Le drapeau de la Tunisie. Photo d'illustration AFP
Des familles de détenus politiques en Tunisie et leurs avocats ont annoncé vendredi leur transfert sans avertissement vers des prisons éloignées, dénonçant une « décision répressive » et du « harcèlement ». Au moins sept prisonniers, comme les opposants Issam Chebbi et Ridha Belhaj, ont été déplacés jeudi de la prison de Mornaguia, près de Tunis, vers notamment la prison de Borj Erroumi, près de Bizerte (nord), et celle de Siliana (centre-ouest), a indiqué à l'AFP l'avocate Dalila Msaddek.
« Ils ont été transférés sans avertir leurs familles ni leurs avocats », a ajouté Mme Msaddek, dénonçant une « décision répressive » alors que ces prisons sont à au moins une heure de Tunis. Ces détenus ont été condamnés en avril à des peines allant jusqu'à 74 ans de prison dans le méga-procès pour « complot contre la sûreté de l'Etat » où comparaissaient une quarantaine de personnes dont des figures politiques.
Sous les régimes des autocrates Habib Bourguiba et Zine el Abidine Ben Ali, la prison de Borj Erroumi, un ancien bunker de l'armée française construit en 1932 sous la colonisation, a incarné l'enfer carcéral. Certains transferts ont été « musclés », notamment ceux de MM. Belhaj et Chebbi ainsi que de Ghazi Chaouachi, condamnés à 18 ans de prison, face à leur refus, selon l'avocate. « C'est du harcèlement contre ces détenus, leurs familles et leurs avocats pour rendre leurs visites encore plus difficiles », a-t-elle affirmé.
Dans une vidéo, l'épouse de Issam Chebbi a dénoncé « une injustice » et « un grand abus », soulignant avoir été informée de son transfert à Borj Erroumi le jour de sa visite hebdomadaire du jeudi alors que son époux ne l'a su qu' »une heure avant ». En Tunisie, les visites hebdomadaires permettent aux familles d'apporter aux détenus des paniers de nourriture pour tenir toute la semaine.
Ces visites deviennent « un calvaire » pour les familles et les avocats en raison des longues distances à parcourir, a renchéri Me Sami Ben Ghazi, avocat de plusieurs détenus. Le procès dit du « complot » s'est tenu en trois audiences, sans audition des prévenus, ni réquisitoire ni plaidoiries de la défense. Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme a dénoncé une procédure « entachée de violations du droit à un procès équitable ». Des critiques venues aussi de France et d'Allemagne ont été qualifiées d' »ingérence flagrante » par le président tunisien Kais Saied.
Depuis un coup de force à l'été 2021 de M. Saied, les ONG tunisiennes et étrangères ont dénoncé une régression des droits et libertés en Tunisie. Lors d'une manifestation vendredi soir à Tunis en soutien à l'avocat ténor du barreau Ahmed Souab, emprisonné pour des déclarations fustigeant les pressions sur les juges lors du procès du « complot », plusieurs personnalités ont dénoncé ces déplacements de prisonniers.
« On vit un retour aux anciennes pratiques de la dictature de Ben Ali pour démoraliser les opposants en prison par leur transfert d'une prison à l'autre », a déclaré à l'AFP l'opposante Chaima Issa. Après lui avoir rendu visite en prison, l'épouse de M. Chebbi a dénoncé des « conditions carcérales au niveau zéro: Issam est dans une pièce avec 60 personnes », a-t-elle dit.