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Culture - Cimaises

Quand l’art prend ses quartiers à Anjar

Visite guidée de cette précieuse découverte, incarnation d’un combat de résistance culturelle en ces tristes temps de faillite, d’instabilité et d’incertitude.

Quand l’art prend ses quartiers à Anjar

Quatre immenses baies vitrées pour cette première et unique galerie de la petite ville. Photo DR

Sous un soleil de plomb, Anjar déploie ses petites maisons où, en 1939, des rescapés de l’exode arménien sont venus s’établir sur des terres couvertes de ronces et de marécages. Aujourd’hui, loin des minuscules cabanes d’antan, la souriante bourgade de 6 000 habitants (mais qui se vide lentement) s’enorgueillit de son atmosphère pittoresque où la propreté, l’élégance des nouvelles bâtisses aux façades en pierres taillées et le charme rural des lieux sont de rigueur. Avec une magnifique allée centrale pour accueillir visiteurs et touristes, cette petite ville de la Békaa, à mi-

chemin entre Beyrouth et Damas, est un joyau de chaleureuse hospitalité, avec ses vergers avoisinants regorgeant de fruits et de légumes.

Un bourg modeste mais avenant où touristes et visiteurs viennent non seulement pour jeter un coup d’œil aux ruines omeyyades, mais aussi se rafraîchir à des sources, flâner et déjeuner devant un petit étang où pataugent des canards et prier dans une église à l’imposante architecture arménienne tout en dômes coniques, érigée pour rappeler, s’il le fallait, que l’Arménie est la fille aînée de l’Église !

« Vision entre passé et futur » de Koko Garabet. Photo DR

Au cœur de la petite agglomération assoupie sous la chaleur de midi, la ruelle Komitas est totalement déserte. Joli choix de nom, en l’occurence celui du plus célèbre et emblématique des musiciens du pays de Sayat Nova, pour avoir pignon sur rue en matière d’art pictural et de culture. Et quatre immenses baies vitrées pour cette première et unique galerie de la petite ville, tout simplement baptisée Anjar Art Gallery.

Quatre cents mètres carrés lumineux, tout blancs, flambant neufs et aux cimaises habilement aménagées pour recevoir les œuvres des fervents adeptes du pinceau. S’y déploient plus de soixante toiles, entre huiles, aquarelles, acryliques et mixed-media, de différents styles, expressions et dimensions (allant de 12 x 25 cm à 100 x 50 cm) et quelques sculptures (bronze et argile) pour une vingtaine d’artistes. Tous arméniens. Des peintres et sculpteurs qui, toutes générations confondues, célèbrent le passage du temps. Ces plus de 80 ans depuis l’arrivée des réfugiés arméniens de Jabal Moussa (fuyant leurs villages, non loin d’Alexandrette), qui ont contribué à la naissance de cette localité, second haut lieu des Libanais d’origine arménienne après Bourj Hammoud.

Cette galerie, qui a ouvert ses portes aux lendemains de la révolution d’octobre 2019, mais a vu son activité entravée par les successives vagues de la pandémie de Covid-19, affiche enfin, maintenant, la présence de l’art et de la culture à Anjar, avec des expositions permanentes, variées, des rencontres-hommages aux peintres décédés (Dr Harout Nicolian, Haroutioun Bezdikian et Vrej Taslakian) et des conférences dédiées à une certaine réflexion sur des thèmes aussi importants que celui de « La beauté et la place de la nature dans l’inspiration, la vie et la créativité ».

« La Tourmente » de Houry Markarian. Photo DR

Inscrite au programme du tourisme culturel

Fondée par Gaidzag et Dzovig Zetlian, (avec le concours de la galerie Noah Ark, la maison mère à Zalka, dont le responsable Movses Zirani Herguelian est également ici le conseiller et directeur artistique), la Anjar Art Gallery est d’abord une institution culturelle à but non lucratif. Car tous les bénéfices de ses ventes vont à l’aide des jeunes écoliers de la localité et contribuent à renflouer les deux écoles d’Anjar, à savoir l’École évangélique et celle de Calouste Gulbenkian.

