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Moyen-Orient - ENTRETIEN

En Tunisie, deux leaders de l’opposition au cœur d’une affaire politico-judiciaire

Des dirigeants du parti Ennahda sont soupçonnés par la justice d’avoir facilité le départ de jihadistes dans des zones de conflit depuis 2011. Hamish Kinnear, analyste spécialiste du Moyen-Orient et du Maghreb, explique à « L’Orient-Le Jour » la teneur de ces allégations.

En Tunisie, deux leaders de l’opposition au cœur d’une affaire politico-judiciaire

L’ancien Premier ministre et secrétaire général du parti Ennahda, Ali Laarayedh, lors d’une conférence de presse à Tunis, le 26 septembre. Fethi Belaid/AFP

Après son coup de force constitutionnel de 2021, c’est désormais par la voie de la justice que le président tunisien Kaïs Saïed mène son offensive contre les partis d’opposition. Depuis mardi 20 septembre, Rached Ghannouchi, chef du parti d’inspiration islamiste Ennahda, et Ali Laarayedh, député de la même formation et ex-Premier ministre, ont été à deux reprises convoqués par l’unité nationale de recherche dans les crimes terroristes. Pendant de longues heures, ces leaders de l’opposition ont été respectivement interrogés au sujet de leur potentielle implication dans l’expédition de quelques milliers de Tunisiens, partis rejoindre les rangs d’organisations jihadistes basées en Syrie, en Libye et en Irak depuis 2011. Des auditions pour le moins contestées, Ennahda invoquant un manque de preuves mais aussi des conditions de détention qui constitueraient « une violation flagrante des droits de l’homme », selon le porte-parole du mouvement. « Le mouvement est non seulement innocent dans ce dossier mais a en outre pris toutes les mesures pour lutter contre ce phénomène », s’est défendu lundi Ali Laarayedh lors d’une conférence de presse.

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Si l’affaire est loin d’être nouvelle, sa résurgence interroge quant à une possible instrumentalisation politique, orchestrée par un exécutif qui souhaite de plus en plus explicitement se débarrasser de ses contre-pouvoirs. En 2022 déjà, Kaïs Saïed s’octroyait de vastes prérogatives à l’issue d’un référendum marqué par une très forte abstention. Le 30 mars 2022, après l’avoir suspendu pendant 8 mois, il avait finalement dissous le Parlement, composé en majorité de députés d’Ennahda, devenu sa bête noire. Une fois encore, les arrestations de ces derniers jours pourraient bien refléter le tournant autoritaire pris par le régime, alors que le pays, en pleine crise financière, est marqué par d’incessantes pénuries alimentaires. Hamish Kinnear, analyste spécialiste du Moyen-Orient et du Maghreb pour la société de conseil en stratégie et risque Verisk Maplecroft, décortique pour L’Orient-Le Jour les ficelles de cette affaire politico-judiciaire.

Que savons-nous de l’envoi présumé de Tunisiens dans les rangs d’organisations jihadistes en Syrie, en Libye et en Irak depuis 2011 ?

Les détails, au-delà des allégations rapportées, sont minimes. Bien qu’il faille savoir raison garder quant aux soupçons qui pèsent sur les dirigeants d’Ennahda, nous pouvons certainement affirmer que le gouvernement dominé par cette formation entre 2011 et 2013 s’est montré plutôt permissif à l’égard des organisations extrémistes. Pendant cette période, Ansar al-Charia Tunisie (AST), par exemple, a été autorisé à faire ouvertement du prosélytisme pour l’idéologie salafiste-jihadiste. Bien qu’AST ait finalement été interdit, sa propagande a contribué à gonfler le nombre disproportionné de Tunisiens et à faciliter leur départ vers la Syrie et l’Irak où ils ont combattu au sein de groupes jihadistes. Après 2013, le gouvernement tunisien a eu du mal à contrôler et réprimer les réseaux de contrebande qui permettaient à un grand nombre d’entre eux de rejoindre les rangs de ces organisations. Il convient de noter qu’Ennahda a reconnu par la suite avoir commis des erreurs dans la manière dont la menace jihadiste a été traitée pendant sa gouvernance, mais les allégations de sa complicité active par les partis rivaux se poursuivent à ce jour.

