
Une immersion dans l’histoire de l’or et des arts textiles, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours. Photo musée du Quai Branly- Jacques Chirac
À travers les somptueuses étoffes tissées d’or du Maghreb, du Moyen-Orient, de l’Inde, de la Chine et du Japon, le musée du Quai Branly-Jacques Chirac propose une immersion dans l’histoire de l’or et des arts textiles, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours. L’exposition, intitulée « Au fil de l’or, l’art de se vêtir de l’Orient au Soleil-Levant », qui se déroule jusqu’au 6 juillet 2025, est conçue par la Franco-Libanaise Hana al-Banna-Chidiac – diplômée de la Sorbonne (Paris IV) en histoire de l’art et archéologie et ancienne responsable des collections Afrique du Nord et Moyen-Orient du musée Quai Branly - Jacques Chirac. « Pour la splendeur de son projet, ses choix esthétiques, sa rigueur scientifique et l’histoire passionnante dont elle se fait la conteuse, je tiens à adresser mes plus chaleureux remerciements à Hana al-Banna-Chidiac, commissaire de l’exposition, qui a su lier son érudition et son énergie dans son effort de transmission. Dans un même élan de reconnaissance, je salue Magali An Berthon, commissaire associée et professeure assistante en Fashion Studies à l’American University of Paris », souligne le président du musée Quai Branly, Emmanuel Kasarhérou.
Hana al-Banna-Chidiac et Guo Pei dont les créations jalonnent le parcours de l’exposition. Photo DR
Pour L’Orient-Le Jour, Hana al-Banna-Chidiac relate l’histoire de ce savoir-faire millénaire qui continue d’inspirer la mode contemporaine, comme celle de la célèbre styliste chinoise Guo Pei, « dont les créations jalonnent le parcours de l’exposition rappelant que le patrimoine vestimentaire se revigore sans cesse et inspire toujours autant la créativité », affirme Mme al-Banna-Chidiac. Rappelons que Guo Pei a été révélée au monde occidental pour avoir habillé l’artiste Rihanna lors du Met Ball 2015. Son travail exceptionnel a été exposé en 2020 au Legion of Honor Museum à San Francisco. Les éditions de Rizzoli New York, référence mondiale dans l’édition de livres d’art, d’architecture et de mode, lui consacrent un livre qui sortira en mars prochain. L’exposition accorde également une place particulière à la broderie française et tout particulièrement à celle de la mythique maison Lesage qui a sublimé, avec des milliers de paillettes, sequins, perles ou fils d’or, les créations des grands noms de la haute couture française.
Quatre années de recherche
D’où est donc venue l’idée de cette exposition ? Hana Chidiac nous précise que « cette magnifique aventure a commencé il y a quatre ans ». Le musée du quai Branly conserve dans ses collections de magnifiques costumes de fêtes et d’apparat féminins provenant d’une vaste région allant du Maghreb au Japon. Certains sont taillés dans des étoffes brochées d’or. D’autres sont rehaussés de riches broderies, de passementeries, de cannetilles ou encore de sequins dorés qui scintillent de mille feux. « Devant la beauté de ces somptueuses pièces, l’idée m’est venue de réaliser une exposition dédiée à l’or dans les textiles et vêtements. Ma formation en archéologie m’a poussée à en savoir plus sur l’histoire de l’or mais surtout l’histoire de son mariage avec les fibres textiles, poursuit-elle. Il était important pour moi de comprendre où et à partir de quand l’être humain a commencé à utiliser ce précieux métal pour embellir les étoffes. J’ai donc exploré ce sujet, j’ai lu des articles, j’ai consulté de nombreux ouvrages, j’ai questionné des collègues, des chercheurs… C’est ainsi que j’ai découvert, avec surprise et émerveillement, que l’or n’est pas né sur Terre, mais qu’il faut lever les yeux vers l’espace pour découvrir ses origines. »
Les magnifiques créations de Guo Pei. Photo musée du Quai Branly- Jacques Chirac
Des pépites venues du ciel
« De récentes découvertes scientifiques nous apprennent que l’or est d’origine stellaire », précise la spécialiste. Et d’enchaîner qu’« il se serait formé lors de la collision entre deux étoiles riches en neutrons. Projeté dans l’univers sous la forme de particules microscopiques, il aurait été apporté sur Terre grâce à des bombardements de météorites intervenus pendant des dizaines de millions d’années après la formation de notre planète, il y a plus de quatre milliards d’années ». C’est en cheminant le long des rivières à la recherche de galets chatoyants pour ses parures que l’homme préhistorique découvre l’or sous forme de pépites et de paillettes. « Ces petits grains jaunes à l’éclat lumineux le captivent. L’homme commence à les travailler allant d’une simple roche en les martelant à froid à l’aide d’un de ces marteaux de diorite ou de granit tenu à pleine main et découvre leur extrême malléabilité. Il ne lui faut pas longtemps pour s’apercevoir qu’il peut leur donner les formes les plus diverses : anneaux, bracelets, perles, colliers, diadèmes. Des parures qui constituent les balbutiements artistiques des premiers orfèvres. Le début d’une histoire passionnée entre l’homme et l’or. »
L'or découvert par l'homme préhistorique. Photo musée du Quai Branly- Jacques Chirac
Vestiges des « tissus d’art »
Mme al-Banna-Chidiac révèle également que cet or s'exhibe depuis des millénaires, dans de somptueuses parures. En substance, elle indique que c’est au Ve millénaire que les « orfèvres » réalisent les premiers ornements de vêtements en or comme en témoignent ces plaques, appelées appliques ou bractées, découvertes dans la nécropole chalcolithique de Varna, en Bulgarie, et qui devaient être cousues sur l’habit du défunt. Que c’est au IIIe millénaire, à Ebla, en Syrie, que les tisserands, conjuguant leur talent et leur savoir-faire, créent les premières lames d’or tressées destinées à garnir les vêtements royaux. Que dès le IVe siècle avant notre ère, sous l’effet des conquêtes d’Alexandre le Grand, les techniques ancestrales du tissage des fils d’or, connue dans l’Orient ancien, pénètrent en Grèce.
