Conçu par l’architecte Raëd Abillama, le Pavillon Nuhad es-Saïd pour la culture ne fait aucune ombre à la grande bâtisse égyptisante du musée national, à Beyrouth, où sont conservés des vestiges exceptionnels et la plus grande collection au monde de sarcophages anthropoïdes. L’architecte avait découvert que les plans originaux comprenaient deux ailes reliées entre elles. Ces plans, datant de 1928, étaient issus des concepteurs du musée Pierre Leprince-Ringuet et Antoine Nahas. Seule l’aile gauche avait été construite, laissant un espace libre à la droite du musée (côté avenue Abdallah el-Yafi) dans le jardin bordant l’hippodrome.
C’est là que s’inscrit le Pavillon Nuhad es-Saïd pour la culture dont l’inauguration était prévue le mercredi 18 septembre 2024, puis annulée, la veille et le jour même des centaines d’appareils de communication, bipeurs et talkies-walkies ayant en effet explosé de manière simultanée à travers le pays, causant un grand nombre de morts et de blessés.
L’idée de cet « espace vital moderne, destiné à présenter plus d’attrait pour les visiteurs, notamment les jeunes générations », a germé en 2014, dans la tête de Mouna Hraoui, présidente de la Fondation nationale du patrimoine (FNP). Le plan d’action fut concrétisé par la signature d’un protocole d’accord entre le ministère de la Culture – DGA, représenté à l’époque par Raymond Araygi, et la Fondation nationale du patrimoine (décret ministériel nᵒ127/AD). Le contrat autorise la FNP à édifier un bâtiment dans l’enceinte du musée national dans des conditions déterminées.
Le financement
« Dans ce lieu historique et prestigieux, confie Mme Hraoui à L’Orient-Le Jour, la salle polyvalente est parfaite pour accueillir des activités de tout genre, expositions, séminaires, conférences, tables rondes, signatures de livres, etc. Il ne faut pas oublier que la culture reste la face illuminée du pays. » D’autre part, ajoute la présidente de la FNP, « l’annexe permettra de créer une nouvelle attraction urbaine, de drainer un nouveau public au musée national, et d’insuffler aux visiteurs le sentiment de fierté de leur patrimoine, et de l’histoire de leur pays ». En un mot, elle permettra de jouer un rôle important de renouvellement et de fidélisation du public ».
Et qui d’entre nous, après avoir navigué une heure ou deux dans un musée ou une salle d’exposition, dirait non à une pause gourmande pour se restaurer ou savourer un café ? À l’instar du musée Sursock et d’un nombre d’autres au monde, le pavillon a désormais son café-restaurant. À la limite de l’hippodrome, d’une capacité de 50 personnes, il est géré par le chef Hussein Hadid. « L’ensemble des recettes générées par le pavillon seront utilisées pour couvrir les frais de maintenance du musée national, et certaines activités culturelles et artistiques qui y sont organisées », souligne encore l’ancienne Première dame qui tient à remercier tout particulièrement l’ancien ministre de la Culture Raymond Araygi, qui a entrepris toutes les démarches et formalités légales nécessaires pour la réalisation de ce projet, mais aussi les collègues et les amis pour leur soutien et contribution.
Concernant le financement de la construction du bâtiment, Mme Hraoui indique qu’une levée de fonds a été menée auprès de donateurs privés avant la crise financière de 2019. À l’entrée de l’annexe est apposée une plaque avec leurs noms. Mais le projet étant devenu onéreux, et nécessitant des fonds importants, la FNP s’est vu offrir la contribution de Mme Salma es-Saïd qui, voulant immortaliser la mémoire de feu son époux Nuhad es-Saïd, s’est engagée à verser le montant similaire à celui de la fondation. En guise de reconnaissance, la grande salle polyvalente destinée aux manifestations artistiques et culturelles porte désormais le nom de ce grand amateur d’art islamique en métal, décédé en 1982, à l’âge de 46 ans. Es-Saïd avait amassé des pièces exceptionnelles, exécutées entre le Xe et le XIXe siècle. Sa collection a été souvent prêtée à des musées de renommée internationale comme le Guggenheim, ou encore la galerie Arthur M. Sackler, le musée d’art de la Smithsonian Institution à Washington DC (États-Unis). « Chacune des pièces est unique et représente ce qui s’est fait de plus beau dans le genre », écrit Massumeh Farhad, conservatrice des lieux. En 2011, le spécialiste James W. Allan publiait également aux éditions Philip Wilson l’ouvrage Islamic Metalwork: The Nuhad es-Said Collection.
