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Culture - Photo

Aux Rencontres d’Arles, Catherine Cattaruzza expose les lignes de blessures de la terre du Liban

L’artiste visuelle présente jusqu’au 2 septembre, au sein de l’un des événements majeurs de la photographie en France, « I am folding the land », une installation explorant un paysage libanais traversé de lignes de failles. Allégorie poétique et politique des fêlures et des convulsions d’un pays et d’un monde au bord du gouffre.

Aux Rencontres d’Arles, Catherine Cattaruzza expose les lignes de blessures de la terre du Liban

Cattaruzza explore sa relation aux convulsions du monde, à travers les lignes de faille sismiques qui parcourent le territoire libanais. Photo Jean-Michel Vecchiet

Elle a fait du pays du Cèdre l’épicentre de son œuvre artistique. Son attachement à cette terre où elle n’est pas née, mais sur laquelle elle a débarquée en 1969 à l’âge d’un an et vécu la majeure partie de sa vie, Catherine Cattaruzza l’a déjà exprimé dans plus d’un projet. Depuis No Man’s Land, l’installation éphémère qu’elle a présentée en 1994 – en artiste pionnière à l’époque – dans le centre-ville de Beyrouth, jusqu’à sa participation en 2018 au Pavillon Libanais de la 16e Biennale d’architecture de Venise (curaté par Hala Younès) avec une série photographique intitulée The Thin Lines Between the River and Me – Geography – Cartography – Photography – Radiography, cette artiste visuelle a produit au Liban l’essentiel de son travail en art plastique et en photographie.

Une vue de l’installation présentée aux Rencontres de la photographie, à Arles. Photo DR

Un travail nourri de ses questionnements sur les notions de territoire, de trace, d’identité et de mémoire. Des problématiques évidement en lien avec son parcours personnel jalonné de départs contraints – à l’adolescence durant la guerre, et à nouveau en 2022 suite à la crise et à l’explosion du 4 août 2020 – et de retours, toujours, vers ce pays instable qu’elle a fait sien au point d’en avoir demandé la nationalité.

Une instabilité qui va amener cette artiste sensible aux empreintes de l’histoire dans l’espace physique a en rechercher les « lignes de faille ». Au propre comme au figuré. Ainsi, « en écho à l’effondrement du Liban en 2019 », elle entreprend de parcourir les 3 principales failles sismiques du pays en photographiant le paysage avec des pellicules obsolètes. Des pellicules achetées à Berlin, et dont la date de péremption fixée à 1992 correspondait à l’année où Catherine Cattaruzza avait décidé de retourner vivre au Liban, après la guerre.

Mais si elle a choisi d’utiliser, près de 30 ans plus tard, ces pellicules expirées, c’est aussi « parce que 1992 est une année charnière qui, à la fin de la guerre de 1975, voit la mise en place du système politique, économique et social qui a conduit à l’effondrement actuel de l’État libanais », indique-t-elle dans la note d’intention de l’exposition.

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que la photographe travaille avec des pellicules périmées. Elle a déjà réalisé une série de photographies à la frontière entre le Liban et l’Israël, Liban-Israël, l’infranchissable frontière, avec des pellicules datant de l’époque de la guerre libanaise. Un projet qui lui avait valu un portfolio de 8 pages dans Le Monde.

Interroger les paysages

Partie donc sur les traces des 3 grandes failles sismiques qui, bien que n’étant pas visibles à l’œil nu, traversent le Liban depuis un axe nord-sud, la photographe va tenter de les capturer, avec ses pellicules moribondes.

Détails de trois panneaux de l'installation. Photo DR

Sa façon à elle d’interroger le paysage libanais dans ses dimensions politique et poétique, en tentant d’en saisir dans les plis des cartes géographiques (point de départ de son travail) puis à travers sa caméra « ce qu’il nous dit du monde, de la transformation du territoire physique, et de la pensée qui lie le visible à l’invisible ».

« Armée de cartes d’état-major, de relevés géologiques, elle sillonne ainsi une fois de plus “son” pays », raconte Jean-Michel Vecchiet qui l’accompagne dans son expédition photographique. « Inlassablement, elle photographie les sols, les roches, les vallées et les herbes, les monticules qui recouvrent les failles souterraines », ces « lignes de blessure de la terre », ainsi que les désigne l’écrivaine Ryoko Sekiguchi – qui a signé avec le réalisateur Jean-Michel Vecchiet les textes du livre éponyme qui accompagne l’exposition de Cattaruzza.

Les images qu’elle en a tirées, et qu’elle a développées dans un studio à Beyrouth avant d’en rephotographier chaque négatif, révèlent en effet d’intenses et dramatiques paysages qui semblent être la traduction visuelle de l’intangible, l’incontrôlable qui domine ce pays depuis la nuit des temps.

Quelque chose de latent…

Imprimées sur de grands panneaux flottants longitudinaux, elles forment I am folding the land* (Je plie la terre) l’installation photographique qu’elle présente, jusqu’au 2 septembre, en avant-première, aux Rencontres de la photographie d’Arles, dans le cadre du Grand Arles Express.

Dans une salle plongée dans l’obscurité, la vingtaine de paysages éclairés qu’elle décline creuse l’espace du sol au plafond. Au sein de ce dispositif qui reprend le tracé de la faille sismique et dessine schématiquement la carte du Liban, le public est invité à circuler librement. Une déambulation qui lui permet de mieux appréhender ce quelque chose de puissant, de terrible même, qui se dégage de ces images silencieuses d’un monde qui tremble… Quelque chose de latent comme la prédiction d’une rupture à venir. Inévitable. Fatale. Car pour cette artiste qui « ne documente pas le territoire mais l’humanise » (dixit Jean-Michel Vecchiet), « le paysage ne peut être considéré comme une page blanche, il confronte l’action a un ensemble plus ou moins dense de traces, de plis, de résistance qui le composent. Il est un espace qui n’est jamais figé, mais toujours en devenir ». Un état de liminalité qu’exprime sensiblement I am folding the land…

*« I am folding the land » de Catherine Cattaruzza jusqu’au 2 septembre aux Rencontres de la photographie d’Arles dans le cadre du Grand Arles Express.

Elle a fait du pays du Cèdre l’épicentre de son œuvre artistique. Son attachement à cette terre où elle n’est pas née, mais sur laquelle elle a débarquée en 1969 à l’âge d’un an et vécu la majeure partie de sa vie, Catherine Cattaruzza l’a déjà exprimé dans plus d’un projet. Depuis No Man’s Land, l’installation éphémère qu’elle a présentée en 1994 – en...

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