s’agit d’une « victoire pour la justice et le droit de connaître toute la vérité sur les personnes qui ont introduit les matériaux explosifs, ont négligé, couvert et entravé l'enquête ».
Après 26 mois d’entraves, Tarek Bitar, juge d’instruction près la Cour de justice, chargé d’enquêter sur l’explosion au port de Beyrouth, a les mains libres depuis le 10 mars, après la suppression de l’interdiction imposée en janvier 2023 au parquet et à la police judiciaire par l’ancien procureur général Ghassan Oueidate, de coopérer avec lui.
Hoteit dénonce une « politisation de la justice »
De son côté, le président d’une autre association des familles des victimes, Ibrahim Hoteit, a adressé une lettre au président Joseph Aoun, dénonçant « la politisation flagrante de la cause nationale et humanitaire des familles des victimes », qui se concrétise notamment « par des accusations politiques, des arrestations arbitraires, des convocations discrétionnaires et populistes, l’absence de normes unifiées et du professionnalisme judiciaire ». « Cela a conduit à diviser verticalement les rangs des familles des martyrs », a-t-il regretté, dénonçant « une façon suspecte de travailler de la part du juge d’enquête » et « des juges, des avocats qui bafouent les lois et la constitution pour plaire à leurs référents politiques ». « Nous craignons aujourd’hui que l’enquête ne revienne au point de départ », a-t-il ajouté. M. Hoteit est réputé proche du Hezbollah et est hostile au juge Bitar.