
Les secours interviennent après une frappe israélienne sur la banlieue sud de Beyrouth, vendredi 27 septembre 2024. Ibrahim Amro/AFP
Le corps du leader du Hezbollah, tué vendredi par l’armée israélienne, a été extrait dimanche des décombres dans la banlieue sud de Beyrouth. Son assassinat, provoqué par une salve de bombes particulièrement explosives qui se sont abattues sur le quartier général de la milice chiite, a provoqué une onde de choc au Liban et dans la région. Il soulève en outre de nombreuses questions : comment une telle opération a-t-elle pu aboutir ? Depuis combien de temps a-t-elle été préparée ? Par quels moyens les services israéliens ont-ils été au courant de la venue de Hassan Nasrallah, terré depuis des années dans un lieu tenu secret et dont les déplacements étaient extrêmement limités ?
Quelques minutes avant l’opération
Vendredi 27 septembre, aux environs de 18h, plusieurs avions israéliens survolent le ciel de la banlieue sud de Beyrouth. Leur objectif : frapper un bloc de six bâtiments à Haret Hreik, identifié comme le centre de commandement du Hezbollah. Une réunion de ses membres haut placés doit se tenir, réunissant une douzaine de personnes, dans une salle souterraine située à environ 20 mètres en dessous du sol, décrit le Wall Street Journal. Selon le journal américain, citant des sources proches du groupe armé, la réunion devait permettre à certains d’exprimer leur « frustration « face au fait que l'Iran les empêche de répondre plus vigoureusement aux attaques israéliennes ». Cela fait plusieurs jours que les forces israéliennes mènent des frappes ciblées dans la banlieue sud pour abattre des responsables de haut rang du Hezbollah.
« Les informations qui arrivent à Israël indiquent que parmi les participants se trouve Hassan Nasrallah », relate al-Arabiya, la chaîne nationale saoudienne dans une vidéo de reconstitution. « L’homme est entré dans ce bloc de 6 bâtiments et Israël ne sait pas dans lequel aura lieu la réunion », poursuit le média. Selon le journal Le Parisien, Hassan Nasrallah serait arrivé sur place en voiture, accompagné du commandant iranien du régiment al-Qods, l’unité d’élite des gardiens de la révolution, alors que se tenaient non loin de là les funérailles de Mohammad Hussein Srour, commandant au sein du Hezbollah de l’unité des drones sur le front du sud, tué la veille dans une frappe aérienne.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a approuvé la frappe aérienne visant les dirigeants du Hezbollah depuis une chambre d'hôtel à New York, vendredi. Le bureau du Premier ministre a modifié l'image pour masquer les objets posés sur le bureau. Photo : Bureau du Premier ministre israélien/Zuma Press
« Les Israéliens, qui opèrent une surveillance aérienne 24 heures sur 24, sont sûrs de leur coup », assure le quotidien français, poursuivant : « Les services israéliens ont attendu que tous se trouvent dans la salle où la milice chiite planifie ses opérations militaires (...), pour donner l’ordre de bombarder ». Quelques heures plus tôt, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu se trouvait aux Nations unies, à New York, pour prononcer un discours devant une salle quasiment vide. « Nous n'accepterons pas qu'une armée terroriste perchée à notre frontière nord soit capable de perpétrer un autre massacre du type du 7 octobre », avait-t-il déclaré au sujet du Liban. Après sa prise de parole, le dirigeant israélien s’isole dans un cabinet, accompagné de deux conseillers. Une photo, partagée une heure après l’attaque, capture le moment où Benjamin Netanyahu, au téléphone, donne le feu vert pour lancer l’opération.
Comment l’opération s’est-elle déroulée ?
À 18h17, une détonation fait trembler la terre et résonne dans Beyrouth jusqu’à 40 kilomètres de là. Plus de 80 bombes sont larguées en quelques secondes. Après avoir analysé une vidéo publiée samedi sur la chaîne officielle Telegram de l'armée israélienne, avec la légende « Des avions de chasse de l'armée de l'air israélienne impliqués dans l'élimination de Hassan Nasrallah et du quartier général central du Hezbollah au Liban », plusieurs médias internationaux ont pu identifier la nature du matériel militaire utilisé dans l’opération.
La vidéo montre au moins huit avions d’affilée armés de bombes de 900 kilos. Certaines, une quinzaine, sont identifiables comme étant le modèle BLU-109, de fabrication américaine et équipé d'un kit de guidage JDAM, rapporte le quotidien Haaretz. Ces bombes sont appelées « bunker busters » (démolisseur de bunkers). Elles permettent de pénétrer dans le sol avant d’exploser, chaque explosion ouvrant la voie à la suivante. Les exportations de ce modèle par les États-Unis avaient été suspendues en mai dernier, pendant l’offensive israélienne à Rafah, alors qu’une nouvelle livraison vers Israël était prévue, Washington craignant que l’utilisation de ces bombes extrêmement destructrices entraîne d’importantes pertes civiles dans la bande de Gaza.