Beirut Museum of Art ou l’émotion esthétique
À l’instar du comité créé pour diriger la boutique du musée, la fondation a désigné une cellule spéciale pour piloter la programmation des activités du Pavillon Nuhad es-Saïd. Elle comprend l’ancien ministre de la Culture Raymond dit Rony Araygi ; Salwa Salman, fille de Nuhad es-Saïd et ex-présidente du Children Cancer Center of Lebanon (CCCL) ; Lama Tammam Salam, militante dans la lutte contre la maltraitance des enfants auprès de l’association Himaya et responsable de la boutique du musée ; le galériste Saleh Barakat et l’architecte Samir Ali Ahmad, ainsi que Youmna Ziadé Karam qui représente la Fondation nationale du patrimoine au sein de Beirut Heritage Initiative (BHI). Adeline Souaid Dahdah a été nommée au poste de directrice. Pour sa première activité culturelle, le comité a collaboré avec le Beirut Museum of Art (BeMA) pour une exposition inaugurale autour des thèmes « du réel et de l’imaginaire ». L’événement met sous le feu des projecteurs une magnifique installation, « Hymne à l’amour », signée Alfred Tarazi, et un florilège d’œuvres modernes et contemporaines appartenant au ministère de la Culture, ou encore à des collections privées. Intitulée « Portes et passages », elle a été conçue et préparée par les codirectrices de BeMA Juliana Khalaf et Taline Boladian, ainsi que la directrice artistique Clémence Cottard Hachem. À ne pas rater.
Architecture
Conçue dans la pierre « forné » (pierre locale, la même que celle du musée), l’annexe qui décline un magnifique projet architectural signé Raëd Abillama occupe un terrain de 1 854 m2 avec 928 m2 de terrasses et de jardins. Un seul volume est posé au rez-de-jardin, la White Box, salle polyvalente de 1 100 m2 destinée aux manifestations artistiques et culturelles. Elle est surmontée d’une verrière, dite skylights, dont le système permet de bloquer la lumière pour transformer les lieux en black room, ou de la diffuser de manière zénithale en ouvrant les brise-soleils. De quoi créer une qualité de lumière propice à chaque événement. Car l’endroit hébergera aussi bien des conférences, des projections de films documentaires que des expositions temporaires. Destiné aux bureaux administratifs, le premier sous-sol est doté également d’une salle d’exposition de 500 m2 et d’une mezzanine de 190 m2. Le deuxième sous-sol accueille le local technique et la cuisine. Et, clin d’œil à l’histoire contemporaine, le mur séparant les deux ailes du bâtiment, construit en 1982 par l’archéologue et historien libanais Maurice Chéhab (1904-1994), conservateur du musée national de Beyrouth et directeur général du service des antiquités pendant près de vingt ans, pour protéger le musée, a été conservé tel quel avec les tags que des miliciens ont gravés pendant la guerre civile libanaise.
Signalons enfin que le choix de l’emplacement et de l’implantation de la structure revêt d’autant plus d’importance qu’elle occupe l’espace prévu autrefois dans les plans (archivés) des concepteurs du musée national, Pierre Leprince-Ringuet et Antoine Nahas, pour une extension de l’institution muséale.
Pour rappel, la Fondation nationale du patrimoine n’est pas à sa première initiative. Créée le 20 septembre 1996, par décret ministériel no127/AD, et présidée par l’ex-Première dame du Liban Mouna Hraoui, la FNP est une institution à caractère privé, dotée d’un conseil d’administration et d’un comité exécutif. Son objectif est de promouvoir et de mobiliser tous les moyens d’action en faveur de la sauvegarde du patrimoine libanais. En coopération avec le ministère de la Culture – DGA, elle œuvre à la restauration et à la conservation des sites et bâtiments d’importance archéologique ou de caractère historique.
En novembre 1996, la Fondation nationale du patrimoine s’attèle à cette gigantesque entreprise, déterminée à réhabiliter le musée national dont le constat de la destruction due à la guerre civile est terrible. Mouna Hraoui, alors Première dame du Liban, lance dans ce but des opérations de collecte pour financer les travaux. Les donations reçues en 1997 et les concerts du musée ont permis le financement de la restauration de l’intérieur des bâtiments et de la majorité des sculptures et des petites pièces, ainsi que d’autres projets. À cette époque, le coût total de la réhabilitation du musée atteint plus de 5 millions de dollars, dont 4 millions et demi furent offerts à la fondation par des donateurs privés ayant à cœur la restauration et le réaménagement du musée national ; le reste représente la contribution de l’État qui a permis de mener à bien ce projet.
À l’actif de la fondation également, la revalorisation des stèles de Nahr el-Kalb (2002-2003), la création du musée de la Vie rurale à Terbol (2003-2004) et l’écomusée de Ras Baalbeck (2008), pour ne citer que quelques-uns.
Adresse: Rue de Damas, Beyrouth
Tél. : +961 1 614038- +961 7 9115531
Ouvert du mardi au dimanche, de 10h à 17h
Entrée gratuite.
Mon Liban, c'est celui-la. Merci.
14 h 01, le 08 novembre 2024