Pourquoi l’affaire ressort-elle aujourd’hui ?

Deux dirigeants d’Ennahda, Rached Ghannouchi et Ali Laarayedh, ont été arrêtés et interrogés dans le cadre de cette enquête qui fait suite à une longue série d’allégations à l’encontre Ennahda, accusé également d’être responsable d’actes de violence islamiste, notamment de l’assassinat des politiciens de gauche Chokri Belaid et Mohammed Brahmi (assassinés en 2013, ces meurtres ont été revendiqués par Boubaker el-Hakim, un Franco-Tunisien membre de Daech, mais des soupçons de complicité pèsent sur les dirigeants d’Ennahda, qui étaient alors au pouvoir, NDLR). Le fait que cette histoire rejaillisse aujourd’hui s’explique par la situation politique du pays. Même s’il serait trop spéculatif d’établir un lien direct entre ces arrestations et une stratégie de détourner l’attention de la population, il est intéressant de noter que cette enquête s’inscrit dans un contexte où le président Saïed tente de réprimer ses opposants tout en s’efforçant de faire face à la crise économique du pays.

Dans quelle mesure les arrestations de ces derniers jours indiquent-elles une politisation de l’affaire et s’inscrivent-elles dans le tournant autoritaire pris par le Kaïs Saïed depuis plus d’un an ?

La responsabilité d’Ennahda dans la propagation des idées salafistes au début et au milieu des années 2010 reste un point non élucidé dans la politique tunisienne. Toutefois, la récente mise en cause de ses dirigeants par les autorités tunisiennes ne peut être dissociée de la volonté de Kaïs Saïed de réprimer toute opposition à sa prise de pouvoir. En juillet 2021, il s’est arrogé de larges prérogatives en termes de pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires, puis a légalisé cet auto-coup d’État en faisant adopter un référendum constitutionnel qui leur a donné force de loi l’année d’après. Mais le président considère toujours Ennahda comme un ennemi politique car ses dirigeants constituent le bloc d’opposition le plus cohérent et structuré du paysage politique.

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Les autorités tunisiennes, probablement encouragées par le président, ont donc accru la pression sur Ennahda en détenant ses dirigeants à plusieurs reprises au cours des derniers mois. Par ailleurs, le pouvoir judiciaire est lui aussi soumis à une forte pression de la part de l’exécutif. Depuis la nouvelle Constitution de 2022, Kaïs Saïed s’est en effet octroyé le droit de nommer et révoquer les juges. Cela augmente les risques de décisions judiciaires motivées par des considérations politiques à l’encontre des membres d’Ennahda et de tous les autres opposants politiques.

Après son coup de force constitutionnel de 2021, c’est désormais par la voie de la justice que le président tunisien Kaïs Saïed mène son offensive contre les partis d’opposition. Depuis mardi 20 septembre, Rached Ghannouchi, chef du parti d’inspiration islamiste Ennahda, et Ali Laarayedh, député de la même formation et ex-Premier ministre, ont été à deux reprises convoqués par...

commentaires (1)

Du point de vue de majorité parlementaire je pense que Ennahda n'est pas vraiement un parti d’opposition en Tunésie. Le problème là est plutot le système présidentiel versus le système parlementaire. Malheureusement la situation économique désastreuse de la Tunésie ne fait rien pour aider la situation à chercher un consensus.

Stes David

11 h 24, le 30 septembre 2022

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Commentaires (1)

  • Du point de vue de majorité parlementaire je pense que Ennahda n'est pas vraiement un parti d’opposition en Tunésie. Le problème là est plutot le système présidentiel versus le système parlementaire. Malheureusement la situation économique désastreuse de la Tunésie ne fait rien pour aider la situation à chercher un consensus.

    Stes David

    11 h 24, le 30 septembre 2022

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