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Idées - Point de vue

Pour une nouvelle réforme agraire libanaise

Pour une nouvelle réforme agraire libanaise

Des agriculteurs en train de récolter leur moisson dans le nord du Liban. Photo João Sousa

Bien qu’il soit de petite superficie (10 452 km2), le Liban dispose des principales qualités d’un pays agricole en raison notamment de ses terres fertiles, ses ressources hydrauliques abondantes, son climat méditerranéen permettant une variété de cultures et son patrimoine ancestral dans le travail agricole. Ces qualités et bien d’autres ont fait de l’agriculture la principale source de richesse dans ce pays, et ce jusqu’aux années 1920. Puis, négligé et sacrifié par l’État au profit essentiellement du secteur des services, sa contribution au PIB libanais a régressé au fil des années. Cette régression a été encore plus forte durant la guerre du Liban (1975-1990) en raison du déplacement forcé de milliers d’agriculteurs et de l’abandon en friche de leurs terres.

Aujourd’hui, à l’heure où la sécurité alimentaire du pays est lourdement menacée par l’épuisement de ses devises étrangères sur lesquelles il comptait jusqu’à 2019 pour financer ses importations, le Liban n’a plus d’autre choix que de tabler sur son agriculture pour répondre aux besoins de la consommation de ses ménages et pour faire entrer des devises étrangères à travers les exportations de ce secteur. Or cela suppose une nouvelle politique agricole qui se situe à l’opposé de celle qui a été adoptée jusqu’à présent.

Un secteur déserté

Sous l’impact de toutes les politiques nuisibles à l’agriculture adoptées par l’État, le secteur agricole a été déserté au cours des quatre dernières décennies par de nombreux exploitants. Ces derniers ont, en effet, vu leurs coûts de production augmenter constamment, alors que leurs revenus baissaient d’une année à l’autre, ce qui leur a valu des pertes et, au mieux, des bénéfices et une rentabilité non significatifs, comme l’a montré notre enquête par sondage réalisée en 2018 dans le cadre d’une thèse de doctorat soutenue à l’USEK. Cette désertion du secteur de l’agriculture s’est traduite par une régression annuelle de la superficie cultivée, en particulier au cours des trente dernières années, comme l’ont montré les recensements agricoles qui ont été effectués au cours de cette période. Ainsi, la production agricole a fortement chuté pour ne couvrir qu’environ 20 % de la consommation locale, alors que cette proportion était estimée à plus de 70 % avant la guerre du Liban (1975-1990). Par ailleurs, d’après le Centre libanais de recherches et d’études agricoles (Creal) et l’Association des agriculteurs (AA), le PIB agricole libanais a reculé de 10,45 % entre 1962 et 2016, alors que celui des États-Unis a progressé de 384 % et celui du Japon de 686 % au cours de la même période. Cela a fortement fait augmenter la dépendance alimentaire du Liban vis-à-vis de l’étranger dans l’indifférence aussi bien de l’État que des Libanais qui comptaient encore sur les réserves du pays en devises étrangères pour satisfaire leurs besoins alimentaires à travers l’importation.

Dans le contexte des crises monétaire et financière et d’explosion de l’inflation, les prix des produits agricoles et agroalimentaires – essentiellement importés – ont été multipliés par 20 en trois ans. Cela a détérioré considérablement le pouvoir d’achat de la majorité écrasante des Libanais, dont beaucoup auraient connu la famine sans les aides alimentaires fournies par les ONG et les États arabes et étrangers. C’est à ce moment précis que les Libanais aussi bien que leur État ont commencé à être conscients de l’importance du secteur agricole libanais et à revendiquer son développement. Il n’est en effet plus possible de nier la vocation et le potentiel agricoles du pays du Cèdre.

Nouvelle politique

La situation alarmante dans laquelle est plongé le Liban invite à réfléchir à une nouvelle politique agricole à l’opposé de celle qui a été suivie depuis les années cinquante du siècle dernier. Cette politique comporte plusieurs nouvelles mesures, qui concernent notamment la baisse des prix des intrants agricoles à travers la libéralisation de ce marché, par la suppression du droit à l’exclusivité commerciale accordée aux importateurs, et la protection des coopératives agricoles qui fournissent à leurs adhérents ces intrants. Le changement passe également par le financement du secteur agricole par le biais de la création d’une banque spécialisée dans le crédit agricole et la baisse des taux d’intérêt par la libéralisation du secteur bancaire libanais, la création d’un réseau de caisses d’épargne qui le concurrence et le freinage de la dette publique qui contribue à la hausse des taux d’intérêt bancaires.

Il est en outre plus que jamais nécessaire d’effectuer un remembrement des terres libanaises pour obtenir des exploitations de surfaces qui permettent la réalisation des économies d’échelle et la mécanisation du travail agricole. La mise en place d’une politique d’irrigation à travers la construction de plus de barrages d’eau et de lacs artificiels, et la vulgarisation de nouvelles techniques d’irrigation sont aussi indispensables, étant donné que les ressources hydrauliques sont abondantes.

Il s’avère de même nécessaire de développer une politique de commercialisation de la production agricole sur les marchés local et étranger à travers une série de mesures à adopter dans le domaine de la commercialisation (fermeture des dizaines de passage de contrebande, adoption de taxes douanières variables sur les importations, renégociation des accords commerciaux bilatéraux et multilatéraux, exonérations fiscales des exportations agricoles…).

Il ne faut pas, en outre, négliger la nécessité de créer un régime spécial de protection sociale dédiée aux agriculteurs afin de freiner leur désertion de ce secteur. Enfin, il est évident qu’une réorganisation du ministère de l’Agriculture s’impose afin qu’il devienne apte à remplir les conditions de la nouvelle politique agricole. Cela passe notamment par une nouvelle règlementation qui englobe les nouvelles tâches exigées par la nouvelle politique agricole, l’engagement d’un personnel spécialisé dans les différents domaines agronomiques et agroéconomiques, l’acquisition de nouveaux équipements relatifs à ces différentes tâches, l’informatisation des différents services de ce ministère et l’augmentation de son budget de manière à pouvoir répondre aux objectifs assignés à la nouvelle politique agricole.

Toutes ces mesures permettraient, une fois adoptées, au secteur agricole libanais de renaître et contribueraient à faire sortir le pays de la crise dans laquelle il est plongé.

Docteure en sociologie à l’Université Saint-Esprit de Kaslik (USEK).

Bien qu’il soit de petite superficie (10 452 km2), le Liban dispose des principales qualités d’un pays agricole en raison notamment de ses terres fertiles, ses ressources hydrauliques abondantes, son climat méditerranéen permettant une variété de cultures et son patrimoine ancestral dans le travail agricole. Ces qualités et bien d’autres ont fait de l’agriculture la principale...

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