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Moyen-Orient - Eclairage

En Arabie saoudite, le tourisme érigé en « nouveau pétrole »

Joyaux archéologiques, plages aux airs de lagon, montagnes verdoyantes insoupçonnées… le royaume, qui a fait du tourisme le pilier de sa diversification économique, conquiert les visiteurs dont le nombre a plus que doublé par rapport à 2019. Bien qu’une majorité de ses mégaprojets demeurent nébuleux et surréalistes.

En Arabie saoudite, le tourisme érigé en « nouveau pétrole »

Les infrastructures sont en cours de construction sur les côtes saoudiennes de la mer Rouge, qui demeurent pour l’heure inexplorées. Photo d’archives AFP

Abaya gonflée par le vent, cheveux tombant sur les épaules, une jeune femme avance vers l’horizon, au bord d’une piscine turquoise entourée d’immenses roches rouges. La scène se déroule dans un complexe de villas de luxe à 20 kilomètres de Madain Saleh, l’époustouflante cité nabatéenne d’al-Ula, avec ses tombeaux taillés dans la pierre, dans le nord de l’Arabie saoudite. Elle a été vue 18,6 millions de fois sur Tik Tok. À elle seule, la vidéo de l’influenceuse et voyageuse solo @girlvsglobe concentre tous les arguments marketing du tourisme saoudien : un héritage culturel exceptionnel, des sites naturels préservés, des hébergements de luxe aux standards internationaux et un pays ouvert à tous, y compris aux femmes voyageant seules. Car il y a urgence : d’ici à 2030, l’Arabie saoudite a prévu de faire de cette industrie naissante sa deuxième source de revenus après le pétrole. Objectif : qu’elle pèse 10% du PIB.

Le pari est de taille, même si le secteur affiche de premiers résultats prometteurs. En 2022, à peine quatre ans après l’ouverture des frontières saoudiennes aux touristes, il a engrangé 49,3 milliards de dollars. « Le tourisme est le nouveau pétrole », a ainsi vanté Fahd Hamiddadin, chef de l’Autorité saoudienne du tourisme, lors de l’Arabian Travel Market à Dubai, en mai. L’objectif de 100 millions de visiteurs d’ici à 2030 est déjà presque officiellement atteint, le royaume en ayant comptabilisé 93,5 millions l’année dernière, plus du double qu’en 2019. Le mode de calcul tend toutefois à relativiser le bilan, les autorités considérant les visites et non le nombre de touristes. Ainsi un même voyageur qui se rend sur dix sites avec une nuit sur place sera compté comme dix visites.

Projets extravagants

Il faut dire que l’Arabie saoudite a mis le paquet pour développer le tourisme, à la fois vitrine de sa modernisation à marche forcée et pilier de sa stratégie de diversification économique. Doté d’un budget vertigineux de 1 000 milliards de dollars, ses projets rivalisent d’extravagance. Le prochain à se concrétiser doit être le Red Sea Project, un site d’écotourisme de luxe de 28 000 km2 le long de la mer Rouge. Au large, 90 îles de sable blanc et eau cristalline promettent coraux inexplorés, volcans, dunes, canyons, Ritz Carlton, Marriott et un hôtel spa Six Senses, dont l’ouverture est imminente. L’inauguration de 13 autres hôtels est prévue d’ici à l’année prochaine.

D’autres villes en construction sont aussi nébuleuses que surréalistes : Trojena, la station de ski dans le désert qui accueillera les Jeux asiatiques d’hiver de 2029, et Sindalah, l’île-repaire international des yachts, font toutes deux parties de la mégapole futuriste de Neom, censée fonctionner aux énergies renouvelables et à l’intelligence artificielle. Son budget à elle seule s’élève à 500 milliards de dollars.

