Une ordonnance royale a opéré mardi soir un remaniement ministériel dans la plus grande monarchie du Golfe. Le roi Salmane, dont la santé fait l’objet de fréquentes rumeurs suite à plusieurs séjours à l'hôpital, a nommé son fils, Mohammad ben Salmane, prince héritier désigné, au poste de Premier ministre. Fonction habituellement réservée au souverain, l’exception faite aux règles de gouvernance du royaume wahhabite n’est pas sans précédent. Néanmoins, elle donne officiellement au prince héritier le rang de chef de gouvernement, lui conférant une immunité diplomatique ainsi qu’une place à part entière parmi les dirigeants de la planète.
Si le dauphin saoudien, connu sous l’acronyme de MBS, était déjà le dirigeant de facto du régime, l’officialisation de son rôle vient couronner une réhabilitation progressive sur la scène internationale après l’assassinat en 2018 du journaliste saoudien Jamal Khashoggi dans le consulat de son pays à Istanbul. D’abord marginalisé par la communauté internationale pour son implication présumée dans l’affaire – les renseignements américains l’accusent d’avoir donné son approbation, selon un rapport déclassifié par Joe Biden en 2021 –, le prince héritier a su se montrer patient et reconquérir par la force des choses sa place d’acteur incontournable dans la région, ainsi que dans le monde.
Dirigeant l’un des premiers pays exportateurs d’hydrocarbures, la réhabilitation de MBS s’est notamment accélérée depuis la guerre en Ukraine et la crise énergétique que celle-ci a exacerbée. Par ailleurs, le frère du prince héritier, Khaled ben Salmane, très impliqué dans le dossier yéménite, a quant à lui été nommé ministre de la Défense pour remplacer le nouveau Premier ministre. Selon l’agence de presse officielle, le prince héritier a déclaré mardi qu’il espérait voir l’autosuffisance des industries militaires nationales, aujourd’hui de 15%, atteindre 50% sous le mandat du prince Khaled. Pour L’Orient-Le Jour, Cinzia Bianco, chercheuse au European Council on Foreign Relations, analyse l’importance de cette décision.
Que représente cette nomination pour Mohammad ben Salmane?
MBS a clairement choisi un chemin progressif vers l'intronisation. Entre 2015 et 2018, il semblait vouloir se précipiter sur le trône, à coups d’actions perturbatrices et soudaines, comme s’il pensait qu’une thérapie de choc pouvait être la meilleure approche pour donner à l'Arabie saoudite son plus jeune roi depuis des décennies. Puis, après l’assassinat de Jamal Khashoggi, il a changé de rythme. Il a adopté une approche plus progressive et lente, mettant en avant le mentoring et les conseils du roi Salmane, très respecté dans le pays, au sein de la famille royale et parmi l'establishment au sens large. La récente nomination au poste de Premier ministre est la dernière étape avant de devenir roi d'Arabie saoudite, car en vertu de la Loi fondamentale saoudienne, c’est le souverain qui occupe généralement ce poste. Mais le roi a désormais nommé son fils, consolidant ainsi la position de celui-ci. Certes, il s'agit de formaliser un rôle que le prince héritier jouait déjà, puisqu'il a déjà présidé des réunions du cabinet et dirigé des ministres. Mais les formalités et le symbolisme sont extrêmement importants dans n’importe quel État et d’autant plus dans une monarchie. MBS devient maintenant de jure ce qu'il était déjà de facto.
Dans quelle mesure cette nomination est-elle significative en termes de politiques intérieure et extérieure ?
Sur le plan interne, la nomination de MBS au poste de Premier ministre lui confère encore plus de pouvoir face à certains des plus hauts décideurs saoudiens qui préféraient peut-être rendre compte directement au roi, y compris sur la base du protocole. Toutefois, cela ne concerne qu'un nombre très limité de personnes, qui percevaient néanmoins toutes déjà clairement l'autorité de MBS. Le roi Salmane pourra désormais réduire sa participation à la politique saoudienne, même s’il est peu probable qu'il disparaisse complètement de la scène. Par ailleurs, cette nomination comporte une importante dimension extérieure. La personnalité politique de MBS est désormais renforcée sur le plan protocolaire. Il est maintenant en mesure de rencontrer d'autres chefs de gouvernement en tant qu’homologue officiel. Assurément, cela consolide d’autant plus sa réhabilitation sur la scène internationale, dans le sens où cela ouvre la voie à des possibilités d’engagement diplomatique de haut niveau, qui auraient pu être au préalable écartées sous prétexte de protocole. Cependant, le prince héritier était déjà le dirigeant de facto du pays et, par conséquent, si les décideurs internationaux avaient eu besoin ou avaient souhaité communiquer avec l'Arabie saoudite, c’est déjà MBS qui aurait décroché au bout du fil.
Qu'est-ce que cela peut changer concrètement sur la scène internationale?
Il y a également une raison pratique derrière cette nomination. La semaine prochaine, le département d'État américain est censé rendre un avis sur l'application de l'immunité souveraine à MBS, qui fait l'objet de plusieurs procédures aux États-Unis, dont la plus connue est le procès concernant l’assassinat du résident américain et journaliste saoudien Jamal Khashoggi. En tant que chef de gouvernement, il ne devrait désormais plus y avoir d'ambiguïté pour que le département d’État affirme que MBS bénéficie effectivement de l'immunité souveraine et ne peut être jugé. Cette nomination pourrait notamment être le prélude à un voyage tant attendu du prince héritier aux États-Unis. Au-delà de Washington, l'immunité souveraine pourrait mettre MBS à l'abri de poursuites judiciaires, ailleurs dans le monde, même si elles n’ont qu’une valeur symbolique. Si celles-ci ne déboucheront jamais sur un procès formel, elles perpétuaient néanmoins le discours sulfureux et négatif qui entachait jusque-là ses déplacements ou engagements internationaux. Cette rhétorique a souvent été un obstacle politique pour les homologues et interlocuteurs étrangers de MBS, en particulier dans les régimes démocratiques. Mais aucune réputation ne peut être réparée du fait de l'immunité souveraine. Les opinions publiques du monde entier ne changeront pas d'avis ou de jugement sur MBS parce qu'il est maintenant Premier ministre, ni lorsqu'il deviendra roi.
I kind of find him funny and creative ! Kashg était plutôt ottoman, non ? Deux cultures antagonistes ?
16 h 05, le 30 septembre 2022