Rechercher
Rechercher

Culture - Événement

« Lost in translation » ? La politique du sous-titrage à la Fondation arabe pour l'image

La commissaire Nour Ouayda parle du premier événement du nouveau programme public de la FAI, « Complicité et conspiration dans la traduction des films ». 

« Lost in translation » ? La politique du sous-titrage à la Fondation arabe pour l'image

Une image du film de Sergei Parajanov « Sayat nova » (« La couleur des grenades ») de 1969, le film de clôture du cycle de l’AIF. Avec l’aimable autorisation de Nour Ouayda

Nour Ouayda a grandi avec les sous-titres. Elle se souvient qu’enfant, elle allait au cinéma et que le tiers inférieur de l’écran était consacré aux doubles sous-titres (arabes et français ou anglais), le texte et l’image se disputant l’espace dans le champ de vision. 

« J’ai commencé à passer d’une langue à l’autre », écrit la cinéaste et programmatrice dans sa note d’intention. « Comme j’apprenais les trois langues à l’école, je me suis sentie obligée de suivre les choix de traduction, de m’assurer que je n’étais pas trompée. En passant constamment de l’écoute à la lecture et à la traduction, j’ai vu comment je devenais l’espace à travers lequel les langues interagissaient les unes avec les autres. »

« Plus tard, j’ai compris que la traduction était un processus de négociation avec une perte inévitable », ajoute-t-elle. 

Cette première expérience de Nour Ouayda en matière de sous-titrage s’est depuis transformée en une réalité courante à l’échelle internationale. À l’heure où les téléphones portables sont devenus les supports de la consommation quotidienne de vidéos en ligne, explique-t-elle à L’Orient Today, le sous-titrage fait désormais partie intégrante de la manière dont les humains perçoivent le monde. 

« L’un des objectifs de ce programme est de révéler que nous avons tous une relation intime avec la traduction. Au Liban, nous sommes constamment en train de passer d’une langue à l’autre. C’est parfois considéré comme une chose négative, mais je pense que c’est magnifique parce que c’est tellement enrichissant. »

La curatrice a collaboré avec Dawawine et la Fondation arabe pour l’image (FAI) afin d’organiser le programme de films « Complicité et conspiration dans la traduction cinématographique ». Événement inaugural du nouvel auditorium de la FAI, ce cycle de projections et de discussions se déroule du 13 au 15 mars. 

Un extrait du court-métrage de Philip Rizk de 2025 « Land Listening (Beirut version) ». Avec l’aimable autorisation de Nour Ouayda

Complicité et conspiration

Comme toutes les traductions, les sous-titres sont une forme de médiation qui permet d’élargir considérablement la circulation. Au cinéma, les sous-titres sont une question de communication et de commerce. Le thème de « Complicité et conspiration » porte sur le pouvoir ambivalent du sous-titrage. 

« Autant la traduction peut être un outil d’accès et d’hospitalité, accueillant quelqu’un dans une langue qu’il ne comprend pas, autant elle peut être un outil d’effacement et de violence. Elle devient alors violente en refusant l’accès. »

« Dans la tradition du sous-titrage arabe, l’exemple le plus connu de cloisonnement linguistique est l’utilisation du mot machroub (boisson). Toutes les références aux boissons alcoolisées sont des machroubs. C’est une façon d’effacer les références à l’alcool, et même l’existence de l’alcool. Il en va de même pour les jurons : de nombreux jurons en langue étrangère sont traduits par le très sympathique tabban (maudit). Il s’agit d’une censure directe. S’il n’a pas accès à l’autre langue, le public peut ne pas se rendre compte de ce qui a été omis », note-t-elle, avant d’évoquer certains artistes qui ont cherché à revendiquer le sous-titrage et la traduction comme un espace de résistance, à commencer par le documentaire de 1975 de Djouhra Abouda et Alain Bonamy Ali au pays des merveilles, qui traite de la situation des travailleurs immigrés dans la région parisienne. Les réalisateurs ont décidé de ne pas sous-titrer le discours aux accents arabes d’un travailleur franco-algérien. 

