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Culture - Photo

Ce que racontent les archives photographiques des pères jésuites exposées à l’IMA, un siècle plus tard

Jusqu’au 4 janvier 2026, les visiteurs de l’IMA peuvent découvrir l’exposition d’une riche sélection de photographies anciennes du Liban, issues de la Bibliothèque orientale de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth. Une plongée visuelle et narrative réjouissante.

Ce que racontent les archives photographiques des pères jésuites exposées à l’IMA, un siècle plus tard

Port de Beyrouth, tirage sur papier baryté 6x9 cm, vers 1908, Fonds Pierre de Vrégille sj. ©Bibliothèque Orientale - USJ

La synchronicité de l’accrochage photographique des archives de l’USJ avec l’exposition « Trésors sauvés de Gaza – 5 000 ans d’histoire », est un hasard de calendrier, même si les deux approches relèvent d’un même sursaut. « La question du patrimoine en danger et le rôle primordial de la photographie, notamment française, dans la documentation de ce patrimoine rapproche les deux expositions. Les collections des pères jésuites de Beyrouth et des pères dominicains de Jérusalem, dans l’exposition de Gaza, montrent de façon complémentaire l’importante richesse archéologique et patrimoniale du bassin méditerranéen», explique Gassia Artin, l’une des deux commissaires de l’exposition « Photographier le patrimoine du Liban, 1864-1970 ».

Une vue de l’exposition à l’Institut du monde arabe (IMA) de photos d’archives issues de la Bibliothèque orientale de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth. Photo Yasser Gharooni

Celle-ci orne les cimaises du musée de l’Institut du monde arabe (IMA) d’une série de clichés méconnus, extraits du fonds de la Bibliothèque orientale de l’USJ. Afin d’illustrer les cours qu’ils donnaient et les articles qu’ils publiaient dans les Mélanges de la Faculté Orientale, à partir de 1906, devenus en 1929 les Mélanges de l’USJ, ces savants ont sillonné les sites du Liban, réunissant une vaste documentation. Des paysages, des monuments, mais aussi des scènes de la vie quotidienne, traversent le siècle. On s’attarde à souhait devant le souk tripolitain des couturiers, face au détail des sculptures du temple de Niha, ou à une version révolue d’un Nahr el-Kalb végétalisé, traversé par un fleuve aux eaux claires. Une vue d’avion de Sidon, datant de 1934, raconte l’effervescence du port, la citadelle de la mer, les plantations agricoles aux abords de la ville, mais aussi le regard à la fois émerveillé et impatient derrière l’objectif.

Le commissariat de l’exposition a été mené par deux chercheurs de renom, Joseph Rustom et Gassia Artin. Directeur de la Bibliothèque orientale, architecte du patrimoine et professeur associé à l’École supérieure d’architecture de Beyrouth (ESAR-USJ), le premier est titulaire d’un doctorat en urbanisme. Ses publications récentes explorent les liens entre l’architecture et le déplacement au Liban. Docteure en archéologie orientale, Gassia Artin mène des recherches avancées sur les pratiques funéraires du Levant à la période chalcolithique. C’est elle qui a suggéré à l’IMA le projet de cette exposition. « Cela me semblait opportun, après l’entrée de 34 sites libanais sur la liste de protection renforcée de l’Unesco. Avec les 150 ans de l’USJ et de la Bibliothèque orientale, c’était le moment idéal pour célébrer le patrimoine archéologique du Liban. Le soutien du président de l’IMA Jack Lang a d’emblée été inconditionnel », enchaîne celle qui a fait sa thèse sur le site de Byblos.

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La constitution du corpus de l’exposition n’a pas été évidente pour les commissaires et le directeur du musée de l’IMA, Eric Delpont. « Les fonds photographiques de la Bibliothèque orientale comportent près de 400 000 clichés : nous avons choisi de mettre en relief les fonds majoritairement jésuites, les clichés emblématiques des différentes régions, ainsi que les sites mis en danger durant la dernière guerre», précise Joseph Rustom. Le directeur insiste sur le rôle déterminant des jésuites dans la valorisation du patrimoine libanais. « Revenus au Liban à partir de 1831, ils étaient prédisposés à l’étude de l’Antiquité gréco-romaine ainsi qu’à celle des langues et des religions anciennes, et ils ont saisi les différents sites et monuments dans le cadre de leurs recherches, comme le montrent le fonds Alexandre Bourquenoud ou le fonds René Mouterde sj. Ils ont aussi été pionniers dans les découvertes sur la préhistoire du Liban (fonds Maurice Tallon sj, fonds Sébastien Ronzevalle sj), et en matière d’archéologie aérienne et maritime (fonds Antoine Poidebard)», surenchérit-il vivement.

