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Culture - 50 ans de la guerre civile au liban

Le 13 avril 1975 à l’épreuve du cinéma

Entre fantasmes, méprises et métaphores, que nous disent les différentes mises à l’écran de l’attaque du bus de Aïn el-Remmaneh, dont nous commémorons les cinquante ans ?

Le 13 avril 1975 à l’épreuve du cinéma

Photogramme du film « Lettre de Beyrouth » de Jocelyne Saab. Photo Association Jocelyne Saab

Flou artistique

Image diffusée dans le film « Pas à pas » de Randa Chahal Sabbag, qui est un photo-montage.


Considéré comme l’étincelle qui a mis le feu aux poudres de la guerre civile, l'attaque du bus de Aïn el-Remmaneh, le 13 avril 1975, demeure entourée de parts d'ombres et de fausses certitudes. Et pourtant, alors même que l'événement n'a jamais été vraiment documenté, de nombreux Libanais ont en tête des images de l'événement. « L'attaque du bus a une place centrale dans la mémoire collective, c'est une sorte de scène écran de la guerre civile qui est à la fois très floue et très ancrée », estime Marwan Chahine, auteur de Beyrouth, 13 avril 1975, autopsie d’une étincelle. « L'idée qu'on s'en fait vient à la fois des récits familiaux, mais aussi de la fiction qui s'est très tôt emparée de l'événement, ce qui a contribué à véhiculer certaines contre-vérités », poursuit l'auteur. La représentation la plus célèbre de l’attaque est sans conteste celle que peint Ziad Doueiri dans West Beyrouth : le jeune héros du film, Tarek, y assiste depuis la fenêtre de son collège.

C’est bien d’une représentation fictionnelle qu’il s’agit, avec plusieurs inadéquations historiques. Dans le film, Doueiri montre une attaque millimétrée (et donc préméditée) de la part de miliciens phalangistes, alors qu'à en croire Chahine, la fusillade relève beaucoup plus d'un funeste tohu-bohu sur fond de testostérone et de désir d'en découdre. Dans un plan mémorable, une femme s’effondre lourdement sur le sol, quand on sait qu’il n’y avait que des hommes en uniforme dans le bus. Ni le lieu (le Lycée français) ni le jour (d’école) ne peuvent non plus correspondre, mais qu’importe finalement ?

La scène d’un film de fiction est moins pour coller à la réalité que pour exprimer une idée : ici le choix d’une femme d’un certain âge pour première victime est justement là pour dire ceci, qu’il s’agit de victimes. Un personnage a pour fonction d’incarner, et c’est l’injustice de ces morts que personnifie la dame en noir s’effondrant au ralenti sur le sol. En choisissant différents modes de représentation, la fiction transmet son message. Les films qui préfèrent ne pas montrer l’attaque du bus sont à ce titre tout aussi intéressants. C’est notamment le cas de L’Ombre de la ville de Jean Chamoun, qui fait débuter la guerre non pas avec l’attaque de Aïn el-Remmaneh, mais la mort de Maarouf Saad à Saïda lors des manifestations de pêcheurs un mois plus tôt. Cette étincelle, entendue à la radio par les personnages juste avant les premières scènes d’embrasement, marque une volonté d’insister sur la dimension socio-économique de la guerre. Raconter est bien affaire de parti pris.

… et erreurs historiques

Que des libertés dans la représentation permettent, en dépit de la réalité historique, de mieux symboliser une idée est le propre de la fiction. C’est en revanche plus problématique lorsque ces images, faute de mieux ou par négligence, finissent par combler le vide et s’imposer comme vérité. Ainsi, le documentaire  Bloody Sunday : ce qu’il s’est passé à Aïn El-Remmaneh le 13 avril 1975  de la chaîne This is Lebanon illustre la funeste attaque… par l’image de la femme tombant au ralenti sur le sol ! Et c’est comme ça que l’image de fiction devient image d’archives, entraînant dans cette transmutation le récit historique lui-même. Le syndrome du vide historique comblé par l’artifice est aussi celui de Pas à pas, documentaire de Randa Chahal Sabbag sorti en 1979.

Premier film moins mature que le remarquable Nos guerres imprudentes, il tente de saisir les causes profondes du conflit et d’esquisser l’évolution possible des événements. Mais le film, marqué par le peu d’expérience de la réalisatrice de vingt-cinq ans, et plus encore par la confusion et les faux récits du 13-Avril, relaye un certain nombre d’erreurs historiques. Parmi celles-ci, une image présentant des miliciens devant le fameux autobus, qui se trouve en fait être un photomontage, collant l’un sur l’autre deux clichés différents. En voix off, la succession des fausses vérités les plus répandues sur le nombre de morts ou l'identité des victimes. Pour illustration des victimes, une photographie des cadavres de deux jeunes bambins qui, cela est certain, ne sont pas morts lors de cette attaque.