Rome, à son tour, est séduite par ces précieux tissus. Au Ve siècle après J-C, Byzance adopte le luxe oriental et les somptueuses étoffes brochées d’or désormais produites dans des manufactures impériales. Ce goût de l’apparat et du faste se répand dès le VIIIe siècle dans le monde musulman, où « les robes d’honneur », réservées aux califes ou destinées aux grands dignitaires, sont réalisées dans des ateliers d’État appelés tirâz. La Chine des Tangs (618-907) mêle l’or à la soie. Au XVe siècle, les artisans japonais développent leurs propres soieries tissées d’or, les kinran, destinées à la noblesse. L’exposition dévoile ainsi des témoignages archéologiques précieux, comme ces vestiges de filés or datant du Ier siècle de notre ère (conservés au musée du Louvre) découverts dans le sarcophage de la reine Saddan au Tombeau des rois à Jérusalem. Ou encore cette étoffe d’or du IVe siècle, découverte dans la nécropole de l’ancienne église de Saint-Pierre-l’Estrier d’Autun (département Saône-et-Loire, en France), fouillée en 2020 par l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap). « L’artisanat des étoffes de luxe se développera sous les différents empires et dynasties de l’Asie et du Moyen-Orient et connaîtra une grande vogue dans les cours européennes dès les périodes médiévales », relève Hana Chidiac. « Réservé dans un premier temps aux souverains, aux dignitaires et aux riches, l’or sera remplacé petit à petit par des fils métalliques moins coûteux. L’invention en 1946 aux États-Unis du premier fil métallisé, le Lurex, démocratisera l’usage du “fil d’or” en le mettant à la portée de tout un chacun », ajoute-t-elle.
L’exposition dévoile également la beauté et la richesse des costumes d’une vaste région allant du soleil couchant au soleil levant en passant par les pays du Moyen-Orient, l’Inde et la Chine. Photo musée du Quai Branly- Jacques Chirac
Est-ce de l’or ?
Par ailleurs, le parcours de l’exposition est ponctué par trois « bulles thématiques » qui présentent trois matières textiles dont la couleur rappelle l’or. La première aborde ce matériau fascinant qu’est la « soie marine », une fibre animale produite par un des plus grands mollusques bivalves de la Méditerranée (pinna nobilis) prisée dès l’Antiquité. La rareté de la grande nacre a fait de ce joyau de la Méditerranée une espèce protégée. La deuxième bulle est consacrée à la néphile dorée de Madagascar, une araignée dont les fils sont d’une belle couleur jaune dorée. Les premiers essais d’utilisation du fil des néphiles sont impulsés par le père jésuite Paul Camboué (1849-1929). Il entreprend dès 1898 un élevage de néphiles à Tananarive et tente de créer une machine pour extraire le fil des filières des araignées. Même si ses expériences sont probantes, le coût et la complexité des méthodes conduisent à l’abandon de cette industrie naissante qui ne permet pas de production à grande échelle. Enfin, la troisième bulle évoque un ver à soie endémique au Cambodge : le bombyx mori qui produit des cocons de soie jaune vif.
L’exposition dévoile également la beauté et la richesse des costumes d’une vaste région allant du soleil couchant au soleil levant en passant par les pays du Moyen-Orient, l’Inde et la Chine. Leur point commun ? Tous ces costumes, tissés ou brodés d’or et richement garnis de cannetilles, de sequins et de passementeries, racontent l’histoire culturelle de ces pays. Une grande section est consacrée au pays d’Orient : la Turquie, l’Égypte, le Liban, mais aussi l’Irak, le Yémen et l’Iran où les tissus de luxe occupent une place éminente. Celle dédiée à la région, qui s’étend du cœur de l’Arabie saoudite aux Émirats, Bahreïn, Koweït et Qatar, présente une riche sélection de robes de fêtes et de mariages qui trahissent une influence indienne. Elles se déclinent en tulles, damas ou mousselines de soie brodés d’or.
*« Au fil de l’or, l’art de se vêtir de l’Orient au Soleil-Levant »*, du 11 février au 6 juillet 2025. Musée du Quai Branly-Jacques Chirac, 37 Quai Jacques Chirac, 75007 Paris, France.
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16 h 22, le 17 février 2025