Des souks patrimoniaux entièrement détruits à Nabatiyé. Photo Mohammad Yassine
Les photos effarantes de la frappe israélienne qui a détruit, samedi soir, les souks patrimoniaux de la ville de Nabatiyé, dans le sud du Liban, font le tour des médias et des réseaux sociaux et provoquent un vif émoi, alors même que la guerre meurtrière d’Israël avec le Hezbollah continue de faire des victimes tous les jours.
Notre journaliste sur place, Mohammad Yassine, décrit une scène apocalyptique et une destruction totale. Les flammes se dégagent toujours des bâtiments, une couche de cendres recouvre les vastes structures complètement détruites et on voit dans les décombres de la marchandise, des jouets.
Des jouets et des marchandises propulsés par les explosions. Photo Mohammad Yassine
Dans une vidéo postée sur ses réseaux sociaux, l’association Beit el-Baraka partage des photos historiques du souk « dont l’histoire remonte aux ères ottomane et mamelouk ». « Souk el-Khamis était un point de rencontre pour tous les agriculteurs et les producteurs du Liban-Sud, sa restauration avait été complétée il y a à peine deux ans (...). Nos racines se trouvent dans ce patrimoine et dans ces pierres », indique l’association.
Le journaliste Kamel Jaber, un habitant de Nabatiyé qui a documenté son patrimoine, est inconsolable. « C’était le noyau de la ville ; historiquement, comme Nabatiyé était un lien entre Tyr, Saïda, Jezzine et toutes les autres localités du Sud, les marchands convergeaient tous vers ce lieu », dit-il à L’Orient-Le Jour. Ce qui a été perdu dans cette frappe, ce ne sont pas seulement les souks à proprement parler, mais aussi les derniers khans (où dormaient les visiteurs dans le passé) et l’hôtel le plus ancien de la ville, qui avaient aussi été transformés en commerces. « Ce complexe donnait une idée de ce qu’était l’architecture de Nabatiyé dans le passé, avec ses arcades », déplore Jaber.
La perte de ce patrimoine est aussi une tragédie pour « plus de 200 à 300 familles qui y avaient des commerces ou des bureaux ». Le journaliste estime, d’après les photos (il n’a pas pu approcher le site encore), que « la destruction est si complète qu’elle rend les souks irrécupérables », ajoutant que la frappe israélienne était délibérée et acharnée. « Depuis 1975, nous perdons progressivement notre patrimoine en raison des attaques israéliennes, et chaque fois, la réaction est de reconstruire du moderne et non l’ancien à l’identique », regrette-t-il.
Une profonde émotion
La destruction des souks de Nabatiyé a provoqué une vive émotion en ligne. Le chercheur de Carnegie Mohannad Hage Ali a posté un message très personnel sur son compte X. « Le centre de Nabatiyé est en ruine, beaucoup de souvenirs d’enfance et de famille sont sous ces décombres, mon père y repose. Les mots me manquent, c’est de la barbarie... »
« Le cœur de Nabatiyé est en feu », écrit la militante Badia Hani Fahs. Elle cite un à un les commerces qui se trouvaient dans ces souks détruits, dans un texte très émouvant. « C’est notre cœur qui brûle, pas seulement un site en béton », conclut-elle.
Un homme tenant une béquille regarde avec désespoir les ruines des souks. Photo Mohammad Yassine
« L’agression israélienne sur le souk de Nabatiyé, considéré comme l’un des plus anciens du Liban, dont l’histoire remonte à plus de quatre siècles… La destruction du patrimoine fait partie du terrorisme israélien dans une tentative haineuse d’effacer l’histoire », écrit Sahar Nasser sur X.
Les atteintes israéliennes au patrimoine du Liban-Sud et de la Békaa se multiplient, après les nombreuses atteintes à l’environnement de ces régions, notamment à la frontière. À Nabatiyé également, Kamel Jaber informe L’OLJ de la « destruction totale, ces derniers jours, de deux demeures patrimoniales de la plus grande importance ». La première portait le nom de Ghaleb Chahine, qui a été brièvement député et ministre, et était pratiquement la première maison bâtie par un émigré (son père) au début du siècle dernier. Elle était libanaise traditionnelle combinée à une influence italienne. La seconde était celle de Mohammad el-Fadel, également une figure notoire de la ville, avec sa superbe architecture.
La demeure de Mohammad el-Fadel (avant sa destruction) n’est plus que ruines. Photo Kamel Jaber
Et ce n’est pas tout. Dimanche, l’armée israélienne a dynamité la mosquée du village frontalier de Dhayra, dans le caza de Tyr, suite à une brève incursion, rapporte notre correspondant Mountasser Abdallah. Dans la nuit de samedi à dimanche, une autre mosquée a été détruite à Kfar Tebnit (Nabatiyé), et une autre encore la semaine dernière à Yaroun (Bint Jbeil). Toutes ces mosquées sont des sites anciens, souligne Kamel Jaber.
Même les temples de Baalbeck, qui figurent sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, n’en ont pas vraiment réchappé. Une attaque visant le centre de la ville le 6 octobre a eu lieu non loin du site, à environ 500 à 700 mètres, selon le gouverneur de la ville Bachir Khodr. Celui-ci avait exprimé à L’OLJ son inquiétude quant aux effets de la « fumée noire » sur l’état des pierres ou de « la force des explosions », dont les secousses pourraient affecter les vestiges, qui comprennent l’un des temples romains les mieux préservés du monde.
Tiens, cela me fait penser à un certain groupe de fanatiques qui a détruit les statues de Bouddha de Bamiyan.
01 h 15, le 15 octobre 2024