Autre fait notable : cette galerie est inscrite au programme culturel du tour guidé organisé par le comité de la région pour les visiteurs. Après le musée (Tankaran) et les vestiges millénaires de la cité omeyyade, elle s’impose comme un must, un passage obligé pour le plaisir des yeux et l’enrichissement historique, informationnel et culturel…

Les cimaises de cette galerie, dans leur simplicité même, sont un kaléidoscope du passé et de la mémoire arménienne vivace et vivante. Elles offrent paysages, portraits, contours des corps, abstraction, imaginaire surréaliste, onirisme sophistiqué ou sans prétention, natures mortes, arbres décharnés ou feuillus, tapis tissés dans des tonalités vives et des motifs intéressants inspirés du patrimoine arménien… Une inspiration à multiples embranchements, qui puise ses racines dans l’introspection, le rêve, la douleur, les souffrances vécues à cause de la déportation, la joie de retrouver un brin de paix, les affres de la solitude, les souvenirs amers ou tendres et la réalité dans ses différents impacts. Une réalité certes dure, mais jamais dénuée d’espoir.

Un coin de l’espace intérieur de la Anjar Art Gallery. Photo DR

Pour ce périple pictural expérimental, les œuvres rivalisent d’originalité et parfois d’audace. Avec cette touche singulière où l’amateurisme et la liberté de ton se le disputent avec la plus franche créativité d’artistes rompus au métier. Petite déambulation pour regarder les icônes non conventionnelles de Hovsep Ashkarian (appréciées par le Vatican), le doux lyrisme des pins parasols de Nanor Hedjian, les mixed-media teintées d’un subtil ailleurs, harmonieux dosage entre passé et futur, de Koko Garabet (qui a longtemps vécu à Venise avec les Mékhitaristes), la tourmente de Houry Markarian captant un expressionnisme à la Egon Schiele pour fouiller les méandres de la bipolarité… Ou encore la notion de la justice (avec cet homme en bronze portant des balances) dans les sculptures délicates et tout en équilibre de Vartan Kabakian… Pour finir, l’on retrouve la belle Cathédrale Saint-Paul Anjar sublimée par le pinceau de Nishan der Kaloustian. Cette cathédrale située au cœur de la grande place du village abrite notamment des peintures religieuses qui portent la griffe de Paul Guiragossian.

Véritable et généreuse maison de culture, cette première galerie à Anjar fraye son chemin dans l’art en s’érigeant comme un vibrant témoignage sur le patrimoine arménien et la préservation de son héritage. Les jours à venir traceront sans doute encore plus fermement son profil et sa vocation. D’autant que ses prochaines programmations, conçues pour donner voix et place aux talents émergents comme aux artistes confirmés, sont ardemment attendues.

La Anjar Art Gallery ouvre ses portes aux visiteurs les mardis et mercredis, de 16h à 18h, et les week-ends sur rendez-vous. Tel. : 70/956535 et E-mail: info@anjarartgallery.com

Les artistes exposés

Raffi Andonian, Koko Garabet, Dr Harout Nicolian, Nanor Hedjian, Vartan Kabakian, Garine Shannakhian, Varant Keshikian, Garbis Kendirjian, Hovsep Kasparian, Maral Panossian, Jirar Panossian, Bedig Doudakhlian, Hovsep Ashkarian, André Kendirjian, Houry Markarian, Nohan Der Kalousdian, (Aghassi) Boghos Taslakian, Datev Kassamanian Kouyoumjian.

Sous un soleil de plomb, Anjar déploie ses petites maisons où, en 1939, des rescapés de l’exode arménien sont venus s’établir sur des terres couvertes de ronces et de marécages. Aujourd’hui, loin des minuscules cabanes d’antan, la souriante bourgade de 6 000 habitants (mais qui se vide lentement) s’enorgueillit de son atmosphère pittoresque où la propreté, l’élégance...

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