
Une photo datée du 23 août 2022 montre les silos du port de Beyrouth, effondrés deux ans après l'explosion meurtrière. Photo REUTERS/Issam Abdallah
En Belgique, la commission parlementaire des Relations extérieures a adopté mercredi une résolution appelant le gouvernement belge à presser le Conseil européen, formé de 27 chefs d’État et de gouvernement membres de l’Union européenne (UE), d’activer le régime des sanctions à l’encontre de tout responsable libanais qui porte atteinte à la démocratie et à l’État de droit au Liban, notamment à travers la corruption et le blocage des institutions.
Le principe de sanctions avait été adopté par le Conseil européen à travers un cadre légal établi en juillet 2021, mais n’a jamais été appliqué. La décision du Conseil a été suivie deux mois plus tard par une résolution du Parlement européen de soutenir les Libanais, appeler leurs dirigeants à mettre un terme à leur politique obstructionniste et à engager des réformes structurelles. Des appels tombés dans l’oreille d’un sourd : un gouvernement n’est pas formé, un chef de l’État n’est pas élu et la loi sur l’indépendance de la justice attend toujours.
Cette résolution sera-t-elle suivie par l’ensemble des gouvernements sollicités et incitera-t-elle les responsables libanais, indifférents jusque-là aux pressions internationales, à remplir leurs devoirs à l’égard d’une population qu’ils ont rendue exsangue ?
Approfondir les enquêtes sur la fortune de responsables
« La résolution a été prise à l’unanimité des 16 membres de la commission parlementaire belge », affirme à L’Orient-Le Jour Malik Ben Achour, député socialiste belge qui a beaucoup travaillé à l’adoption du texte, dont il est notamment l’initiateur.
Malik Ben Achour, député socialiste au Parlement belge, a beaucoup travaillé pour la résolution adoptée. Photo Facebook
« Les votants représentent tous les groupes politiques, y compris ceux de l’opposition », souligne-t-il, assurant que la résolution sera votée sans encombre par l’assemblée plénière du Parlement, formée de 150 députés, lors d’une séance prévue le 2 février prochain. M. Ben Achour affirme qu’il s’agit d’un appel au gouvernement belge à plaider auprès du Conseil européen pour la concrétisation du principe des sanctions. Celles-ci restent à définir par l’Union européenne, ajoute-t-il.
« Si la résolution n’a pas force de loi, c’est-à-dire n’a pas un effet impératif, elle constitue cependant un mandat clair donné par le Parlement au gouvernement, insiste-t-il, précisant que la requête devrait être soumise par le gouvernement au Conseil européen, qui se réunit régulièrement. »
Le texte exhorte par ailleurs les États européens à approfondir les enquêtes sur la fortune des responsables libanais amassée sur leurs territoires.
On sait que des enquêteurs judiciaires de France, d’Allemagne et du Luxembourg se trouvent à l’heure actuelle à Beyrouth, enquêtant sur la provenance de fonds utilisés par le gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé et son frère Raja pour l’achat de biens immobiliers dans ces pays. M. Ben Achour note que la délégation européenne ne comprend pas de magistrats belges. Il croit savoir que la Belgique a déjà clôturé son dossier d’enquête et l’a transmise à Eurojust, l’agence de l’Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale.
La résolution récemment adoptée en Belgique ne mentionne pas de noms de personnes impliquées. Dans un tweet publié mercredi, à l’occasion de son vote, le député a cependant ciblé plus particulièrement le gouverneur de la banque centrale. « Le vol systématique de l’argent des Libanais par une caste politico-financière doit cesser. La Chambre vote mon texte ouvrant la voie à des sanctions européennes contre les acteurs (dont Riad Salamé) de ce « Ponzi scheme » (…), a-t-il écrit.
Malik Ben Achour, qui confie avoir « une sensibilité particulière » aux questions du Moyen-Orient, notamment à celles du Liban, affirme que le mouvement de contestation (octobre 2019) l’avait particulièrement interpellé. Il révèle qu’après une visite rendue à Beyrouth en septembre dernier, où il a rencontré des acteurs de la société civile, il s’est mobilisé davantage pour « tenter de briser l’inertie » qui s’est emparée de la population libanaise. « Face à la pression populaire, le système en place est très résilient », déplore M. Ben Achour, constatant en outre que « la justice libanaise ne semble plus être en mesure de faire son travail en toute indépendance pour punir les responsables présumés corrompus ». « C’est dans ce cadre que nous avons décidé de faire bouger les lignes », ajoute-t-il.
Pas de consensus européen
Tout en qualifiant de « positive » la démarche belge, Joe Macaron, analyste géopolitique, ne se fait pas beaucoup d’illusions sur ses résultats. « Dans le contexte politique local, les Européens ne prendront pas de décision en ce sens », présume-t-il. « Il n’y a pas de consensus sur ce point, insiste-t-il, notant que ce n’est pas la Belgique qui dicte le positionnement de l’Europe. » « La position qui prédomine est celle de la France, qui ne voudrait pas compliquer les choses sur la scène libanaise, alors qu’elle joue un rôle dans les efforts fournis pour élire un chef de l’État », estime M. Macaron. « Infliger des sanctions à des acteurs politiques risque de mettre à mal les responsables européens avec leurs interlocuteurs libanais, ajoute-t-il, notant que le spectre des sanctions est agité sans qu’elles ne soient appliquées. »
« Cela fait plusieurs années que nous entendons parler de sanctions européennes sans qu’elles ne soient décrétées », renchérit Me Paul Morcos, directeur du cabinet Justicia, soulignant qu’« en tout état de cause, leur application nécessite de longues procédures ». « Le cas échéant, ces sanctions auraient de graves répercussions sur les personnes visées. Celles-ci risquent de se voir interdire l’accès en Europe, ou d’y voir leurs comptes bancaires clôturés, ou encore de ne plus être en mesure de faire des transactions financières et commerciales », indique-t-il, citant également « l’impossibilité pour elles de régler les frais d’université et de loyer de leurs enfants ». « Ces sanctions pourraient contribuer à réduire considérablement la corruption, à condition de cibler des personnalités corrompues de premier rang dans l’establishment politique plutôt que des personnes à leur service », estime Me Morcos. « Encore faudrait-il que l’éventail des personnes sanctionnées soit large et ne se réduise pas à quelques boucs émissaires », ajoute-t-il.
commentaires (9)
Merci Joe Macaron analyste politique rabat-joie. La Belgique a les bras plus longs que vous ne pensez. Et ce n’est qu’un bon début. Merci Belgica.
PPZZ58
20 h 04, le 21 janvier 2023