Rechercher
Rechercher

Lifestyle - Rencontre

Albina du Boisrouvray : Le jour où j’ai parlé arabe devant Jean-Marie Le Pen

Son nom comme son visage ne sont pas les plus connus du grand public et pourtant… À 82 ans, Albina du Boisrouvray a eu plusieurs vies. Journaliste, productrice de cinéma puis philanthrope, la comtesse rebelle dédie sa vie à ses engagements humanitaires depuis plus de quatre décennies et la raconte enfin aujourd’hui…

Albina du Boisrouvray : Le jour où j’ai parlé arabe devant Jean-Marie Le Pen

Albina du Boisrouvray au cours d’un de ses voyages humanitaires. Photo DR

On peut être veuve ou veuf, orpheline ou orphelin. Mais qu’appelle-t-on un parent qui a perdu son enfant ? Comment définir l’indicible ? Ces si cruelles questions, Albina du Boisrouvray tente d’y répondre depuis près de 40 ans.

Le 14 janvier 1986, la journaliste devenue productrice de cinéma reçoit l’appel qui bouleversera sa vie. Son fils, François-Xavier Bagnoud, 24 ans, meurt au Mali dans un crash d’hélicoptère faisant quatre autres victimes, parmi lesquelles le chanteur Daniel Balavoine. « Le père de François m’a appellé à la dernière minute, quelques secondes avant le bulletin info qui annonçait le drame », raconte-t-elle avec la douleur toujours vissée au corps. Ce deuil impossible, elle tente de le surmonter en Suisse et en délaissant toutes ses activités professionnelles. Jusqu’à ce coup de téléphone de son ami, Bernard Kouchner, ancien ministre et fondateur de Médecins sans frontières. « Mets quelques affaires dans un sac, je t’emmène au Liban », lui lance-t-il un soir d’avril 1987. C’est lors de ce voyage humanitaire dans un pays ravagé par la guerre civile, qu’elle décide de continuer à faire vivre la mémoire de son fils au travers de luttes qu’elle juge essentielles.

Avec son fils, François-Xavier, le bonheur et le drame de sa vie. Photo DR

Pour cela, la comtesse du Boisrouvray, descendante d’une riche famille d’aristocrates, vend tous ses biens sans se poser de questions. Immeubles, tableaux, bijoux, presque tout part aux enchères dans le but de fonder une association : FXB International. Finis les locaux de rédaction et les plateaux de cinéma, Albina du Boisrouvray redevient la rebelle qu’elle a toujours été, de Kigali à Tripoli… Rencontre.

Continuer un combat entamé

Née d’un métissage latino-français, Albina du Boisrouvray grandit avec l’espoir de s’éloigner d’un univers rongé par les ragots de la haute bourgeoisie qui s’ennuie. Bien que consciente de ses privilèges, la jeune femme, mariée à 18 ans, refuse de s’enraciner dans une forme de stabilité et de routine blasée, lit Betty Friedan, découvre les autrices féministes de l’époque et décide de divorcer pour aller s’installer à Paris. « J’ai vite réalisé que le bonheur n’était pas dans les casseroles et les machines à laver. Il fallait que je m’épanouisse professionnellement, et c’est passé par le grand écran. »

Productrice de cinéma influente au 33e Festival de Cannes en 1980 avec son fils François-Xavier. Photo DR

Sur les plateaux de cinéma, elle s’impose vite comme l’une des rares femmes productrices dans un milieu fait par et pour les hommes. Alors qu’on l’encourage à produire de petits films d’art et d’essai, elle lance des productions risquées, coûteuses. « Comme les mecs ». En coulisses, elle gère Lino Ventura et son machisme assumé, Romy Schneider et sa fragilité réputée. Aux côtés de Depardieu, Deneuve et Marceau, elle présente Fort Saganne au Festival de Cannes, son dernier long-métrage avant la mort de son fils. « À la suite de cela, j’étais paralysée, incapable de me reconstruire. On peut dire que mes engagements m’ont sauvée. » Et engagée, elle l’a été. Pour les orphelins du sida d’abord. En cette fin de la décennie 80, le virus ravage les communautés les plus fragilisées, de San Francisco à l’Afrique centrale. À la télévision, Albina du Boisrouvray écoute un scientifique évoquer « les cordes d’orphelins » du VIH et affirme ne pas pouvoir « rester assise face à ces scènes d’horreur ». De l’Élysée à l’ONU en passant par tous les ministères concernés, cette cousine du prince Rainier III de Monaco toque à toutes les portes, tire toutes les sonnettes d’alarme.