Al-Ula symbole de l’industrie touristique naissante, est pour l’instant le seul site entièrement fonctionnel. Il semble connaître un franc succès. « Il est extrêmement difficile de trouver des places dans les avions en haute saison (d’octobre à avril) et dans les hôtels, relate un bon connaisseur du lieu. Aujourd’hui, l’offre existante ne permet pas d’accueillir des millions de touristes par an. » La Commission royale pour al-Ula a annoncé, en mai, qu’un nouveau complexe de 76 villas privées avec spa devrait accueillir des clients à partir de 2027.

C’est l’un des paradoxes de la stratégie touristique saoudienne : pratiquer des tarifs prohibitifs pour éviter le tourisme de masse tout en voulant augmenter le nombre de visiteurs par millions. Sur le site web d’al-Ula, les premiers hébergements affichent des montants entre 1 384 et 4 525 dollars la nuit en haute saison. « Ce qu’ils ciblent, c’est vraiment les gens qui ont un haut niveau financier et culturel », relate la source précitée. En s’adressant à un public aussi réduit, comment le secteur compte-t-il peser pour 10% du PIB en 2030 ?

Al-Ula, une zone riche en vestiges archéologiques, est considérée comme un joyau des futures attractions saoudiennes. Photo AFP

Le rejet du tourisme de masse et la mise en avant de l’écotourisme restent en tout cas de bons arguments marketing. Sur ses réseaux sociaux, le consultant en tourisme Charles Phillips, qui vient d’arpenter le royaume pendant deux mois, a publié des dizaines de photos qui cassent l’image d’une Arabie saoudite tout en sable. « Il n’y a pas que Neom, al-Ula et la mer Rouge, l'Arabie a une multitude d'endroits à visiter, y compris des forêts et des montagnes au sud, la plus grande oasis du monde à l'est et de vastes déserts à travers le pays », affirme le Britannique. Dans la province de Jizan, à la frontière yéménite, les montagnes en espaliers verdoyantes surplombent les plaines ensablées, et le café se cultive. Un peu plus au nord, dans l’Asir, les maisons-tours en pierre et céramique typiques de l’Arabie du sud se nichent dans les collines luxuriantes. Le somptueux palais al-Maqar, dômes en bulbe, rosaces sculptées dans la façade, est perché à 2 400 mètres d’altitude.


Dans sa stratégie, l’Arabie saoudite veut modifier deux composants essentiels de son ADN touristique. D’abord, les motifs de séjour : l’objectif est de faire passer le tourisme de loisirs de 40 % (2019) à 50 % du marché d’ici à 2030, et de réduire le tourisme religieux de 38 % à 32 %, selon un rapport du cabinet Lucidity Insights. Ensuite, d’attirer une majorité de touristes internationaux. Ils étaient 16,5 millions l’année dernière, affluant principalement du Koweït, du Bahreïn, du Pakistan, d’Égypte, d’Indonésie et d’Inde. L’objectif est de les faire passer à 55 millions d’ici à 2030, en augmentant la part de touristes chinois et occidentaux – même si l’Arabie compte beaucoup sur sa population, la plus large du Golfe, pour faire vivre les infrastructures naissantes.

« Si vous voulez attirer des bons bourgeois européens qui ont en marre de la Tunisie et du Sénégal, ils peuvent être séduits non seulement par al-Ula et la plongée en mer Rouge dans des conditions exceptionnelles, mais aussi par le côté mystérieux de l’Arabie saoudite : une destination où on ne va pas et où les mœurs évoluent », selon un acteur de l’industrie touristique locale. Car si la réputation du pays reste globalement négative sur les réseaux sociaux et dans les médias occidentaux, du fait de l’affaire Khashoggi et de la guerre au Yémen, selon cette source, le royaume wahhabite est de plus en plus évoqué via le prisme de l’ouverture sociétale, des mégaprojets économiques et du sport.

