Rechercher
Rechercher

Culture - Rencontre

Sam Bardaouil, ses nombreux projets et son éloge de la fragilité

Le commissaire d’exposition libanais et son associé Till Fellrath sont actuellement en première ligne sur la scène contemporaine internationale, avec la direction de la Hamburger Banhof et la préparation de la 16e Biennale d’art contemporain de Lyon. Entre deux accrochages, Bardaouil partage ses projets en cours et à venir, pour une nouvelle saison ambitieuse et prometteuse.

Sam Bardaouil, ses nombreux projets et son éloge de la fragilité

Sam Bardaouil (à gauche) avec son associé Till Fellrath. Photo Blandine Soulage

Si l’emploi du temps de Sam Bardaouil est millimétré et départagé sur plusieurs villes, celui qui a fondé la plateforme curatoriale Art Reoriented avec Till Fellrath en 2008 revient sur son parcours avec humilité.

« Je suis né à Beyrouth, que j’ai quittée en 1995 pour faire des études d’histoire de l’art et de théâtre en Angleterre. Je suis revenu enseigner quelques années à l’Université américaine de Beyrouth, avant de poursuivre ma carrière à New York. Depuis une trentaine d’années, je vis entre l’Amérique, l’Allemagne, l’Italie et les Émirats arabes unis. Nous avons lancé notre plateforme curatoriale à New York et Munich, et avons à notre actif des projets d’exposition avec environ 80 institutions ou musées dans le monde », précise celui qui a été nommé avec son associé, directeur de la Hamburger Bahnoff, le musée d’art contemporain de Berlin, en janvier 2022. Comme son nom l’indique, le bâtiment est une ancienne gare du XIXe siècle, transformée en musée des transports au début du XXe siècle. « C’est un musée d’art contemporain depuis 1996 ; en tant que directeurs, nous nous chargeons de toutes les expositions des prochaines années ainsi que des nouvelles acquisitions de la collection. Nous n’avons pas encore annoncé notre programmation. Nous allons proposer un nouvel accrochage de la collection. Il y aura un espace participatif qui va raconter l’histoire du bâtiment avec des archives et des artistes invités vont intervenir autour de cette histoire à travers des installations, des nouvelles commandes », poursuit Bardaouil, soucieux de valoriser la diversité dans cet établissement artistique. « Nous voulons encourager un point de vue global, aux prises avec l’actualité de la société, en Allemagne, mais aussi être en dialogue avec les communautés artistiques dans le monde, au Moyen-Orient, en Amérique du Sud, en Afrique… Notre démarche est inclusive et notre musée doit être un espace où on peut donner la parole à des personnes ou des communautés marginalisées, à cause de leur race, de leur condition sociale, de leur orientation sexuelle. Les artistes et le public pourront venir partager leurs expériences et être inspirés par ce qu’ils voient », souhaite le commissaire d’exposition, qui a mis en place, avec Yasmina Reggag et Till Fellrath, le pavillon français de la Biennale de Venise, intitulé « Les rêves n’ont pas de titre » et accessible au public jusqu’au 27 novembre prochain.

Pour mémoire

Le Libanais Sam Bardaouil et l’Allemand Till Fellrath curateurs de la fragilité à Lyon

« Ce projet est le résultat d’un dialogue très approfondi avec Zineb Sedira. On a commencé à s’interroger sur la notion de pavillon national, sachant que l’artiste a des origines algériennes. On a décidé d’aborder un sujet complexe et non résolu en France, autour de l’intégration et des situations délicates générées par la colonisation. Zinab a créé un film en reprenant des extraits d’œuvres militantes anticolonialistes, datant des années 60 et 70. Elle a tenté de recréer l’esprit de solidarité des pays du tiers-monde à cette époque. Elle a invité plusieurs artistes, créateurs et même nous, ses commissaires, à jouer dans ce film, où elle évoque également son propre parcours », explique le curateur. Le pavillon français a été monté comme un plateau de tournage, avec des décors, des caméras, des jeux de lumière et une des pièces est transformée en salle de cinéma, où est projeté le film. « Au cours des trois premiers jours de vernissage, des milliers de personnes sont venues visiter notre pavillon, qui a reçu une mention spéciale du jury. Et la file d’attente de nos visiteurs est toujours aussi longue », se réjouit le jeune homme.

