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Culture - Portrait

Leila Jureidini : J’aurais voulu être Marie Curie ou Georgia O’Keeffe

Comment de l’art engagé cette plasticienne, « toujours en quête de l’ADN des choses et des situations », est passée à l’esthétique du baobab, ce singulier « arbre de vie ».

Leila Jureidini : J’aurais voulu être Marie Curie ou Georgia O’Keeffe

Leila Jabre Jureidini. Portrait fourni par l’artiste

Alors qu’à la galerie Janine Rubeiz, sa dernière cuvée de toiles peintes et brodées sur le thème du baobab attire un flot de visiteurs séduits par la joyeuse vitalité qui s’en dégage, Leila Jabre Jureidini préfère goûter au succès de son exposition* dans la quiétude de son atelier. 

Assise face à la large baie vitrée dont la vue donne directement sur le port de Beyrouth, l’artiste blonde aux cheveux courts confie : « Je ne suis pas d’une grande sociabilité. Ou plutôt je le suis uniquement avec les gens que j’aime. » Les yeux bleus surlignés d’un trait de crayon turquoise vous fixent d’un regard droit et clair. Un regard d’observatrice. Sans fiel ni miel. Un regard de scientifique presque. Profession qu’elle aurait volontiers embrassée s’il n’y avait eu chez elle l’attrait encore plus puissant pour l’art. Un goût venu de son enfance auprès d’une mère, Nada Raad, elle-même peintre et sculptrice. 

Curieuse de l’humain

Longtemps, Leila Jabre Jureidini a hésité entre des études de génétique et les beaux-arts. Longtemps, elle a rêvé « de suivre les traces de Marie Curie ou de Georgia O’Keeffe »… Avant de finir par opter pour le graphisme à l’ESAG Paris. « Pour son côté artistique mais avec des débouchés professionnels qui permettent d’en vivre », pense-t-elle alors. À l’époque, le Liban est en guerre et la jeune étudiante préfère choisir la carte de la prudence. Elle poursuivra sa formation par des études en beaux-arts et design de communication à la Parsons the New School of Design à New York où, après son diplôme, elle entame sa première carrière de graphic designer. Quelques années plus tard, et après une seconde parenthèse parisienne, professionnelle et familiale cette fois, elle retourne avec mari et enfants au milieu des années quatre-vingt-dix dans un Liban en pleine reconstruction postguerre. Portée par ce souffle de renaissance, Leila Jabre Jureidini décide de prendre, elle aussi, un nouveau départ. 

Leila Jureidini dans son atelier en face du port de Beyrouth. Photo DR


« Je m’étais engagée durant des années dans un domaine qui n’était ni vraiment artistique, ni scientifique, mes deux véritables centres d’intérêt. Et je ne supportais plus de passer des heures à discuter de typographie et autres détails secondaires », déclare sans ambages cette femme qui, visiblement, n’aime pas les faux-semblants. 

S’il est trop tard pour entamer des études de médecine, cette « curieuse de tout ce qui touche à l’humain » suit en revanche les cours de sociologie et d’anthropologie à la Sorbonne et se remet au dessin et à la peinture, avant d’intégrer le champ de l’art engagé. 

Femmes, voile et féminisme sans acrimonie

Dès sa première cuvée d’œuvres, des sculptures en bronze reproduisant de manière figurative une diversité de silhouettes féminines, le ton est donné : du beau porteur de message. « J’avais constaté, dans mon cours de yoga, à quel point les femmes souffraient de la pression du regard porté sur leur corps, qu’elles soient minces, grosses, jeunes ou vieilles. Et j’ai voulu exprimer cette contrainte », relate cette « féministe sans acrimonie », ainsi qu’elle se définit elle-même. 

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Suivront des œuvres toujours plus conceptuelles, toujours issues d’un questionnement, d’un regard investigateur porté sur « l’essence des choses et des situations ». Au fil des ans et des expositions, Leila Jureidini va explorer des thématiques écologiques et anticonsuméristes (traitées en accumulation et compression de canettes de soda et de bière ou douilles de fusil de chasse), mémorielles ou encore sociétales. Nourri de réflexion et réalisé dans des techniques et médiums à chaque fois renouvelés, son travail artistique atteint un point culminant dans Freedom Fighters (Combattantes pour la liberté), une installation de grandes peintures découpées en lamelles mouvantes que cette « musulmane issue d’une famille très peu conservatrice et mariée à un chrétien » consacre en 2019 au voile féminin. « Je voulais comprendre ce qui motive son port et saisir sans aucun jugement la perspective sur le monde qu’il offre à celles qui le portent », indique la plasticienne qui n’hésitera pas, dans cet objectif, à se glisser sous une burqa. 

Peintures au fil de laine

Lorsque surgissent quelques mois plus tard les crises économique, politique, sanitaires et sécuritaire, Leila Jabre Jureidini s’adonne un moment à une peinture contestataire avant de se plonger, à l’occasion de la redécouverte de l’usine de tissage paternelle désaffectée, dans une série d’œuvres abstraites, colorées et tendrement mémorielles. Des toiles qu’elle peint à l’acrylique et qu’elle brode au fil de laine dans un geste qui sonde les vecteurs de transmission personnelle et collective.

L’artiste posant devant un de ses baobabs à la galerie Janine Rubeiz. Photo Christopher Baaklini


Un travail au fil de la nostalgie que cette artiste, qui affirme « toujours commencer par la grande image, avant de faire un zoom-in jusqu’à trouver l’ADN du sujet », compte poursuivre dans une nouvelle série consacrée aux bâtiments marqueurs de la mémoire collective libanaise. Un projet déjà partiellement entamé qu’elle a interrompu pour cause de voyage à Zanzibar et de « coup de foudre pour les baobabs », ces immenses arbres africains pourvoyeurs de vie, car constituant des conteneurs d’eau. Leila Jabre Jureidini ne résistera pas à l’envie d’en reproduire la magie dans une série de toiles et tapisseries aux couleurs éclatantes. Des œuvres mélangeant elles aussi la peinture à l’acrylique au fil de laine brodé et qui diffusent ce quelque chose d’immanquablement positif qui fait sa signature d'artiste plasticienne, au propos engagé mais sans excès dramatisant, militant mais n’oblitérant pas un certain esprit ludique.

*« Baobab » de Leila Jabre Jureidini jusqu’au 17 avril à la galerie Janine Rubeiz, Raouché. Immeuble Majdalani, rez-de-chaussée. 

Un parcours en sept bornes

- 1963 : naissance de Leila Jabre Jureidini à Beyrouth.

- Juin 1986 : diplôme de la Parsons School of Design-New York.

- 1994 : première participation à une exposition collective de peinture à la mairie du XVe arrondissement de Paris.

- 2012 : mention spéciale du jury au 31e Salon d’automne du musée Sursock.

- 2019 : « Freedom Fighters », un travail multimédia sur le voile.

- 2023 : « Filiation: A Legacy Revisited » marque un tournant dans son travail incluant désormais la broderie et le tissage au fil de laine. 

- 2025 : exposition « Baobab » à la galerie Janine Rubeiz.

Alors qu’à la galerie Janine Rubeiz, sa dernière cuvée de toiles peintes et brodées sur le thème du baobab attire un flot de visiteurs séduits par la joyeuse vitalité qui s’en dégage, Leila Jabre Jureidini préfère goûter au succès de son exposition* dans la quiétude de son atelier. Assise face à la large baie vitrée dont la vue donne directement sur le port de Beyrouth, l’artiste blonde aux cheveux courts confie : « Je ne suis pas d’une grande sociabilité. Ou plutôt je le suis uniquement avec les gens que j’aime. » Les yeux bleus surlignés d’un trait de crayon turquoise vous fixent d’un regard droit et clair. Un regard d’observatrice. Sans fiel ni miel. Un regard de scientifique presque. Profession qu’elle aurait volontiers embrassée s’il n’y avait eu chez elle l’attrait encore plus puissant...
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