L’ancienne ministre française de la Culture s’exprime pour la première fois depuis son départ du gouvernement en janvier dernier. La Franco-Libanaise, qui avait été constamment la cible des attaques de l’extrême droite – « elle ne mérite pas d’être ministre des Français », avait déclaré à son sujet Marine Le Pen –, prend la parole dans un moment charnière où le Rassemblement national pourrait obtenir la majorité des sièges à l’Assemblée à l’issue des législatives qui se tiennent le 30 juin et le 7 juillet. Si elle reste loyale à Emmanuel Macron, elle se démarque toutefois de la ligne exprimée par plusieurs cadres de la majorité qui mettent le RN et La France insoumise (LFI) sur le même plan. Entretien.
Le Rassemblement national est aujourd’hui aux portes du pouvoir. Comment le vivez-vous ?
Je suis extrêmement inquiète. Mais l'inquiétude ne doit pas nous paralyser. Elle doit nous rendre encore plus combatifs. Le discours de Jordan Bardella stigmatise encore une fois les binationaux. C'est une rhétorique classique du RN. Pour eux, il y a plusieurs catégories de Français. Il y a les vrais Français et les demi-Français, qui ne méritent pas d'obtenir des postes à responsabilité. C'est quand même extrêmement insultant pour les plus de trois millions de Français qui ont une double nationalité, dont je fais partie ainsi que tous les Franco-Libanais. Ça montre que ce parti a beau lisser son langage, édulcorer ses idées et mettre en œuvre une stratégie de respectabilité, il demeure le parti de la xénophobie, du racisme, de l'exclusion de l'autre et du rejet.
Le RN à Matignon, cela ressemblerait à quoi ?
S’il arrive, par malheur, au pouvoir, ce racisme et cette xénophobie vont être institutionnalisés. C'est au-delà de la banalisation, ça va être de l'institutionnalisation. Mais le RN au pouvoir, c'est aussi pour moi une catastrophe économique, sociale, écologique, culturelle et démocratique, parce qu'ils vont étouffer nos libertés publiques et ne respecteront pas la liberté de la presse.
C'est le pire des scénarios à vos yeux ?
C'est le pire scénario, qu'il faut absolument éviter dans les jours qui viennent, en essayant de mobiliser le plus possible les Français pour qu'ils comprennent à qui ils ont affaire. J'ai beaucoup entendu : « On ne les a pas essayés. » Mais on sait que quand on met sa main dans le feu, on va se brûler ! Il y a des choses qu'on n'a peut-être pas besoin d'essayer ! On a vu les ravages de l’extrême droite quand elle arrive au pouvoir ailleurs en Europe et dans le monde.
Pourquoi ce parti est-il aussi populaire aujourd'hui en France ? Quel est son moteur ?
C’est une question complexe, qui n’est pas spécifique à la France, les populistes gagnent du terrain dans de nombreux pays. Le RN joue sur les peurs et les colères, mais pas uniquement. Il y a aussi une fatigue des Français par rapport à la classe politique, un besoin de changement. Le RN a aussi une stratégie de communication qui fonctionne pour faire croire que son image a changé. Avec les chats de Marine Le Pen, avec la communication sur TikTok de Jordan Bardella, il a réussi à faire croire qu'il n’est plus le Front national d'avant, alors que son vrai visage est toujours le même.
Vous êtes arrivée en France en 1989, à l’âge de dix ans. Est-ce que vous avez le sentiment que le racisme est de plus en plus prégnant, qu'il a explosé ces dernières années ?
La Commission nationale consultative des droits de l’homme vient de sortir son rapport annuel qui montre en effet une augmentation du racisme et de l’antisémitisme en France. Quand je suis arrivée en France en 1989, j'ai beaucoup entendu « sale Arabe », « rentres dans ton pays », « tu n'es pas chez toi ici ». Mais j'ai aussi vu la capacité d'accueil des Français, énormément de personnes qu'on ne connaissait pas se sont mobilisées pour nous aider et nous ont ouvert les bras. Ce pays est devenu le mien, j’ai travaillé au service de l’intérêt général toute ma vie et j’ai pu devenir ministre.
Et cette France de l'accueil, elle est toujours là. Aujourd'hui, près d'un Français sur trois est issu de l’immigration ou a des racines venant d'ailleurs. Mais il y a une banalisation de la parole raciste du fait de la banalisation des idées de l'extrême droite, mais aussi en raison des réseaux sociaux qui permettent d’insulter tout le monde sous le couvert de l’anonymat. Et il y a une montée de l'antisémitisme qui est très inquiétante. Lutter contre le rejet de l'autre, c'est un combat de tous les instants à poursuivre.
Comment fait-on, quand on est responsable politique aujourd'hui, pour endiguer cette montée en puissance de l'extrême droite ?
Quand j'étais ministre, je menais ce combat sur deux fronts : celui du terrain, c'est-à-dire aller à la rencontre des Français partout sur le territoire et répondre à leurs préoccupations, porter des projets qui créent du sens, du lien et des retombées économiques, par exemple la Cité internationale de la langue française à Villers Cotterêts en Picardie dans un château qui était abandonné depuis des décennies. Mais aussi le front de la bataille des mots, à l'Assemblée, dans les médias, ne rien laisser passer, quand ils attaquent, par exemple, la liberté de la presse ou la liberté des artistes ou quand ils lancent des « fake news ». Mais ça ne suffit pas. Visiblement, ça ne suffit pas.
Pourquoi Emmanuel Macron, qui en avait quand même fait l'un de ses grands objectifs, a échoué à endiguer cette montée en puissance ?
Il a réussi deux fois à battre Marine Le Pen à la présidentielle, ce qui montre que les Français sont conscients du danger qu'elle représente et sont conscients de la force et de l'ambition du projet qu'avait Emmanuel Macron pour la France. Et aux élections législatives de 2022, le RN a certes fait une percée historique, mais n'a eu ni la majorité relative ni la majorité absolue. Donc jusqu'ici, on a réussi à battre le RN. Et il faut continuer à tout faire pour le battre à nouveau.
Donc vous ne considérez pas que c'est un échec ? Le fait qu'il y ait une telle cassure aujourd'hui entre la présidence et les Français, cela n’a-t-il pas contribué à la montée en puissance de l’extrême droite ?
Les Français sont toujours hostiles à leurs présidents. Il suffit de regarder les côtes de popularité des présidents depuis plusieurs quinquennats. Hélas, il y a un peu cette insatisfaction permanente française.
Bien sûr, il y a des choses qui auraient pu être mieux faites, de manière peut-être plus apaisée, mieux expliquées. Pour autant, je mets au défi qui que ce soit, dans la situation qu'a connue Emmanuel Macron, au vu de toutes les crises qu'il a eu à gérer, le Covid, les crises internationales, de faire mieux, d’avoir autant réduit le chômage, mis la priorité sur l’éducation, protégé les Français…
Je n’oublie pas non plus la mobilisation d'Emmanuel Macron pour le Liban parce que j'étais avec lui les deux fois où il est venu en août et en septembre 2020. Ses initiatives n’ont pas suffisamment porté leurs fruits, parce que les blocages libanais sont tellement profonds, mais il a été en capacité de mobiliser toute la communauté internationale en deux jours pour qu'il y ait plus de 300 millions de dollars sur la table pour venir en aide, via des ONG indépendantes, à la société libanaise. Et le soutien de la France au Liban, pour la santé, l’éducation, la culture… n’a jamais été aussi important. Quel pays autre que la France pense tous les jours au Liban ? Je n'en connais pas. Et ça ne sera pas le cas avec Marine Le Pen. Elle n'a aucune proposition pour le Proche-Orient et pour le Liban en particulier.
En décembre dernier, avant votre départ du gouvernement, vous aviez fait part de votre malaise vis-à-vis de la loi sur l’immigration. Quand on fait passer une telle loi avec les voix de l'extrême droite, est-ce que l’on ne joue pas son jeu ?
Les voix du Rassemblement national n'ont pas déterminé ce vote. Ils avaient dit que le texte était « trop mou » avant de faire croire que c’était leur « victoire idéologique », c’est encore une manipulation et c’est pourquoi il était hors de question pour moi de démissionner.
En majorité relative, les compromis sont indispensables. Mais ce qui m'a gênée, c'est que l’on accepte de prendre des dispositions qui sont anticonstitutionnelles. Le Conseil constitutionnel l'a prouvé en les censurant. Et dans le discours, de laisser finalement de la place à une vision de l'immigration beaucoup trop négative. Certes, il faut lutter contre l'immigration illégale, mais il y a énormément de métiers en tension aujourd'hui en France, qui ont beaucoup de mal à recruter.
Ce que je trouve grave par ailleurs, c’est de faire systématiquement le lien entre délinquance et immigration, comme le font l'extrême droite et une partie de la droite. Lors des violences urbaines de l'été 2023 par exemple, moins de 10 % des émeutiers étaient étrangers. Ce type de confusions alimente le racisme.
Vous avez côtoyé Emmanuel Macron de près pendant plusieurs années. Est-ce que vous comprenez ce qui a pu motiver son choix de dissoudre l’Assemblée nationale dans un moment aussi charnière ?
Je comprends que le président ne pouvait pas ne pas tenir compte du résultat des élections européennes. Cela lui aurait été reproché. Il avait différentes manières de le faire. Sa décision a été de redonner la voix au peuple pour des élections législatives anticipées qui seraient peut-être arrivées plus tard à l'automne si le gouvernement avait été censuré par une motion de censure à l'Assemblée. C'est vrai que là, le timing est court. Juste avant les Jeux olympiques, il y a une dimension très risquée. Mais c'est la démocratie. C'est un pouvoir que la Constitution prévoit et qui permet de redonner la parole aux Français, une nouvelle fois, pour choisir leur destin.
Il ne joue pas avec le feu ?
Le feu est déjà à nos portes. Le feu était déjà là quand le résultat des élections européennes est tombé. Le président a voulu qu'il y ait un électrochoc et qu'on réalise ce qui était en train de se passer. Alors, c'est sûr qu'il y a un risque que le Rassemblement national monte encore plus, voire remporte une majorité, soit relative, soit absolue, mais il nous reste encore plusieurs jours pour convaincre, pour nous battre et pour tout faire pour empêcher ce désastre-là. N’oublions pas que le premier parti en France est en fait l’abstention. Mobiliser les abstentionnistes sera déterminant.
Est-ce que vous aussi vous dites, à l’instar de plusieurs ministres et députés de la majorité, « ni RN ni LFI » au second tour ?
Non. Moi, je pense que dans la majorité des cas, quel que soit le candidat du nouveau Front populaire, s’il a respecté les valeurs républicaines et démocratiques, il faudrait que le candidat arrivé en troisième position se désiste, qu'il soit républicain (LR) ou qu'il soit de la majorité présidentielle. Il y aura seulement quelques cas particuliers de députés LFI qui ne seront absolument pas défendables et dans ces cas très particuliers, ça sera difficile d'appeler à voter pour eux.
Vous regrettez que ce ne soit pas le discours officiel aujourd'hui ?
Je n'ai pas encore entendu de discours officiel sur la stratégie d'entre-deux tours, puisqu'on n'a pas encore passé le premier tour. J'attends d'avoir des expressions claires sur ce sujet.
Le programme du nouveau Front populaire ne me réjouit pas. Je trouve que ce n’est pas un programme sérieux ni crédible avec des mesures d'un autre temps qui ne prennent pas la mesure des défis qui sont ceux de notre pays. Pour autant, le Front populaire me semble moins dangereux que le Rassemblement national pour la démocratie, pour nos libertés publiques, pour les droits des femmes… Et de toute façon, je pense qu’il ne pourra pas avoir la majorité absolue, il nous faudra construire des coalitions avec toutes les forces démocratiques, comme d’autres pays européens savent le faire.
Mme Rima Abdul Malek a travaillé sue ce qu"elle appelle l'extrème droite en essayant de pénalise une chaine de TV. Grosse erreur, On ne doit pas resteindre la liberté de la presse , c'est comme cela qu'elle a commencé à dérailler et encouragé l'extrème gauche tellement plus dangereuse !!!
13 h 51, le 29 juin 2024