Mark Kelly, sénateur américain démocrate qui avait été envisagé comme colistier de Kamala Harris, a le premier affirmé publiquement dimanche soir sur la chaîne NBC News qu'Israël avait utilisé des « bombes Mark 84 de 2 000 livres (900 kilos, ndlr) produites aux États-Unis » pour ses frappes sur la banlieue sud vendredi soir.
Les six bâtiments de Haret Hreik sont pulvérisés, réduits à un cratère énorme d’une trentaine de mètres de profondeur. Les conditions de survie de ceux qui étaient dans le bâtiment sont nulles et l’armée israélienne annonce très vite la mort de Hassan Nasrallah.
Depuis combien de temps l’opération était-elle planifiée ?
Selon trois hauts responsables de la défense israélienne cités par le New York Times, les dirigeants de l’État hébreu étaient au courant depuis plusieurs mois de l'endroit où se trouvait Hassan Nasrallah. Ils ont pris la décision de frapper en début de semaine, et ce au moment où les responsables politiques israéliens parlaient avec leurs homologues américains de la possibilité d'un cessez-le-feu au Liban. « Ils pensaient qu'ils n'avaient qu'une courte fenêtre d'opportunité avant que le chef du Hezbollah ne disparaisse vers un autre endroit », rapporte le NYT. La planification opérationnelle de l’attaque aurait pris plusieurs mois, notamment parce que les responsables militaires cherchaient à déterminer comment « percer un bunker souterrain dans le sud de Beyrouth avec une série d'explosions programmées », poursuit le quotidien américain.
Mais selon l’agence Reuters, la capacité d'Israël à atteindre le chef du Hezbollah remonte à bien plus loin. Citant une source « proche de la stratégie israélienne » qui s’est confiée moins de 24 heures avant la frappe, Reuters rapporte qu’Israël aurait passé vingt ans à concentrer ses efforts de renseignements sur le Hezbollah et qu'il pouvait frapper Nasrallah quand il le voulait, y compris dans son quartier général. Benjamin Netanyahu et son entourage proche auraient en fait autorisé l'attaque mercredi, affirment deux responsables israéliens.
Selon une analyse du Haaretz particulièrement cinglante à l’encontre du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu aurait pourtant longtemps hésité avant d’approuver l’assassinat de Nasrallah, s’opposant ainsi à son ministre de la Défense Yoav Gallant, qui faisait pression en ce sens. La raison ? « Il ne voulait pas que l’opération “nouvel ordre régional” (le nom donné par Israël à l’opération visant à éliminer Hassan Nasrallah) soit menée avant la fin de son opération “Shabbat à Manhattan” », le journaliste faisant référence à la visite du Premier ministre aux États-Unis. Car « il était déjà clair que le voyage était exactement ce qu'il était prévu d'être : un week-end de plaisir et d'auto-glorification », épingle le Haaretz.
Selon le WSJ, le moment exact de la frappe constituait une opportunité, ont indiqué des responsables israéliens. Elle a été ordonnée quand les renseignements israéliens ont appris la tenue de la réunion quelques heures avant qu'elle ne se produise. « Nous avons eu des renseignements en temps réel indiquant que Nasrallah se réunissait avec de nombreux hauts responsables terroristes », a d’ailleurs déclaré samedi un porte-parole de l'armée israélienne, Nadav Shoshani. Ce dernier n'a pas précisé comment l’information a pu leur parvenir, mais a certifié que les dirigeants du Hezbollah s’étaient réunis pour planifier des attaques contre Israël.
Comment Israël a pu être informé de l’arrivée imminente de Hassan Nasrallah ?
À ce sujet, plusieurs théories abondent, certaines allant dans le sens d’une infiltration iranienne. Selon une « source sécuritaire libanaise bien informée » citée par Le Parisien, une « taupe iranienne » aurait transmis l’information à l’armée israélienne vendredi après-midi. Mais selon l’agence Reuters, l’infiltration par des informateurs d’Israël serait plutôt venue des rangs de la milice chiite, confrontée, aujourd’hui plus que jamais à « l’énorme défi de colmater l’infiltration dans ses rangs qui a permis à son ennemi juré Israël de détruire des sites d’armes, de piéger ses communications et d’assassiner le leader vétéran, dont la localisation était un secret bien gardé depuis des années ».
Cet article a été modifié lundi 30 septembre pour inclure les déclarations du sénateur américain Mark Kelly.
Tout ce Que l’on sait c’est qu’il n’est plus et ça nous suffit largement. Nos morts peuvent enfin reposer en paix puisque la justice n’a pas pu leur offrir ce luxe même après leur mort.
18 h 21, le 30 septembre 2024