La grotte d’Antélias, l’édicule de Hosn Niha et les cloches de Beit Chabab

Le visiteur découvre ainsi 77 clichés, dont 65 en noir et blanc et 12 en couleur. « Les clichés en couleur servent d’arrière-plan, ils introduisent chaque région avec une focalisation sur l’élément humain, pour montrer la corrélation entre l’homme et son cadre géographique ou sa région d’appartenance. Cela permet de questionner la place et le rôle de l’homme dans la préservation de son patrimoine archéologique et écologique» , insiste Gassia Artin. La richesse du corpus permet également de réfléchir aux institutions qui préservent le patrimoine. « Les fonds de la Bibliothèque Orientale sont un témoin inestimable de l’évolution de la photographie au Proche-Orient. Du plus ancien cliché (fonds Alexandre Bourquenoud sj), datant de 1864 et reproduit pour la présente exposition, aux photographies des années 1970 (fonds Varoujan Sétian), toutes les techniques photographiques ainsi que les différents supports sont représentés : du collodion à l’argentique en passant par les épreuves albuminées, des plaques de verre aux supports souples ou en papier. Nous exposons également un appareil photographique de notre collection, un ICA Ideal 111, datant de 1922», enchaîne le chercheur, tout en soulignant la spécificité de la présence des pères jésuites au Liban. « À la fois scientifiques et missionnaires catholiques, ils ont vécu au plus proche des habitants des différentes régions. Outre le souci de documentation de leur apostolat, ils ont photographié les Libanais dans leur quotidien avec, parfois, une véritable sensibilité esthétique (fonds Joseph Delore sj). On retrouve d’émouvants portraits des différents groupes sociaux (communautés de village, tribus nomades), de groupes religieux, de familles, d’étudiants ou d’artisans. Ainsi, le cliché n°9 du panneau sur le Metn présente au public la seule fonderie de cloche qui est existe encore aujourd’hui, à Beit Chabab », ajoute-t-il.

Au fil du voyage photographique, c’est aussi l’importance des archives de la Bibliothèque orientale qui est mise en valeur. « C’est un trésor, pour une meilleure appréhension du Liban, de son passé, de son identité et de son futur, même si certains clichés documentent des destructions désolantes, comme celle de la grotte d’Antélias ou l’édicule de Hosn Niha. On peut aussi mesurer la défiguration de certains paysages par un urbanisme sauvage, comme à Jounieh », déplore Gassia Artin. « Une des photos qui me touche le plus est celle de la grotte d’Antélias, qui a été fouillée en 1900, par le père jésuite Godefroy Zumoffen (1848-1928), considéré comme le pionnier de la préhistoire libanaise. Elle a été détruite à la dynamite en 1968 pour devenir une carrière », ajoute-t-elle d’une voix blanche. « J’aime bien aussi celle de l’arrivée du train à Beyrouth, une époque dont la plupart des Libanais sont nostalgiques, c’est un train figé dans le temps, qui attend des voyageurs », ajoute-t-elle avec nostalgie. Le cliché le plus cher à Joseph Rustom est l’agrandissement d’une plaque de verre du fonds Père Antoun Abdallah sj (1853-1923) datant de 1902 et représentant Deir el-Qalaa. « Il montre l’église du monastère maronite Saint-Jean-Baptiste, dans le village de Beit Mery, bâtie en 1768, sur les ruines du temple dédié au dieu Baal Marqod, de l’époque romaine. On retrouve à la fois l’élément religieux à travers l’église et le moine positionné à l’entrée, et l’archéologique, grâce aux ruines du temple. L’architectural, le minéral, le végétal et l’humain s’y côtoient, et un petit garçon adossé à un reste de colonne de style ionique semble défier la grandeur du monument préférant se tourner vers l’horizon. L’époque romaine, le XVIIIème siècle et le début du XXème siècle se rejoignent, tous figés en un seul instant », renchérit Joseph Rustom avec émotion.

Khan el-Khayyatine, Tripoli, négatif souple 6x6 cm, vers 1940, Fonds Jean Lauffray, ©Bibliothèque Orientale - USJ

Photographier le patrimoine du Liban, 1864-1970 suscite un vif intérêt parmi les visiteurs de l’IMA. « Pour certains, il s’agit de retrouver leur région natale, pour d’autres de réexplorer visuellement des sites préalablement visités, parfois avant même le début de la guerre civile, ou encore de découvrir des parties du Liban pas encore parcourues. Beaucoup de visiteurs sont touchés par la qualité et la diversité des collections photographiques de la Bibliothèque Orientale », se réjouit la commissaire de l’exposition. « Certaines pièces constituent même des corpus complets (négatifs, positifs, manuscrits, annotations, etc.). Une version courte du documentaire La Bibliothèque Orientale : un patrimoine révélé, du réalisateur Bahij Hojeij, est proposée ; elle illustre les enjeux de la conservation de ces fonds photographiques, en donnant la parole à différents experts », conclut Joseph Rustom. En cours de numérisation et d’indexation, avec le soutien de la fondation Boghossian, de l’Institut national du patrimoine et des Archives nationales de France, ces clichés pourront continuer à raconter l’histoire du bref passage des hommes dans la grande histoire.

La synchronicité de l’accrochage photographique des archives de l’USJ avec l’exposition « Trésors sauvés de Gaza – 5 000 ans d’histoire », est un hasard de calendrier, même si les deux approches relèvent d’un même sursaut. « La question du patrimoine en danger et le rôle primordial de la photographie, notamment française, dans la documentation de ce patrimoine rapproche les deux expositions. Les collections des pères jésuites de Beyrouth et des pères dominicains de Jérusalem, dans l’exposition de Gaza, montrent de façon complémentaire l’importante richesse archéologique et patrimoniale du bassin méditerranéen», explique Gassia Artin, l’une des deux commissaires de l’exposition « Photographier le patrimoine du Liban, 1864-1970 ».Celle-ci orne les cimaises du musée de...
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