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Culture - Cimaises/ Rencontre

« Jacques Prévert, rêveur d’images » raconté par sa petite-fille

Eugénie Bachelot Prévert est cocommissaire de l’exposition dédiée à Jacques Prévert au musée de Montmartre. Visite guidée avec la petite-fille de l’incontournable poète français, à l’imagination foisonnante et la créativité débordante.

« Jacques Prévert, rêveur d’images » raconté par sa petite-fille

Eugénie Bachelot Prévert, la petite-fille du poète, raconte « la vie arborescente » de Prévert au musée de Montmartre. Photo DR

On le connaissait poète, magicien des mots. On le découvre artiste visuel, maître du collage. Ce jeudi matin d’hiver froid et gris, Eugénie Bachelot Prévert nous entraîne dans le monde plein de magie et de couleurs de son grand-père, le grand Jacques Prévert (1900-1977).

Elle l’a pourtant à peine connu de son vivant. Il est mort d’un cancer des poumons quand elle avait trois ans. Mais à 19 ans, à la suite du décès de sa grand-mère Janine – la femme de Jacques, qui suit celui prématuré de sa mère, leur fille Michèle, dite Minette –,  elle devient l’unique ayant droit du poète et gardienne de sa mémoire. Aujourd’hui, elle raconte la vie et l’œuvre de son grand-père dans l’exposition « Jacques Prévert, rêveur d’images », qui se tient au musée de Montmartre jusqu’au 16 février 2025.

Le scénario des « Enfants du paradis » dessiné par Jacques Prévert . Photo DR

Venue du Finistère où elle habite désormais, l’artiste peintre et plasticienne nous fait pénétrer dans l’univers de Jacques Prévert. Dans une première salle aux murs rouge, le visiteur est accueilli par la voix du poète qui lit un texte sur son enfance. Il raconte comment sa mère lui a appris à lire dans les livres de contes de fées. Et sur un mur déjà, le tout premier collage de Jacques Prévert, un autoportrait, l’unique qu’il ait fait sur une peinture.

« Une vie arborescente »

« Ce collage accueille habituellement les visiteurs dans sa maison de la cité Véron. Je trouvais que c'était important d'être reçu ici, comme si on était accueilli par Jacques Prévert lui-même, dans sa maison, dans son appartement », explique Eugénie Bachelot Prévert.

Dans cette première partie de l’exposition, hautement biographique, intitulée « Une vie arborescente », on découvre combien l’enfance et le surréalisme façonnent et font « advenir» Prévert dans son univers créatif. « Il a toujours dit qu'il a fait ses classes dans la rue et chez les surréalistes », révèle la commissaire.

Jacques Prévert naît en 1900 dans une famille d’origine bourgeoise, mais qui vit dans une grande précarité. Entre un père « complètement fantasque, lunaire, qui aimait le théâtre, écrivait un peu et n'arrivait jamais à garder un emploi, et un grand-père, Auguste, que Jacques Prévert appelait Auguste le Sévère, un homme ultracatholique qui dirigeait un organisme de charité », le poète développe une conscience politique, au contact de la misère des quartiers complètement délaissés de Paris et des enfants qui y habitent.

Lui-même quitte les bancs de l’école lorsque la guerre éclate, en 1914. De cette adolescence assez trouble, durant laquelle il était complètement livré à lui-même, il ne parle pas ou peu. « Il affirmait qu’à l’époque, le mot délinquance juvénile n'existait pas encore, mais qu’il a dû faire son service militaire en 1920 pour se racheter une conduite », précise sa petite-fille. C’est là qu’il fait une rencontre décisive en la personne d’Yves Tanguy. « C’est un être fantasque, ils deviennent très amis. Ils se reconnaissent. C’est vraiment aussi cette jeunesse qui a soif d'autres choses, de liberté des présurréalistes dans leur esprit, dans leurs actes », estime Eugénie Bachelot Prévert.

Les « Éphémérides » de Jacques Prévert. Photo DR

Jacques Prévert fait ensuite une seconde rencontre capitale. Toujours dans le cadre de son service militaire, il part à Constantinople et rencontre Marcel Duhamel. Les trois amis reviennent à Paris, deviennent inséparables, font des petits boulots à droite et à gauche, et Marcel Duhamel, loue une maison, rue du Château, pour ses amis. « C’est une communauté d'amis qui cohabite, qui fait mille choses, qui écoute du jazz, qui se lie d’amitié avec André Breton et toute la bande des Surréalistes, qui invente le jeu du cadavre exquis dont témoigne un exemplaire exposé, très rare, datant de 1925 », explique Eugénie Bachelot Prévert. Sur les cimaises, on voit aussi des photomatons de Jacques Prévert avec son frère Pierre, avec Yves Tanguy, complètement débridés, délirants, complètement vivants.

Cette partie de l’exposition s’achève par le Jacques Prévert cinéaste. Avec plus de 80 films au compteur, scénariste est son métier officiel. Et pour travailler, il s’appuie sur des dessins. « Il en subsiste très peu, il ne les gardait pas. Pour lui, c'était vraiment des instruments de travail, témoigne Eugénie Bachelot Prévert devant le scénario dessiné des Enfants du paradis, sur lequel on peut voir le nom des acteurs pressentis, ceux des personnages (Baptiste, Frédéric, Garance), leurs caractéristiques principales ainsi que des bouts de scènes… C’est quelque chose qui est très précieux, parce qu'il en reste très peu, en même temps très obscur, peu documenté, parce qu'il n'a jamais vraiment expliqué comment il travaillait. Il y a aussi tout le goût du fantaisiste, mais qui très sérieusement montre à quel point Jacques Prévert était vraiment un homme d'images. »

Portrait de Jacques Prévert par son ami Picasso. Photo DR

S’arrêtant sur chaque œuvre (plus de 150 objets, peintures, dessins, lithographies, manuscrits, photographies, archives, extraits de films et d’interviews…), donnant moult détails et anecdotes récoltés au fil des ans à travers son travail d’ayant droit, Eugénie Bachelot Prévert nous entraîne ensuite vers « Jacques Prévert au pays des peintres ». Cette deuxième partie de l’exposition rassemble quelques-unes des plus belles collaborations artistiques du poète, qu’il a réalisées « à quatre mains » avec Picasso, Miro, Calder, Ernst, Braque ou Chagall, et qui font l’objet d’éditions de bibliophilie précieuses. Ces magnifiques recueils originaux témoignent du dialogue entre les arts cher au poète. Des photos, des portraits, des lettres, des cadeaux témoignent de la complicité, de la tendresse, de l’amitié qui liait ces artistes.

« L’ami intime des fleurs vivantes »

Jacques Prévert s’est nourri de ces œuvres qu’il a vues et aimées, de ces artistes qu’il a côtoyés. La troisième partie de l’exposition « Collages : le manège des images » présente la production plastique propre du poète, « presque comme une exposition en soi ». En 1948, Jacques Prévert a un très grave accident. Sortant du coma avec de multiples fractures, le poète, qui vient de publier son recueil Paroles devenant par là-même la star qu’il est, est au repos forcé. Père d’une petite-fille, la mère d’Eugénie, il a du mal à écrire, du mal à travailler sur les films. Il se plonge alors dans cette pratique du collage qu'il exercera tout au long de sa vie. Avec des images d’enfance, des images chinées chez les bouquinistes, des images d’anatomie, des cartes postales, il fait des collages pour lui, pour ses amis (Picasso, Boris Vian, Jean-Paul Goude…), pour sa famille (sa femme, sa fille, Eugénie).

Le parcours de l'exposition s'achève avec la présentation de son bureau de la cité Véron, sorti pour la toute première fois hors les murs. Photo DR

Autres créations de Jacques Prévert, aussi intimes et confidentielles mais souvent éclipsées par ses écrits, les Éphémérides, dont Matisse disait qu'elles faisaient de lui « l’ami intime des fleurs vivantes ». Sur de grandes pages blanches servant d’agenda, Prévert dessinait une grande fleur colorée selon l’humeur du jour, très vive, un peu punk ou mélancolique, et notait ses rendez-vous avec Pierrot, son frère René, son éditeur Austin, sa voiture qu’il devait sûrement faire réparer… Il transformait ainsi des moments fugaces en poésie.

Enfin, le parcours s’achève « Chez Jacques Prévert », dans l’intimité de l’artiste, avec la présentation de son bureau de la cité Véron, sorti pour la toute première fois hors les murs. On y retrouve la grande table sur laquelle il fait les collages, les Éphémérides, il écrit, reçoit ses amis, passe ses coups de fil, devant des étagères remplies d’objets offerts par ses amis et qui résument tout son univers. À la fois lieu de création et fantastique cabinet de curiosités, ce bureau est à l’image de Jacques Prévert : « Rêveur d’images et magicien des mots. »

On le connaissait poète, magicien des mots. On le découvre artiste visuel, maître du collage. Ce jeudi matin d’hiver froid et gris, Eugénie Bachelot Prévert nous entraîne dans le monde plein de magie et de couleurs de son grand-père, le grand Jacques Prévert (1900-1977). Elle l’a pourtant à peine connu de son vivant. Il est mort d’un cancer des poumons quand elle avait trois ans....
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