© Anoush Abrar
La Très Catastrophique Visite du zoo de Joël Dicker, Rosie Wolfe, 2025, 223 p.
Mine de rien, en toute simplicité mais avec beaucoup d’aplomb, il s’est hissé au plus haut niveau de vente des livres, a ouvert sa propre maison d’édition et prend au collet des millions de lecteurs du monde entier ! Joël Dicker, écrivain suisse romand de trente-neuf ans, est le nouveau phénomène de la littérature francophone.
En presque vingt ans, avec une dizaine d’ouvrages de fiction, toujours à trame de thriller captivant, il s’est taillé une place au soleil. Avec récompenses, prix prestigieux (Prix des écrivains genevois, Grand Prix de l’Académie française, Prix Goncourt des lycéens) et traduction en plus de 40 langues étrangères. Sans oublier que sa prose, La Vérité sur l’affaire Harry Quebert, a même inspiré une série américaine, produite par la MGM et réalisée par Jean-Jacques Annaud.
Aujourd’hui, il sort son dernier roman La Très Catastrophique Visite du zoo qu’il voudrait « multigénérationnel » et tremplin pour des lecteurs de 7 à 77 ans quoique l’auteur parle, non sans être pince sans rire, de lecteurs jusqu’à 103 ans ! Non ce n’est pas Tintin, mais c’est tout comme, car la notion de l’émerveillement et des découvertes de l’enfance y a la part belle ! Et ce roman, presque issu de la bibliothèque verte, bouscule les données et le succès des livres dits et classés sérieux et profonds…
Sans déroger à sa narration policière et sa propension à démêler l’écheveau des histoires à mystère, son dernier écrit, au titre faussement enfantin, comme pour un ouvrage de jeunesse, touche, une fois de plus, en accordant la parole à sa jeune héroïne Joséphine à tous les topiques, graves et importants, d’une société où la « vérité » est soigneusement bâillonnée. Dès le prologue, le lecteur est happé par ce récit où l’enfance n’est pas forcément aveugle innocence. Ceux qu’on désigne comme pas normaux, handicapés d’une certaine manière, dotés d’un regard toujours différent et lucide, ont droit ici à la parole, interrogent le monde et le jugent. Pour une plus saine transparence.
Une quête menée rondement et en toute fluidité par six enfants, après une obscure inondation de leur école, à travers une visite au zoo, en compagnie de leurs parents, va mettre à nu les défaillances et les failles délibérément soigneusement camouflées et rendues invisibles.
Des siphons obstrués par la pâte à modeler et des robinets laissés se vider de leur eau, voilà la source du mal. Alors voyage impromptu pour découvrir les fauteurs de trouble… Pour ce voyage fantasque et rocambolesque, sur un ton amusant, alliant humour, bienveillance, piques légèrement acides, scènes touchantes et coups de théâtre cocasses et farfelus, le texte s’en prend à diverses notions sociétales. Solidement cadenassées ! Une liste bien longue mais non exhaustive. Et on nomme la tolérance, la richesse de conjuguer les différences, la démocratie et ses diverses perceptions, la censure ses limites et ses libertés, l’obscurantisme et sa dictature, les influences des parents sur l’éducation, le rapport des enfants à leurs parents et aînés… Autant de questionnements que de problèmes traités sur un tempo cordialement jovial. Tels les petits cailloux du Petit Poucet jetés sur une route pour s’y retrouver et ne pas se perdre… Et à aucun moment, dans cet esprit badin, la gravité ou la profondeur du sujet suggéré, ne sont jetées aux oubliettes. Comme si la part de l’enfance est la lumière de l’âge adulte.
Joël Dicker, en bon Suisse, pacifique et neutre, retiré dans son pays havre de paix, a voulu conquérir un nouveau public en prônant la défense du vivre-ensemble. En mettant à l’avant-scène des enfants touchés par l’anormalité. On plonge avec plaisir dans ce livre où la drôlerie est omniprésente, même si parfois elle est au ras des pâquerettes et répétitive.
Un livre hors des sentiers battus pour jeunes et moins jeunes. Il ne faut pas bouder son plaisir et se jeter à l’eau sans pusillanimité. Nul ne le regrettera !