« Dans d’autres documentaires et reportages, de tels entretiens auraient été sous-titrés pour plus de clarté, indique la commissaire. L’omission des sous-titres français devient une manière de résister. Dans son film Bicots-Nègres, vos voisins (1974), le réalisateur Med Hondo décide de ne pas sous-titrer des passages entiers du français vers l’arabe. Ce sont des décisions politiques pour résister au mécanisme d’oppression linguistique. »

La jeune femme exprime quelques réserves quant à l’impératif de lisibilité et de clarté du sous-titrage.

« Le contenu – j’utilise le mot dans son sens de consommateur – doit être extrêmement clair, de l’image vidéo 8K à la clarté des voix, en passant par la question de savoir qui parle et comment. Aujourd’hui, tout est sous-titré, car vous regardez la plupart de vos vidéos sans le son... Cette exigence de compréhension exhaustive nous éloigne de l’ambiguïté, ce qui, à mon avis, nous place dans une situation très étrange. Je ne dis pas que c’est bon ou mauvais, mais l’espace pour l’ambiguïté est réduit au point que nous n’y sommes plus habitués. »

Une image du film d’Andrea Bussmann et Nicolás Pereda « Tales of Two Who Dreamt » (2016), le film d'ouverture du cycle de l’AIF. Avec l’aimable autorisation de Nour Ouayda

Mots et images

Composé de courts et de longs-métrages, le programme de six films de « Complicity and Conspiracy » est cosmopolite et formellement varié. Il s’ouvre sur le long-métrage de 2016 d’Andrea Bussmann et Nicolás Pereda, Tales of Two Who Dreamt (Contes de deux personnes qui ont rêvé). Cette fiction-documentaire hybride suit une famille de Roms hongrois vivant dans un complexe d’appartements tentaculaire à Toronto, alors qu’elle demande l’asile au Canada. En suivant la routine banale des personnages, le film évoque les effets du déracinement sur les membres de la famille et leurs espoirs de construire un foyer dans un espace étranger. 

Le cycle de courts-métrages de vendredi commencera par l’œuvre de 2017 Purple, Bodies in Translation de l’artiste libanais Joe Namy. Elle est centrée sur deux textes des écrivains Lina Mounzer et Stefan Tarnowski, qui réfléchissent aux subtilités du sous-titrage de témoignages et de vidéos de survivants de la guerre civile en Syrie. Les souvenirs des survivants s’appuient sur des histoires, des poèmes et des chansons qui traitent du sentiment d’épure et l’associe à la couleur mauve. Land Listening de Philippe Rizk, datant de 2025, s’appuie également sur les témoignages de personnes déplacées, en l’occurrence des membres de la communauté nubienne, dont la cosmologie, issue de leur relation intime avec le Nil, s’est effritée depuis qu’ils ont été déracinés par des projets de barrage qui, en 1964, ont atteint leur apogée avec le haut barrage d’Assouan. 

Extrait du court-métrage d’Eduardo Menz « Las mujeres de Pinochet » (2004). Avec l’aimable autorisation de Nour Ouayda

Au programme également, Las mujeres de Pinochet  (Les femmes de Pinochet), 2004, d’Eduardo Menz, est centré sur deux personnages des années 1980 : une victime des services de sécurité d’Augusto Pinochet et une reine de beauté célébrée par le dictateur chilien. L’artiste reprend de brèves images et des extraits sonores accompagnés d’un texte, dont le sens se précise au fur et à mesure de leur répétition et de leur altération progressive. La fiction Drei Atlas  (Trois Atlas) de Miryam Charles (2018) raconte l’histoire d’une employée de maison immigrée qui, accusée du meurtre de son ancien employeur, évoque le surnaturel.

