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Culture - Récompense

Le prix Goncourt 2024 à Kamel Daoud pour « Houris », un récit qui nous prend à la gorge

Exilé en France depuis 2023, l’écrivain franco-algérien a remporté le plus prestigieux des prix littéraires français lundi pour sa fiction sur les massacres de la « décennie noire » algérienne (1992-2002).

Le prix Goncourt 2024 à Kamel Daoud pour « Houris », un récit qui nous prend à la gorge

Kamel Daoud, à la fenêtre du restaurant Drouant, à Paris, quelques minutes après l’annonce que son dernier roman, Houris, avait décroché le Goncourt 2024. Julien de Rosa/AFP

Alors que se tient du 6 au 16 novembre la 27e édition du Salon international du livre d’Alger, la maison d’éditions Gallimard a été conviée à ne pas s’y rendre. Et pour cause : son livre phare de cette rentrée littéraire brave l’article n° 46 de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, adoptée par référendum en 2005 par le gouvernement algérien sous la houlette du président Abdelaziz Bouteflika, après la fin de la guerre civile algérienne (1992-2002). Une charte qui emprisonne « quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire (…) ».

C'est sur ces mots qu'entre en scène Kamel Daoud, ou plutôt « Aube », l’héroïne de Houris, ce roman de l’écrivain algérien – naturalisé français en 2020 et exilé en France depuis 2023 – lauréat du Prix Goncourt 2024 ainsi que du Prix Landerneau des lecteurs 2024 et finaliste du Reneaudot. Un roman dans lequel, en plus de lever le voile à la fois sur cette « décennie noire » de l’Algérie – qui opposa l’armée et des groupes islamistes – et sur la condition féminine en son pays, Kamel Daoud réussit le tour de force de nous faire croire qu’il est une jeune femme de 26 ans, enceinte de surcroît, au point de nous emporter avec lui dans cette transition quitte à nous y méprendre nous-mêmes aussi. Mais si Houris, du nom de ces vierges promises aux fidèles musulmans au paradis, ne tenait qu’à ça…

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Car Aube n’est pas n’importe quelle femme. Elle est une survivante. À son cou, une canule. D’une oreille à l’autre, un « sourire » de dix-sept centimètres. Celui de la cicatrice laissée par la tentative d’égorgement dont elle a été victime à cinq ans, la nuit du 31 décembre 1999, dans le village de Had Chekala, de la province de Relizane, au nord-ouest du pays. Perpétrée par un islamiste, qui fit de même – et réussit – avec sa sœur aînée et ses parents, la scène de l’égorgement d’Aube, paradoxalement impossible à lâcher, est proprement insoutenable. On en ressort le livre dans une main, l'autre sur le cou. Insoutenable, voire indicible. Et c’est bien là, dans cette interdiction de dire les choses, que tout se joue pour Aube, autant que pour Kamel Daoud.

« Les femmes portent les traces de la guerre »

Tue par la lame d’un couteau vingt et un ans plus tôt, puis bâillonnée quelques années plus tard par la législation d’Alger, la quasi muette Aube se révèle pourtant prolixe. Mue par l’écriture d’urgence de Kamel Daoud, déversant un espèce de trop-plein – enfoui peut-être ? – depuis ses années de journaliste au Quotidien d’Oran durant cette guerre, dont il a couvert les massacres et dénombré les morts (quelque 200 000), Aube raconte en son for intérieur, dans ce corps faisant office de mémoire nationale, comment elle vit sa vie de silence(s) au seul interlocuteur qui l’entende, et l'écoute, vraiment : sa fille, dans son ventre. Un être qui n’est pas encore né, mais qu’Aube ne veut pas voir naître, car « ici ce n’est pas un endroit pour toi, c’est un couloir d’épines que de vivre pour une femme dans ce pays ».

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S’entremêlent ainsi les dénonciations de l’auteur contre l’amnistie accordée aux maquisards des années 1990 pour la « réconciliation » de la nation ; contre la mémoire grandiloquente de la guerre d’indépendance algérienne (1954-1962) et l’imposition de l’oubli de ces années noires ; contre ce que la religion – et les hommes de religion – a fait de la femme. Celui qui a lui-même renoncé à l'imprégnation islamique de son adolescence, en prenant finalement le contre-pied jusqu’à être la cible d’une fatwa d’un imam salafiste pour des propos tenus sur l’islam en 2014, prend le risque de nous perdre, et y parvient parfois, dans les méandres de ses pensées et de ses combats.