Avocate des oubliés de l’histoire

En vraie femme d’affaires de l’humanitaire, Albina du Boisrouvray ne laisse pas son nom de la France des beaux quartiers entraver ses actions. Rebelle, elle l’est depuis mai 1968. Son engagement, « pour continuer de faire vivre l’esprit » de son fils pilote-sauveteur, elle le retrouve aussi pour prendre sa revanche sur la fatalité. Arpente le monde pour retrouver ses équipes chargées de piloter des programmes humanitaires dans des campagnes éloignées du Mali, aux bidonvilles de Calcutta et de Bogotá. Mais ne lui parlez pas du complexe du white savior – le fait qu’une personne blanche d’un milieu aisé vienne en aide à des groupes d’individus plus démunis dans le but de flatter son ego. « J’ai toujours été accueillie dans les maisons des gens avec bienveillance. Évidemment, je ne vis pas avec eux. Je suis consciente que je rentre dans mon Occident bien propre ensuite. Mais en attendant, j’aide comme je peux », ressasse-t-elle avec lucidité. L’association FXB International, destinée à restaurer la dignité des plus vulnérables, a réussi en 30 ans à sortir 100 000 personnes de la misère. Au cours de l’entretien, elle mentionne sa rencontre avec Nelson Mandela, la personnalité qui l’a le plus marqué par son humilité. « Devant moi, dit-elle, il s’excuse de n’avoir pas fait assez pour les personnes se battant avec une séropositivité alors mortelle pendant son mandat présidentiel. Quel dirigeant aurait le courage de reconnaître ses erreurs aujourd’hui ? »

À la fin des années 1990, sa rencontre « déterminante » avec Nelson Mandela. Photo DR

L’appétence de comprendre le monde

En octobre 2019, elle fait le déplacement à Beyrouth, alors que la ville est en ébullition en raison du soulèvement en cours. « Je suis toujours curieuse. Cette jeunesse est quand même extraordinaire », susurre-t-elle depuis sa résidence au Portugal où elle habite désormais. À 82 ans, l’infatigable dame à la chevelure poivre et sel partage désormais ses expériences. Dans un ouvrage autobiographique d’abord (Le courage de vivre, publié aux éditions Flammarion en 2022) puis se lance sur TikTok pour « toucher les plus jeunes ». À ses 100 000 abonnés, elle raconte ses rencontres avec le prince Charles, son amitié avec Karl Lagerfeld, ses engagements écologiques et le jour où elle a pris l’avion avec… Jean-Marie Le Pen. Sur un vol reliant Paris à Genève, elle se retrouve assise devant le menhir de l’extrême droite française. Furieuse de partager son oxygène avec ce personnage qu’elle exècre, elle se met à parler en arabe avec le stewart d’origine maghrébine, tout au long du vol. « En atterrissant en Suisse, je me souviens que ce jeune homme avait fait l’annonce en français et en arabe ! Quand je me suis levée pour prendre mes affaires, Le Pen m’a jeté un regard vé-né-neux ! » raconte-t-elle sans se retenir de rire.

Albina du Boisrouvray, comtesse qui conteste son titre comme les injustices dont elle a été témoin, continue encore de se battre inlassablement à travers cette organisation FXB International, dont elle est désormais la présidente d’honneur. Son seul regret ? « Le fait de n’avoir pas légitimé mes actions en ayant fait des études universitaires. Peut-être que j’aurais été davantage prise au sérieux si j’en avais fait… » Mais après une vie aussi bien remplie, qu’est-ce qu’un bout de papier ?

On peut être veuve ou veuf, orpheline ou orphelin. Mais qu’appelle-t-on un parent qui a perdu son enfant ? Comment définir l’indicible ? Ces si cruelles questions, Albina du Boisrouvray tente d’y répondre depuis près de 40 ans. Le 14 janvier 1986, la journaliste devenue productrice de cinéma reçoit l’appel qui bouleversera sa vie. Son fils, François-Xavier Bagnoud, 24...
commentaires (3)

Amour maternel inconditionnel, sans aucun doute! Mais au lieu d un simple copié/collé mondain, penchez vs sur nos Meres Courages qui sans aucun appui social et financier ds ce pays en pleine déliquescence créent des associations pour et au noms de leurs enfants Martyrs et victimes ... Ce serait plus humain et décent d une presse qui faillit de plus en plus à son rôle social!!

Dallal Nayla

08 h 47, le 12 août 2023

Tous les commentaires

Commentaires (3)

  • Amour maternel inconditionnel, sans aucun doute! Mais au lieu d un simple copié/collé mondain, penchez vs sur nos Meres Courages qui sans aucun appui social et financier ds ce pays en pleine déliquescence créent des associations pour et au noms de leurs enfants Martyrs et victimes ... Ce serait plus humain et décent d une presse qui faillit de plus en plus à son rôle social!!

    Dallal Nayla

    08 h 47, le 12 août 2023

  • Le rachat de l'OLJ par Point de vue & images du monde m'avait échappé...

    IBN KHALDOUN

    15 h 24, le 11 août 2023

  • La puissance de l'amour n'a pas d'âge mais juste une détermination...

    Wlek Sanferlou

    13 h 50, le 11 août 2023

Retour en haut