Lire aussi

Lina Soualem : « Bye bye Tibériade », c’est par la parole que les Palestiniens survivent

« Complicités et conspirations : une conversation sur la langue, la traduction, l’accessibilité et la circulation » sera au cœur d’une conférence samedi à 17 heures réunissant un panel de chercheurs, de traducteurs, de cinéastes, d’artistes et de programmateurs de films qui discuteront de leur collaboration à ce programme et de leurs réflexions sur les aspects de la traduction dans leur travail. La discussion marque le retour de Dawawine, le café-librairie-espace d’exposition que Sara Sehanoui et Rami el-Sabbagh ont lancé en 2013 dans le but de mettre à la disposition du public des livres sur le cinéma, les arts visuels contemporains, les arts du son et les arts de la scène. 

Une image tirée du court-métrage « Drei Atlas » (2018) de Miryam Charles. Avec l’aimable autorisation de Nour Ouayda

« Complicité et conspiration » culminera samedi soir avec la projection du film de Sergei Parajanov La couleur des grenades, réalisé en 1969. Nour Ouayda décrit le film comme une libre adaptation de la vie et de l’époque de Sayat Nova (1712-1795), le célèbre poète chanteur de la tradition ashugh arménienne (souvent assimilée à celle des poètes troubadours provençaux). Martin Scorsese a comparé l’expérience cinématographique de Parajanov à « l’ouverture d’une porte et l’entrée dans une autre dimension, où le temps s’est arrêté et où la beauté s’est libérée ». La sortie de ce film a connu une histoire complexe. Une version censurée avec des intertitres réécrits a été projetée à Erevan en 1969, mais ce « montage arménien » n’a pas été distribué ailleurs. Le film qui a été vu en Union soviétique et dans le monde entier est le « montage russe », un remaniement de la version de Parajanov. Les copies des deux montages ont été restaurées en 2014 dans le cadre d’une initiative internationale de la Cineteca di Bologna (centre d’archives filmiques italien) et du laboratoire L’Immagine Ritrovata (un laboratoire italien specialisé dans la restauration et conservation de films). Le montage arménien restauré sera projeté à l’AIF, mais avec de nouveaux sous-titres arabes, basés sur la traduction de Vartan Avakian et Hussein Nassereddine de la FAI.

Pour mémoire

Les doubles vies de Ghassan Abou Sitta

« À l’époque de Sayat Nova, cette région était complètement différente, observe Nour Ouayda. Elle n’était pas aussi fragmentée. L’arabe, le persan, l’arménien, le géorgien, l’azari étaient des langues qui interagissaient constamment, et vous aviez ce poète arménien qui écrivait en azari ou en géorgien, ce qui est inconcevable aujourd’hui. Proposer une transition vers l’arabe devient donc un moyen de restaurer certains de ces liens, tout en gardant à l’esprit les complexités d’aujourd’hui et toute la violence qui en a découlé. »

« Il existe des versions pirates du film avec des sous-titres en arabe, mais il semble qu’elles soient basées sur la traduction anglaise, ajoute-t-elle. Vartan Avakian et Hussein Nassereddine sont allés chercher l’inspiration dans les hymnes arméniens traduits en arabe et dans certaines traductions arabes des poèmes de Sayat Nova. »

« Complicité et conspiration dans la traduction cinématographique » se déroule du 13 au 15 mars dans l’auditorium de la Fondation arabe pour l’image, rue Justinien, Centre Aresco, Kantari, Beyrouth.

Les projections débutent à 19h30. Les détails sont disponibles ici.

Nour Ouayda a grandi avec les sous-titres. Elle se souvient qu’enfant, elle allait au cinéma et que le tiers inférieur de l’écran était consacré aux doubles sous-titres (arabes et français ou anglais), le texte et l’image se disputant l’espace dans le champ de vision. « J’ai commencé à passer d’une langue à l’autre », écrit la cinéaste et programmatrice dans sa...
commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut