
Chloé Chalhoub fière de ses victoires après avoir décroché deux médailles en apnée. Photo DR
Quand elle arrive au rendez-vous, Chloé Chalhoub impressionne immédiatement. Petite, fine, presque frêle, elle dégage pourtant une maturité et une sérénité retrouvée. Derrière cette apparente fragilité, on découvre une compétitrice révélée par l’apnée, alors que rien ne l’y prédestinait. Les pieds sur terre, la tête dans les nuages, elle se confie, avec douceur :
« Cela fait un an que je suis guérie et je suis chaque jour reconnaissante pour cela. La douleur, est un ami qu’il faut savoir écouter. »
À 24 ans, alors graphiste à Paris, un métier qu’elle poursuit à présent au Liban, Chloé voit sa vie basculer lorsque de mystérieuses douleurs apparaissent. « C’est venu progressivement, d’abord un pied, puis l’autre, puis les mains. Je ne pouvais plus marcher. Ils me brûlaient en permanence. »

La maladie sans réponse
Pas de cause évidente à ce mal qui l’empêche d’avancer. Stress ? Surmenage ? Mauvaise hygiène de vie ? « On n’a jamais vraiment su. » Rien n’était clair : « C’est effrayant quand des spécialistes disent à un patient : “On ne sait pas ce que c’est Madame”. »
S’ensuivent sept années de douleurs et d’incertitudes, ponctuées de tentatives de guérison infructueuses. « Je l’ai vécu comme une injustice, confie-t-elle, car à 24 ans, on n’a pas envie de s’assoir, on a envie de courir partout, de juste explorer le monde. » Mais un jour, le diagnostic, terrible, finit par tomber. Le mot est bizarre, incompréhensible, et déjà, violent : érythromélalgie, une maladie rare et mal connue au Liban et dans le monde. « Bien sûr, il y a toujours pire, mais pour moi, c’était mon pire », pense-t-elle.
De la douleur au mouvement
Peu à peu, Chloé apprivoise ce nouveau quotidien. Elle reprend son métier de graphiste en freelance et sur les conseils de son médecin, découvre la natation.
Dans l’eau, cet espace infini, elle retrouve en apesanteur le mouvement, la stabilité, la confiance. Et le plaisir d’être libre. « Je boitais, la natation m’a aidée à réaligner mon corps, mes hanches et mes jambes. » Chloé trouve sa thérapie et son refuge dans et sous l’eau. « Face au bien-être ressenti, j’ai cherché un autre sport lié à la natation. J’avais envie de quelque chose de plus excitant. Un défi. »
C’est ainsi qu’elle tombe sur un cours d’initiation à l’apnée, avec Marc Bou Mansour, champion d’apnée en profondeur, titulaire de neuf records nationaux libanais. Elle tente l’expérience. Et c’est une révélation. « C’est lui qui m’a encouragée dans ce sport. Il a une intuition que d’autres coachs n’ont pas, il s’adapte à tous ses élèves. Je ne suis pas la seule ayant un passé de santé dans le club et qui, à travers l’apnée, gère son stress et sa condition physique. On est tous en confiance avec lui… »

L’apnée comme délivrance
Là où la maladie l’a figée, l’apnée la libère. « C’est se confronter à la vie, à la mort. Et je crois que c’est ce que je cherchais un peu. Jusqu’à maintenant, à chaque entraînement, j’ai la même dose de crainte et de joie. »
À l’écoute de son corps, Chloé apprend à respirer, à l’accepter et à s’abandonner. « Pour moi les dangers arrivent en dehors de la mer, pas dedans. Dans l’eau, je me sens portée, en sécurité, dans une bulle, même lorsque l’eau est trouble. Plongé dans le silence, le corps est léger, en apesanteur, sans douleurs… C’est passer d’un monde où l’on souffre à un monde où l’on n’a rien. »
Ainsi, doucement, les douleurs s’apaisent et les symptômes reculent. « Je commençais à marcher plus longtemps et sans douleurs, particulièrement les jours où je m’entraînais. Cela devenait presque vital car il y avait un effet de conséquence : en m’entraînant, mon quotidien devenait plus agréable à vivre. »
Discipline éprouvante et endurante, l’apnée lui enseigne également une nouvelle forme de résilience. « Quand tu acceptes la douleur, elle te fait moins mal. » Contrairement à celle qu’elle a subi durant des années, celle-ci est choisie, « elle est différente », confirme-t-elle.

Une athlète née de la douleur
« J’étais prête à passer à une autre étape. Je me disais que cela allait durer toute ma vie donc autant ne plus en faire cas et vivre avec. » Et c’est justement au moment où elle lâche prise, que la transformation commence.
Aujourd’hui, Chloé est compétitrice d’apnée. Lors de sa première compétition en Arménie, les 5 et 6 avril 2025, elle décroche deux médailles – celle d’argent en Dynamic Bifins / 85m et celle de bronze en Dynamic / 82m – et autant de records nationaux.
L’événement sportif s’est déroulé sous l’égide de l’AIDA – Association internationale pour le développement de l'apnée, l’une des deux structures internationales qui encadrent les athlètes en apnée (l’autre étant la CMAS – Confédération mondiale des activités subaquatiques). « Dans la discipline féminine, une trentaine d’athlètes y ont participé, explique-t-elle. C’est la distance qui compte, pas la vitesse. Mais être rapide permet d’avoir un temps d’apnée plus court, et donc de faire plus de distance. »
Depuis, une relation forte et complice s’est tissée entre Chloé et Marc, au-delà de l’entraînement : une véritable amitié née dans la confiance et la douceur du chemin partagé. « On a gagné deux médailles. Je dis “on” parce que c’est aussi grâce à Marc. Il s’est tellement investi, ce n’est pas facile d’entraîner la même personne, il faut savoir trouver le juste milieu entre encourager et contenir l’athlète. »
La jeune femme, devenue sportive professionnelle, poursuit désormais ses entraînements, en mer comme en piscine, en vue d’une éventuelle nouvelle participation en septembre. « Cette première fois m’a donné le goût à la compétition. »
Une leçon de vie
Mais au-delà des résultats, l’essentiel est ailleurs. « Si cette dure expérience m’est arrivée, c’est parce que je pouvais le supporter et apprendre quelque chose de cela. Se reconnecter avec soi-même, apprendre à vivre autrement, être moins dans l’action mais plus dans l’observation. Cela enseigne la patience et l’écoute de son corps. »
Leçon de vie ou leçon de résilience, sept ans plus tard, à 20 000 lieues sous les mers, Chloé Chalhoub a trouvé ce que la surface lui refusait : l’apaisement, la confiance, la liberté et une forme de guérison. Et c’est peut-être là, dans cette apnée du monde extérieur, qu’elle a enfin trouvé… la vraie respiration.
Bravo Chloe . God bless you.
10 h 31, le 04 mai 2025