Sam Bardaouil (à gauche) avec son associé Till Fellrath. Photo Blandine Soulage

De la révolte des Canuts aux Golden Sixties de Beyrouth

Actuellement, Fellrath et Bardaouil sont très occupés par la préparation de la 16e Biennale de Lyon, qui est la plus importante manifestation en France consacrée à l’art contemporain, et qui aura lieu du 14 septembre au 31 décembre. Cet événement est imaginé comme un manifeste de la fragilité, l›affirmant comme intrinsèquement liée à une forme de résistance, initiée dans le passé, en prise avec le présent et capable d’affronter l’avenir. « La biennale se déploie dans onze lieux de la ville, les anciennes usines Fagor, le musée des Beaux-arts, la basilique de Fourvière, le musée Guimet, le musée Gadagne… Afin d’élaborer notre corpus, nous avons visité les ateliers d’artistes partout dans le monde, pendant deux ans et demi », confie Sam Bardaouil, qui prépare un événement qui attend plus de 300 000 visiteurs. La programmation du 16e Biennale se construit sur trois niveaux, explorant différents registres de la dialectique entre fragilité et résistance. « On commence par explorer cette thématique à travers le parcours d’une personnalité locale, un peu marginalisée et méconnue dans l’histoire, Louise Brunet. Cette fileuse de soie de la Drôme a rejoint la révolution des Canuts en 1834 et a été emprisonnée. Elle s’est ensuite lancée dans un périlleux parcours d’autoréinvention, en rejoignant une usine de soie lyonnaise du Mont-Liban. »

« Beyrouth et les Golden Sixties » à la 16e Biennale de Lyon retrace l’effervescence d’une période aussi riche que brève. Photo Luca Girardini

Les nombreuses vies et morts de Louise Brunet : un manifeste de la fragilité « évoque la trajectoire de cette femme avec beaucoup d’imagination et conduit le visiteur au deuxième volet de l’exposition, qui a lieu au MacLyon également. Louise arrive à Beyrouth et on entre dans l’histoire des relations entre le Liban et la France : cette fois il s’agit de la fragilité et de la résistance d’une ville, avec Beyrouth et les Golden Sixties. On revisite les artistes et les lieux artistiques de la ville à travers cet âge d’or qui a été très célébré et qui portait déjà en lui les germes de la guerre civile à venir », analyse le commissaire qui a rassemblé 230 œuvres d’art de cette époque et 300 documents d’archives. L’exposition retrace l’effervescence d’une période aussi riche que brève, dans une ville où convergent de nombreux artistes, qui utilisent un large éventail de techniques et de matériaux : le musée Sursock organise à cette époque un Salon d’automne annuel, où sont présentées les œuvres d’artistes comme Saloua Raouda Choucair, Huguette Caland ou Aref el-Rayess. Le centre d’art de George Shehadé présente des gravures de Max Ernst, André Masson et d’autres surréalistes influents. Cette section examine les articulations locales de diverses tendances modernistes à Beyrouth, et met l’accent sur la prédominance de l’abstraction dans les années 60 et 70, avec Shaffic Abboud, Etel Adnan, Farid Aouad… « Travailler sur le Beyrouth artistique des années 60 permet de rappeler ses liens étroits avec la ville de Lyon, par le biais de la soierie, qui a été un élément déterminant de l’économie libanaise au XIXe siècle. C’est aussi pour les Lyonnais une autre façon de regarder leur ville, et cela permet de mettre en avant cette modernité artistique qui se déploie au Liban, tout en essayant de comprendre ce qui se jouait sur un plan historique dans ces années-là. Ce type de réflexion critique n’est pas suffisamment mené au Liban », déplore celui qui avait organisé en 2013 une rétrospective autour de l’artiste Paul Guiragossian au Beirut Exhibition Center.

Le troisième niveau de l’exposition s’ouvre sur le monde, rassemblant un corpus élaboré par 89 artistes, originaires de 39 pays. « Leur point commun est d’articuler leur travail aux questions de fragilité et de résistance, dans leurs histoires, leurs matériaux, leurs expériences personnelles ou collectives. Leurs œuvres seront réparties dans les onze lieux de l’exposition, proposant leur façon très personnelle de comprendre un état d’incertitude global », prévoit Sam Bardaouil. Mohammad Abdouni, Giulia Andreani, Lucile Boiron, mais aussi Michel et Noelle Kesserwany, Rémie Akl, Raed Yacine, ou Studio Safar font partie de cette programmation ambitieuse du manifeste de la fragilité, qui se décline à une échelle humaine, urbaine, puis mondiale.

Si Bardaouil est engagé dans des projets d’envergure internationale, il reste très proche de la scène artistique libanaise. « Nous sommes impliqués sur le terrain et participons à des jurys, ou à des comités d’acquisition pour des collections et, surtout, nous rencontrons régulièrement nos amis et collègues dans le milieu de l’art, on réfléchit avec eux pour trouver des façons de les soutenir et aussi pour apprendre de leur expérience, ils ont beaucoup à transmettre. Ils connaissent leur territoire, ils sont fragiles et résistent en même temps », conclut le commissaire d’exposition sans jamais se départir de sa diction à la fois sobre et voilée.

Si l’emploi du temps de Sam Bardaouil est millimétré et départagé sur plusieurs villes, celui qui a fondé la plateforme curatoriale Art Reoriented avec Till Fellrath en 2008 revient sur son parcours avec humilité. « Je suis né à Beyrouth, que j’ai quittée en 1995 pour faire des études d’histoire de l’art et de théâtre en Angleterre. Je suis revenu enseigner quelques...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut