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Culture - Rencontre

Hoda Barakat, son dernier roman « fabriqué sous les bombes » et le prix Cheikh Zayed

Au lendemain de l’annonce de la remise du prestigieux prix littéraire à la romancière franco-libanaise, cette dernière revient sur son cheminement dans l’écriture romanesque en langue arabe.

Hoda Barakat, son dernier roman « fabriqué sous les bombes » et le prix Cheikh Zayed

La romancière franco-libanaise Hoda Barakat, Prix Cheikh Zayed 2025. Photo DR

Il est très tôt dans un Paris encore silencieux, mais Hoda Barakat a déjà bien entamé sa journée. D’une voix à la fois douce et rauque, elle s’explique. « Je suis une lève-tôt, enfin une angoissée », précise-t-elle en souriant. « C’est devenu une habitude, comme je n’avais jamais assez de temps entre mes deux enfants que j’élevais seule et mon travail, je me suis mise à écrire avant que la journée ne commence, à l’aube vers 4 heures  », ajoute-t-elle vivement.

Romancière de renom avec une dizaine d’ouvrages très appréciés et de multiples distinctions littéraires à son actif, dont le prix international de la fiction arabe en 2019, Hoda Barakat raconte son cheminement tortueux vers l’écriture. « Mon premier roman, La Pierre du rire (1990), je l’ai écrit plusieurs fois, parfois j’oubliais le manuscrit dans la maison qui était bombardée et que nous fuyions. Comme beaucoup de compatriotes, on a fait le tour du Liban pendant la guerre, avec nos sacs en plastique, quelques jouets pour les enfants… Rien d’original ! » confie-t-elle sobrement. Ce premier manuscrit a connu des réécritures multiples, épousant également l’évolution de l’auteure. « Il ne me plaisait jamais, et d’une fois sur l’autre, je changeais beaucoup. Je me suis mise à écrire à une période où je n’échangeais plus avec mes amis et mes proches. Je les sentais trop loin de ce que je pensais. Au Liban, j’avais un sentiment de solitude profonde. La violence et la colère engloutissaient tout le monde, j’avais l’impression d’évoluer dans un champ de mines. Je ne sais pas comment j’ai trouvé le temps de me mettre à écrire. Je me sentais inutile, j’étais devenue phobique et j’avais très peur de la mort. J’ai ressenti une réelle urgence à partir en France avec mes deux enfants », raconte l’auteure d’une voix blanche.

Pour mémoire

Hoda Barakat : Depuis que j’ai quitté le Liban, j’y vais à travers mes textes en arabe

Finalement, elle remet son manuscrit avant son départ pour Paris, en 1990, et apprend la même année qu’elle est lauréate du prix littéraire du magazine londonien al-Naqid. « Je visais les 4 000 dollars que j’avais empruntés à une amie pour préparer mon voyage, elle n’a jamais accepté que je la rembourse ! » se souvient avec émotion Hoda Barakat. « Au fond, je ne sais ce qui nous pousse à écrire, et je ne sais pas parler de l’écriture, j’essaye de ne pas trop analyser, je ne pars pas d’un plan, je ne prédéfinis pas de thème ou de cause, je préfère… écrire ! » constate-t-elle humblement.

Arrivée en France, la romancière travaille comme journaliste et traductrice. « Je me sentais étrangère, comme si j’avais quitté Beyrouth sans vouloir vraiment atterrir ailleurs. Je me suis mise à écrire mon deuxième roman (Les Illuminés, 1993) au petit matin, c’était comme s’il y avait une voix qui m’appelait, j’entendais un homme qui voulait me parler. C’était comme une envie d’escalader un mur, c’était vital », lance-t-elle d’une voix grave.


« Pendant que les avions de la MEA décollaient parmi les boules de feu… »

Au lendemain de l’annonce du prix Cheikh Zayed, la romancière garde la tête froide. « Ce qui gratifie le plus, ce n’est pas forcément un prix, certains gestes sont parfois tout aussi porteurs, comme le fait que je sois autant appréciée en France par la presse et par les lecteurs, même si je continue à écrire en arabe. J’ai reçu deux décorations (NDLR : chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres en 2002, et chevalier dans l’ordre national du Mérite en 2008) et je ne m’y attendais pas. J’ai sorti quelques livres en français, mais je ne suis pas un écrivain francophone. La France m’a fait passer dans un autre monde, celui d’un pays de droit, j’y ai été bien accueillie, j’étais tellement blessée de ce que j’avais vécu au Liban que je trouvais tout extraordinaire, bien que le quotidien soit difficile », confie-t-elle avec émotion.