315 000 chambres d'hôtel

Alors que le tourisme saoudien en est à ses balbutiements, les infrastructures et les services pourront-ils suivre la cadence ? Le royaume semble prendre le défi à bras le corps, avec l’obtention facilitée des e-visa pour 49 pays, la création d’une nouvelle compagnie aérienne, Riyadh Air, qui doit desservir 100 destinations internationales, et l’ouverture annoncée de 315 000 chambres d’hôtels. Toutes requièrent un personnel suffisamment formé pour offrir une qualité des service aux standards internationaux, dans un pays qui accueille des touristes depuis seulement quatre ans.

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Un dilemme pour les leaders de Vision 2030, qui veulent profiter du développement de cette industrie pour engager des Saoudiens sur le marché du travail. Le million d’emplois censés être créés leur sont destinés en priorité. Les derniers chiffres officiels sur ce sujet remontent à 2021, lorsque Bandar Al-Safir, directeur de la Formation et de la nationalisation des emplois au ministère du Tourisme, a indiqué que 26% du personnel touristique était national. Pour Eleonora Cambedda, responsable du développement commercial dans une grande agence saoudienne, « le staff local a absolument besoin d'être formé sur la façon de traiter avec les internationaux, de connaître la cible, leurs besoins, leur culture, afin de pouvoir leur proposer un voyage sur mesure. Cela implique aussi la connaissance d’autres langues que l’anglais, qui n'est pas parlé partout », dit celle dont l’agence accueille une majorité de clients français, italiens et allemands. Les jeunes Saoudiens, qui composent les deux tiers de la population et sont particulièrement touchés par le chômage (26,6% des 15-24 ans en 2021), sont au cœur du projet. En mars dernier, le ministre du Tourisme Ahmed Al-Khatib a annoncé la formation de 100 000 jeunes, dont 10 400 à l’étranger.

Autoriser l'alcool

Autre sujet auquel le gouvernement devra s’attaquer, le statut particulier des zones touristiques, notamment sur l’accès au divertissement et l’autorisation de l’alcool. La première question est relativement réglée, l’Arabie saoudite accueillant désormais des festivals de musique géants et des compétitions sportives. Grand prix de Formule 1, tournoi de golf LIV-PGA, stars du football européen transférés vers des clubs saoudiens à coup de centaines de millions de dollars, ambition d’héberger une future Coupe du monde de la FIFA... Le sport, et en particulier le foot, est une composante essentielle de la stratégie touristique du royaume. La question de l’alcool reste, elle, délicate, dans un pays marqué par des décennies de wahhabisme. La formule pourrait ressembler à celle du Qatar, où l’alcool est accessible dans les hôtels de luxe des grandes villes. Mais tant que les décrets royaux ne sont pas publiés, difficile de savoir quand ce statut sera appliqué.

Depuis que Mohammad ben Salmane se trouve aux commandes du pays, l’Arabie saoudite s’emploie à effacer son image ultraconservatrice en se montrant plus ouverte sur les questions de mœurs. Le site officiel Visit Saudi comprend ainsi une section de conseils aux voyageuses, avec une première ligne sur la non-obligation pour les femmes de se voiler et une sélection de destinations pour les « voyages entre filles ». Plus surprenant encore, le site affirme que le royaume est prêt à accueillir les touristes LGBT. « Nous ne demandons à personne de divulguer des détails personnels et ne l’avons jamais fait. Tout le monde est le bienvenu pour visiter notre pays », est-il indiqué dans la foire aux questions. Un revirement spectaculaire dans un pays où l’homosexualité est passible de la peine de mort, bien que la dernière exécution connue pour ce motif remonte à plus de vingt ans.

Abaya gonflée par le vent, cheveux tombant sur les épaules, une jeune femme avance vers l’horizon, au bord d’une piscine turquoise entourée d’immenses roches rouges. La scène se déroule dans un complexe de villas de luxe à 20 kilomètres de Madain Saleh, l’époustouflante cité nabatéenne d’al-Ula, avec ses tombeaux taillés dans la pierre, dans le nord de l’Arabie...

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