Les yeux bandés, battus et parfois mordus par des chiens, les Palestiniens de Gaza libérés des prisons israéliennes affirment avoir été torturés dans le cadre de la guerre israélienne contre l'enclave. Ce conflit commencé le 7 octobre 2023 a, selon les groupes de défense des droits, aggravé les conditions de détention dans les geôles israéliennes.
Mohammad Abou Salmiya, ancien directeur d'al-Shifa, le plus grand hôpital de Gaza, est le dernier en date à faire état de mauvais traitements infligés par Israël. Salmiya, qui fait partie des dizaines de détenus libérés lundi, a déclaré : "Plusieurs détenus sont morts dans les centres d'interrogatoire, ils avaient été privés de nourriture et de médicaments.”
L'armée israélienne et le service de renseignement Shin Bet n'ont pas réagi à son récit, bien qu'ils aient rejeté des accusations similaires de par le passé. Néanmoins, l'armée israélienne a reconnu qu'il y avait eu 36 décès, les attribuant à des détenus malades ou blessés pendant la guerre.
Alors que les Nations unies et d'autres organisations s'inquiètent depuis longtemps des conditions de détention des Palestiniens dans les prisons israéliennes, les groupes de défense des droits affirment que les changements juridiques intervenus depuis le début de la guerre de Gaza ont aggravé la situation.
L'AFP a interrogé certains des 50 prisonniers emmenés à l'hôpital Kamal Adwan dans la bande de Gaza après leur libération par Israël le 11 juin.
"J'ai été battu jour et nuit. On nous a bandé les yeux, enchaîné les mains et les pieds, ils ont lâché des chiens sur nous", a raconté Mahmoud al-Zaanin, 37 ans, depuis son lit d'hôpital, précisant que les coups portaient parfois sur ses parties génitales.
Des jambes amputées dans les prisons israéliennes
"Ils m'ont demandé où se trouvait Yahya Sinouar, le chef du Hamas, où se trouvaient les otages et pourquoi j'avais participé à l'attaque du 7 octobre", a-t-il ajouté. Zaanin insiste qu'il n'a pas participé aux attaques du Hamas contre Israël.
L'attaque du 7 octobre du Hamas contre Israël a fait 1 195 morts, pour la plupart des civils, selon un décompte de l'AFP basé sur des chiffres israéliens. L'offensive israélienne de représailles a tué au moins 38 011 personnes à Gaza, également des civils pour la plupart, selon le ministère de la Santé du territoire.
M. Zaanin a déclaré qu'il avait été privé de sommeil et d'accès aux toilettes et qu'on lui avait refusé tout traitement médical. "Nous avons uriné dans nos vêtements.” Un détenu libéré, Osmane al-Kafarneh, a raconté à l'AFP que ses "mains étaient blessées par la torture électrique" et a décrit des prisonniers dont les yeux étaient bandés et qui étaient déplacés sans jamais savoir où ils se trouvaient.
M. Kafarneh a assuré avoir vu "plus de 30 prisonniers avec des jambes amputées, certains avec les deux jambes manquantes, et d'autres avec les deux yeux manquants". En avril, le journal Haaretz a cité une lettre adressée au ministère israélien de la Défense par un médecin d'un camp de l'armée israélienne.
"Des prisonniers de Gaza ont eu les jambes amputées après avoir été longtemps enchaînées, ils défèquent dans des couches et sont continuellement attachés, ce qui viole l'éthique médicale et la loi", peut-on lire dans cette lettre. En mai, l'AFP a interrogé des prisonniers libérés à l'hôpital des Martyrs d'Al-Aqsa à Gaza, où Moussa Youssef Mansour a relaté : "Nous avons dormi pendant deux heures, puis ils ont amené des chiens et les ont lâchés sur nous pendant la nuit".
"Certains jeunes hommes sont morts après avoir été battus de manière excessive et attaqués par des chiens", a affirmé M. Mansour, montrant des cicatrices sur ses bras qui, selon lui, sont dues à des morsures de chiens.
Bataille juridique
Les Nations unies ont qualifié d'"inacceptable" le traitement des prisonniers par Israël. Ravina Shamdasani, porte-parole du commissaire aux droits de l'homme de l'ONU, a déclaré à l'AFP : "Nous avons reçu des rapports de torture, de mauvais traitements, de menottage, de privation de nourriture, d'eau et de médicaments, et ces rapports sont très inquiétants.”
"Nous en avons parlé directement aux autorités israéliennes et nous avons demandé une enquête transparente", a-t-elle poursuivi. Les autorités israéliennes n'ont pas répondu aux questions de l'AFP.
En mai, l'armée israélienne a déclaré qu'elle "rejetait catégoriquement" les allégations d'un média américain selon lesquelles des détenus auraient été déshabillés, auraient subi des sévices sexuels et auraient été électrocutés pendant les interrogatoires. Tout en reconnaissant la mort de détenus, l'armée a assuré qu'elle respectait les lois israéliennes et internationales, soulignant que les détenus libérés à Gaza "sont sous le contrôle d'une organisation terroriste qui peut les forcer à fournir de fausses informations".
Amendements aux lois israéliennes sur la détention
Après les attaques du Hamas, le parlement israélien a modifié les règles de détention. Les modifications apportées à la loi sur les combattants illégaux en décembre permettaient d’emprisonner des Palestiniens dans des camps spéciaux, notamment à Sde Teiman, dans le désert du Néguev, où Salmiya était retenu.
Israël peut désormais détenir des prisonniers pendant 45 jours sans procédure administrative, contre 96 heures auparavant. Les prisonniers peuvent être détenus pendant 75 jours sans audience, contre 14 jours auparavant, et cette période peut être prolongée jusqu'à 180 jours. Et les juges peuvent empêcher un détenu de contacter un avocat.
"Certains détenus n'ont pas reçu la visite d'un avocat depuis plus de huit mois et sont jugés par Zoom sans avoir été présentés au tribunal", a déploré Tal Steiner, directeur du Comité public contre la torture en Israël. Le groupe de M. Steiner avait connaissance de trois camps où les détenus étaient enchaînés 24 heures sur 24 dans des cages ouvertes. "Nous croyons que la loi peut aider à changer ces violations, c'est pourquoi nous avons déposé une pétition", a déclaré Steiner.
Le gouvernement n'a pas donné de réponse officielle à cette proposition. Un avocat de l'État a toutefois déclaré lors d'une audience de la Cour suprême en mai qu'il y avait 2 000 détenus gazaouis classés comme "combattants illégaux" en vertu d'ordres de détention permanente, ce qui signifie qu'ils ont été détenus pendant plus de 45 jours. Des centaines d'entre eux attendent d'être inculpés, a ajouté le procureur, tandis que plus de 1 500 ont été libérés et sont retournés à Gaza.
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