Le prix Cheikh Zayed a été remis à Hoda Barakat pour son roman Hind ou la plus belle femme du monde (Dar al-Adab, 2024). « Il est sorti pendant les bombardements israéliens de Beyrouth, il a été fabriqué sous les bombes, pendant que le monde entier regardait les avions de la MEA décoller parmi les boules de feu », précise la romancière, dont le dernier récit campe l’agonie d’une femme atteinte d’acromégalie. C’est seulement en relisant son manuscrit que le parallèle entre son personnage et le Liban lui a semblé évident. « On retrouve une forme de décrépitude, et on voit le Liban sombrer dans une mort lente, comme s’il était devenu une cause périmée, qui n’intéresse plus grand monde. Le texte n’est pas événementiel, mais je parle des explosions au port à ma façon, de manière abrupte. Elles m’ont fait très mal », admet-elle tristement.

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Hoda Barakat : Ce prix me rapproche du monde arabe

Hoda Barakat ne s’attendait pas à un tel retentissement pour son dernier roman, dont la traduction en français est prévue pour septembre prochain. « Il est écrit à voix très basse, sans affect et sans dramatisation. C’est le récit d’une femme qui commence à mourir dans ses douleurs. J’ai été surprise au Liban et à la foire du livre du Caire de rencontrer des lecteurs qui vont dans le sens de cette écriture. Ce dernier roman est à la fois facile et difficile à accompagner », commente-t-elle, amusée.

« Je crois en la survie de la langue arabe, elle le mérite »

Ce que la romancière souligne, c’est la dimension prestigieuse du prix Cheikh Zayed. « Il a un réel écho sur le plan international et il est très respecté, ce qui n’est pas le cas de tous les prix arabes. L’institut Zayed a un rôle déterminant car il aide et encourage les maisons d’édition étrangères qui veulent traduire de l’arabe », insiste la romancière. Ce souci d’ouverture et de transmission des textes par le biais de la traduction n’est pas sans rappeler la Maison de la sagesse du Bagdad abbasside, par laquelle ont transité de nombreux écrits. Les jurys des prix de cet institut sont composés de spécialistes internationaux de renom en langue arabe. Ils ont à cœur de la défendre. J’ai parfois un sentiment d’injustice en constatant le déclin de cette langue, que je pensais moins lue et moins parlée, mais je suis heureuse de la voir à l’honneur dans cet institut. Le support matériel proposé est réel, ils ne se contentent pas de se lamenter, ils travaillent ! Je crois en la survie de la langue arabe, elle le mérite », affirme-t-elle.

Le 28 avril aura lieu la cérémonie de remise du prix, l’un des mieux dotés du monde arabe – le ou la lauréate de chaque catégorie reçoit la somme de 750 000 dirhams, soit près de 200 000 dollars. Pour l’instant, Hoda Barakat explore plusieurs pistes pour un nouveau roman, mais c’est encore tôt. « Je suis toujours sous le charme de l’autre, il me faut au moins 4 ans entre chaque livre, chacun est une aventure. Il ne faut pas s’y jeter avant d’entendre les nouvelles voix, et de voir le bout de la première phrase. Il convient de choisir la langue spécifique qui lui conviendra, c’est pourquoi mes textes sont si différents les uns des autres », conclut l’écrivaine. Pour entrer en contact avec son lectorat pluriel et international, la romancière prévoit très peu de signatures ou de rencontres, dont elle n’affectionne ni « le côté tribu », ni « les questions qui meublent » et ni « les petits-fours ». Et pourtant, Hind ou la plus belle femme du monde a conquis un vaste public, et un jury de spécialistes exigeant, et ce n’est pas terminé.

Il est très tôt dans un Paris encore silencieux, mais Hoda Barakat a déjà bien entamé sa journée. D’une voix à la fois douce et rauque, elle s’explique. « Je suis une lève-tôt, enfin une angoissée », précise-t-elle en souriant. « C’est devenu une habitude, comme je n’avais jamais assez de temps entre mes deux enfants que j’élevais seule et mon travail, je me suis mise à écrire avant que la journée ne commence, à l’aube vers 4 heures  », ajoute-t-elle vivement. Romancière de renom avec une dizaine d’ouvrages très appréciés et de multiples distinctions littéraires à son actif, dont le prix international de la fiction arabe en 2019, Hoda Barakat raconte son cheminement tortueux vers l’écriture. « Mon premier roman, La Pierre du rire (1990), je l’ai écrit plusieurs fois, parfois...
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