S’il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un massacre, quel que soit le nombre exact de morts, leur sexe ou leur âge réel, ces errements montrent bien combien la désinformation par boule de neige est aisée, surtout lorsqu’elle s’accompagne d’images créatrices d’associations visuelles et émotives. L’absence de mauvaise intention de la part de Randa Chahal fait pourtant peu de doutes. Un plan sur une coupure de journal, quelques instants plus tard, rappelle qu’il s’agit là surtout simplement du savoir circulant sur l'événement, à une époque et dans un milieu donné. Savoir erroné dont la presse a d’ailleurs participé à la diffusion. Le lendemain de l’attaque, L’Orient-Le Jour titre « 31 morts hier à Aïn el-Remmaneh » pendant que an-Nahar en compte trente et le Safir vingt-sept. Selon Marwan Chahine, « il est plutôt normal qu'à chaud, les journaux n'aient pas d'informations très précises. Le problème, c'est que comme il n'y a pas eu d'enquête ou de travail documentaire approfondi, certaines contre-vérités ont été gravées dans le marbre ».

Un bus de malheur devenu métaphore de réconciliation et mixité

Pas toujours désireux de simplement raconter l’attaque, avec ce que cela risque d’incomplétude, le cinéma s’empare aussi de l'événement par son aspect allégorique. Le bus devient matière à évocation. Ainsi, le film Incendies de Denis Villeneuve, adapté de la pièce de Wajdi Mouawad, tire son titre de la fusillade sanglante et de la mise à feu d’un autobus – fictionnel – dans le sud du pays, de corps calcinés de femmes et d’enfants dans un moment de surenchère d’horreur symbolisant le mal absolu. Le dramaturge à l’origine du texte affirme d’ailleurs que la scène du 13 avril 1975, à laquelle il aurait assisté enfant depuis un balcon voisin, a été le traumatisme fondateur de son existence et de son travail artistique. Mais la plaie appelle aussi à être refermée. Dans une des scènes de clôture du film, qui nous est contemporaine, un des personnages – qui incarne à lui seul toute l’atrocité de la guerre – lave soigneusement les vitres d’un tramway. Et c’est le bus d’antan qui apparaît, les fenêtres autrefois maculées de sang qui retrouvent enfin de leur clarté.

Photogramme du film « Incendies » de Denis Villeneuve.


Il faut dire qu’en tant qu’objet de société, l’autobus se prête davantage à la figure de l’unité que celle de la guerre, à la fois moyen de communication reliant des points distants et transport en commun réunissant des gens. Les cinéastes vont donc se servir de cette double identité (celle du bus historique déclencheur de la guerre et celle de l’objet social créateur de lien) pour tenter de renouer le dialogue en faisant du bus mortifère une métaphore de la réconciliation. C’est le cas, déjà, dans Lettre de Beyrouth, tourné en 1978 à la faveur d’une trêve dans la capitale pendant que le Sud endure l’invasion israélienne Opération Litani. Jocelyne Saab remet alors en marche un bus qui ne circulait plus pendant les premières années de conflit et, spontanément, les Beyrouthins y entrent. Étudiants, vieux messieurs, chrétiens, musulmans… Tous discutent, racontent la guerre dont ils pensent sortir et réfléchissent ensemble à comment ne plus y replonger. La ville est à nouveau parcourable et le véhicule peut glisser sans heurts sur « le ring de la mort ». Mais nous savons que l’accalmie sera brève. Avant de filer au Sud, Saab rentre avec un bus (marqué Alfortville en trace d’un temps où il opérait ailleurs) au dépôt et conclut : « ils ne tarderont pas, ces cadeaux de la France, à être victimes à leur tour de la violence renouvelée. Ils serviront de barricades aux affrontements qui opposent les Syriens aux phalangistes. » Il est trop tôt, le bus reste encore l’autre bus.

Photogramme du film « Bosta » de Philippe Aractingi.


C’est en 2005 que métamorphose en symbole de réconciliation va éclore pour de bon avec Bosta, film très flamboyant de Philippe Aractingi où le bus de la mort se retrouve bariolé de paillettes et de papillons, le corbillard devenu tourbus pour danseurs de dabké réunis après quinze ans de séparation. Le rêve du film, c’est celui d’Utopia, le lycée où s’est rencontré la troupe : « Un espace hors du sectarisme religieux et social, où femmes et hommes ont les mêmes droits. » Au cinéma de le conquérir !

Flou artistiqueConsidéré comme l’étincelle qui a mis le feu aux poudres de la guerre civile, l'attaque du bus de Aïn el-Remmaneh, le 13 avril 1975, demeure entourée de parts d'ombres et de fausses certitudes. Et pourtant, alors même que l'événement n'a jamais été vraiment documenté, de nombreux Libanais ont en tête des images de l'événement. « L'attaque du bus a une place centrale dans la mémoire collective, c'est une sorte de scène écran de la guerre civile qui est à la fois très floue et très ancrée », estime Marwan Chahine, auteur de Beyrouth, 13 avril 1975, autopsie d’une étincelle. « L'idée qu'on s'en fait vient à la fois des récits familiaux, mais aussi de la fiction qui s'est très tôt emparée de l'événement, ce qui a contribué à véhiculer...
commentaires (1)

Meme votre article comporte des erreurs historiques qui relevent d'une vision partisane.

Michel Trad

10 h 34, le 13 avril 2025

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Commentaires (1)

  • Meme votre article comporte des erreurs historiques qui relevent d'une vision partisane.

    Michel Trad

    10 h 34, le 13 avril 2025

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