Chekri Ganem est né à Beyrouth en 1861. Il étudie au collège Saint-Joseph d’Antoura où il écrit ses premiers vers. Il quitte définitivement le Liban en 1882 et entreprend de nombreux voyages en Égypte, en Suisse et en Autriche. Après une escale en Tunisie où il occupe un poste gouvernemental d’interprète et d’archiviste, il rejoint son frère Halil en France en 1895 et travaille comme journaliste. Il publie plusieurs œuvres littéraires. Antar, son chef-d’œuvre, fut produit au théâtre de l’Odéon en 1910 puis mis en musique à l’Opéra de Paris. Selon D. Combe, Chekri Ganem « ouvre la voie à une poésie nationale libanaise, qui se veut tout à la fois arabe par l’inspiration et française par la langue ». Pendant la Première guerre mondiale, Chekri Ganem milite activement pour l’émancipation du Liban de la domination ottomane et prononce en 1919, à la conférence de la Paix à Paris, une allocution au nom du Comité Central Syrien. Chevalier de la Légion d’Honneur (1908), Officier (1913), puis Commandeur de la Légion d’Honneur (1918) en France, Chekri Ganem est considéré comme le pionnier de la littérature libanaise d’expression française. Ganem se retire de la vie publique en 1921 dans sa villa d’Antibes, « La Libanaise », où il décède le 2 mai 1929. La caserne abritant l’École militaire de l’armée libanaise et une rue à Beyrouth portent son nom.
Aux Teutons
Du monde entier, un cri de réprobation
- Immense, universel, unanime - s’élève.
La conscience humaine a mis au clair son glaive
Et se mêle à l’action.
Malheur sur qui s’abat cette arme redoutable !
Déjà, chacun de vous sent tout au fond de soi
Quelque chose de mystérieux qui l’accable
Mais il ne peut savoir quoi…
Pour le savoir, Teutons, il faut qu’on ait une âme ;
- Vous prouvez le contraire à chacun de vos pas.
Il faut un peu d’espoir qu’un peu de cœur enflamme ;
- Votre espèce n’en a pas.
(…) Or que vous reste-t-il ? Pour le dire, poète
Renonce au choix des mots dont tu es coutumier,
Et descends ramasser, ganté, quelqu’épithète,
Dans la boue et le fumier.
Et le dégoût, l’horreur rendraient ces mots sublimes
Par un Hugo jeté aux quatre vents du ciel…
… Comme il eut souffleté des éclats de ses rimes
Le Crime et le Criminel !
De voir en cette Europe, en le siècle où nous sommes,
Un peuple qui devrait être proche de nous,
De notre humanité, se ruer sur des hommes
Avec des instincts de loups…
Mais faute de génie et de mots qui fustigent,
Nous avons notre cœur et ses frémissements ;
Et nous avons des faits qui, contre vous, s’érigent
Hauts comme des monuments.
Extrait des Œuvres retrouvées, éditions Milelli, 2024.