![Au Liban-Sud, la citadelle de Chamaa en partie détruite par l'armée israélienne Au Liban-Sud, la citadelle de Chamaa en partie détruite par l'armée israélienne](https://s.lorientlejour.com/storage/attachments/1438/blob_837629.jpg/r/1200/blob_837629.jpg)
Le maqam après sa destruction. Photo Haïdar Hawila
Située sur un haut plateau de Chamaa, village frontalier du sud-ouest, à cent kilomètres de Beyrouth, la localité est aujourd’hui toujours interdite d’accès à la population libanaise, mais le photographe Haïdar Hawila, originaire du village, a réussi à capturer avec sa caméra l’une des pires guerres qu’a traversées le Liban. Ses clichés, envoyés à Madonna Hakim, chargée de communication à l’ambassade d'Italie, puis transférés à L’Orient-Le Jour, en disent long sur les destructions de la citadelle.
Celle-ci a été quasiment détruite par les frappes israéliennes. Et ce n’est pas la première fois que cela arrive. Vu son emplacement stratégique au sommet d’une colline surplombant la plaine environnante, elle a servi de 1978 à 2000 de poste militaire à l’armée israélienne qui occupait une partie du Liban-Sud. Puis, au cours de la guerre de 2006, l’ennemi a braqué ses canons et ses missiles sur les murailles nord et est de la forteresse et sur le sanctuaire chiite, construit à proximité de la fortification. Les lieux avaient été gravement endommagés.
La citadelle quasiment détruite par les frappes israéliennes. Photo Haïdar Hawila
En 2007, le Qatar finance la rénovation complète du maqam chiite attribué par la tradition locale au tombeau du prophète Chamoun es-Safa (ou Chemoun es-Safa), qui, selon la croyance, serait saint Simon le Zélote ou le Cananéen, l'un des douze apôtres de Jésus (appelé Simon le Zélote pour le distinguer de Simon-Pierre). Il n’en reste presque plus rien aujourd’hui.
En 2019, les archéologues et ingénieurs sont à pieds d’œuvre dans la citadelle. L’Agence italienne pour la coopération au développement (AICS), engagée depuis deux décennies dans la préservation et la promotion du patrimoine culturel libanais, débloque 700 000 euros pour la restaurer. Les travaux pilotés par le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) et la Direction générale des antiquités porte sur le renforcement des murs intérieurs et extérieurs, la restauration des trois tours et la cour du château. Outre l’installation de panneaux explicatifs, une série de sentiers et de passerelles métalliques sont créés pour rendre les lieux accessibles aux visiteurs. La citadelle est inaugurée le 2 juin 2021, jour où l’Italie célébrait la fête de la République.
La citadelle après sa dernière restauration par l'Italie en 2021. Photo fournie par l'ambassade d'Italie
Occupée par les Romains, les croisés et les seigneurs de Jabal Amel
Les scientifiques ont eu quelques semaines pour mener des fouilles avant que l’accès au sous-sol ne devienne impossible. Une surprise les attend. Les données archéologiques collectées indiquent que l’espace a été occupé depuis l’époque romaine. Et qu'il a été antérieurement restauré en 271 après J-C. Cette date est confirmée par la découverte d’un fragment de sol en mosaïque lors des fouilles réalisées sous la direction de l’archéologue et responsable des vestiges à Tyr auprès de la Direction générale des antiquités (DGA), Ali Badaoui. Selon ce dernier, les documents manquent pour savoir ce qui est arrivé à la colonie de Chamaa après que la région fut conquise par les musulmans. Toutefois, au XIIe siècle, les Francs s’emparent du lieu pour y bâtir une tour dominant la plaine environnante. Ils l’occuperont jusqu’en 1291. Le travail d’enquête mené par Ali Badaoui permet également de retrouver de vieux documents relatant que vers 1750, le château et le village ont connu un renouveau majeur. Ils avaient été restaurés par le gouverneur de Tyr, cheikh Abbas Mohammad el-Nasser, de la dynastie chiite Ali el-Saghir de Jabal Amel, qui avait établi une autonomie de facto sur la région.
La citadelle, utilisée à des fins militaires et résidentielles, subit d’importants travaux de rénovation. C’est à l’époque de ce seigneur que le château acquiert l’importance d’un centre local économique et religieux. La période d’essor de Chamaa prend fin en 1781 lorsque Abbas Mohammad el-Nasser est tué par les Ottomans lors d'une lutte de pouvoir.
Un siècle plus tard, en 1875, en mission scientifique au Proche-Orient, l’archéologue et géographe français Victor Guérin observe que « le château, en ruine, est entouré d’une enceinte flanquée de tours semi-circulaires. L’intérieur est divisé en deux parties : l'une au nord où résidait le pacha ; l’autre au sud était occupée par une soixantaine d’habitations privées. La salle du divan était ornée de plusieurs colonnes monolithiques de granit gris (…) Près de là, encore debout avec son dôme blanc et son minaret, un sanctuaire dédié au prophète Chemoun es-Safa ».
En 1881, le « Survey of Western Palestine » décrivait qalaat Chamaa comme « un château situé sur une colline conique très élevée, que l'on apercevait de loin. Autour, le sol est couvert par des broussailles. Mais dix citernes d’eau étaient toujours visibles ».
Le maqam après sa restauration en 2007. Photo Haïdar Hawila
Dans un article publié par le site ResearchGate portant sur le Sud-Liban, Terre sainte : des lieux de pèlerinages bibliques en quête de reconnaissance, Nour Farra Haddad, docteur en anthropologie religieuse et maître de conférences à l'Université Saint-Joseph de Beyrouth et à l'Université libanaise, relève qu’Ernest Renan (1823- 1892) signale que « Kalaat Schamma est un énorme château abandonné, encore habité par quelques familles ». Jean-Claude Voisin, historien et archéologue français spécialiste des fortifications médiévales, ancien directeur du Centre culturel français à Beyrouth et coauteur avec Levon Nordiguian de l'ouvrage Châteaux et églises du Moyen Âge au Liban, publié par Terre Liban, « penche pour une origine plus ancienne et décrit la morphologie générale des fortifications qui entourent la colline avec quatre tours massives comportant chacune quatre chambres de tir », poursuit Nour Farra Haddad.
La décision du Comité spécial de l'Unesco, le 18 novembre dernier, d'accorder un « haut niveau d’immunité contre les attaques et leurs utilisations à des fins militaires » à la forteresse médiévale, qui figurait jusque-là sur la liste du patrimoine national, n'aura pas suffi à la protéger des destructions. Reste à savoir comment et par qui elle sera reconstruite, alors que les Libanais luttent pour préserver leur patrimoine et leur pays, détruits à plusieurs reprises.
On appelle ces destructions dommages collatéraux. Au contraire, elles touchent les racines et l'identité de tout le pays.
16 h 46, le 02 décembre 2024