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Au récit attendu de la guerre fratricide que l’Algérie a choisi d’ignorer – ce qui n'est pas sans rappeler un certain Liban – se substitue ainsi celui de la lutte pour la liberté de la femme, et vice versa, jusqu’à ce que le lecteur comprenne que les deux sont intrinsèques et liés en Aube. « Celle qui peut raconter avec authenticité et vérité l’histoire d’une guerre, c’est une femme. La guerre peut finir pour les hommes (…) mais les femmes portent les traces de la guerre. Elles portent dans leur corps la trace de ce que l'on veut enfouir », déclarait l'écrivain au micro de France Inter en août dernier. Avec Houris, Kamel Daoud nous prend à la gorge en rouvrant la plaie des non-dits sur la guerre civile algérienne, et troque sa liberté dans son pays pour réclamer celle de la femme en Algérie et partout ailleurs.

La couverture de l'ouvrage.


« Je suis très heureux, c'est cliché, mais pas d'autres mots »

 Le prix Goncourt, plus prestigieux des prix littéraires français, a été attribué lundi au romancier franco-algérien Kamel Daoud pour son roman Houris (éditions Gallimard), fiction sur les massacres de la « décennie noire » algérienne (1992-2002). « Je suis très heureux, c'est cliché, mais pas d'autres mots », a réagi l'écrivain de 54 ans au restaurant Drouant, à Paris, où sont annoncés les prix Goncourt et Renaudot. Il a été choisi par le jury au premier tour, récoltant six voix, contre deux pour Hélène Gaudy, une pour Sandrine Collette et une pour Gaël Faye, a annoncé le président de l'Académie Goncourt, l'écrivain Philippe Claudel. Gaël Faye a été récompensé pour sa part du prix français Renaudot pour son deuxième roman Jacaranda sur la reconstruction du Rwanda après le génocide de 1994. « L'Académie Goncourt couronne un livre où le lyrisme le dispute au tragique, et qui donne voix aux souffrances liées à une période noire de l'Algérie, celle des femmes en particulier. Ce roman montre combien la littérature, dans sa haute liberté d'auscultation du réel, sa densité émotionnelle, trace aux côtés du récit historique d'un peuple, un autre chemin de mémoire », a salué Philippe Claudel. Houris, qui désigne dans la foi musulmane les jeunes filles promises au paradis, est un roman sombre sur le destin d'Aube, jeune femme muette depuis qu'un islamiste lui a tranché la gorge le 31 décembre 1999. Choisissant comme narratrice une femme, Kamel Daoud situe l'intrigue d'abord à Oran, la ville où il a été journaliste lors de la « décennie noire », puis dans le désert algérien, où Aube part retrouver son village. C'est le troisième roman de cet auteur, le premier édité par Gallimard. Il avait déjà obtenu le prix Landerneau des lecteurs, en octobre, et ne peut être édité en Algérie, où il tombe sous le coup de la loi qui interdit tout ouvrage évoquant la guerre civile de 1992-2002.

Source : AFP

Alors que se tient du 6 au 16 novembre la 27e édition du Salon international du livre d’Alger, la maison d’éditions Gallimard a été conviée à ne pas s’y rendre. Et pour cause : son livre phare de cette rentrée littéraire brave l’article n° 46 de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, adoptée par référendum en 2005 par le gouvernement algérien sous la houlette...
commentaires (1)

Merci Mr Daoud. J'espère qu'il sera bientôt traduit en anglais arabe et espagnol. Merci à mon ami Djamel et sa famille "réfugiés politiques" en France durant la guerre civile

Dorfler lazare

14 h 20, le 04 novembre 2024

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Commentaires (1)

  • Merci Mr Daoud. J'espère qu'il sera bientôt traduit en anglais arabe et espagnol. Merci à mon ami Djamel et sa famille "réfugiés politiques" en France durant la guerre civile

    Dorfler lazare

    14 h 20, le 04 novembre 2024

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