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Lifestyle - Fragrances d’antan

Après plus de deux siècles d’oubli, « My Dorine » ressuscitée par Bashar Nasri

Marie-Antoinette et Louis XVI avaient décerné à la Maison Dorin le titre de « fournisseur de la cour de Versailles » pour la qualité de ses poudres et fards.

Après plus de deux siècles d’oubli, « My Dorine » ressuscitée par Bashar Nasri

L’une des plus anciennes maisons de parfum et de cosmétiques au monde est aujourd’hui la propriété du Franco-Syrien Bashar Nasri. Photo capture d’écran

L’une des plus anciennes maisons de parfums et de cosmétiques au monde est aujourd’hui la propriété du Franco-Syrien Bashar Nasri. Cet ingénieur diplômé de l’université de Damas débarque en France au début des années soixante et s’inscrit à la faculté de géophysique de Paris. Féru de musique et jouant de la guitare, le jeune étudiant se produira les samedis dans des bars pour gagner son argent de poche. De plus, ayant appris l’art du rôtissage du chawarma chez Abou Kamal et Ghazal à Damas, il vend ses sandwiches de kebab à la cafette de la cité universitaire. En été, à bord de sa petite camionnette, il sillonne les côtes ouest et sud-est de la France en proposant son plat. « C’est moi qui a introduit le chawarma en France », affirme Bashar Nasri dans ses interviews accordées à Joussour YouYube, Fame Radio TV et à la chaîne italienne TeleSud dans l’émission Fragments d’histoire. Son doctorat en poche, il choisit de rentrer au pays natal et de travailler au ministère du Pétrole. Il est reçu par le responsable de l’époque, qui lui dit : « C’est bien, mon petit gars, mais le seul problème, c’est que vos méthodes sont trop innovantes et ne peuvent pas être appliquées chez nous. »

Un Air de Paris arc de triomphe au musée Dorin. Photo tirées du site officiel du musée

Diverses occasions sous différentes casquettes

De retour en France où il s’établira définitivement, il est embauché par une société pétrochimique française. Il y travaillera pendant quelques années avant de créer sa propre entreprise et d’endosser plusieurs casquettes : conseiller technique auprès des ministères arabes du Pétrole ; journaliste pour un magazine périodique spécialisé dans le domaine du pétrole et décorateur. Quatre projets seront réalisés pour l’émir Khalifa ben Hamad du Qatar, grand-père de l’actuel émir. Une aventure qu’il enchaînera, grâce à ses amis les Kokache, avec le groupe Saudi Oger pour l’aménagement intérieur de plusieurs résidences à Riyad et Djeddah, dont celle de la princesse al-Jawhara bint Mohammad ben Abdelaziz et le prince Fayçal ibn Fahd. Infatigable, il investit ensuite dans le cinéma en coproduisant Le sang des autres de Claude Chabrol et Louisiane de Philippe de Broca. Dans les années 90, il se lance dans la création des parfums Kesling, vendus exclusivement en ligne. Il choisit des notes uniques comme celle de la rose de Damas, considérée comme « la plus vieille rose au monde », souligne-t-il, ou « l’incomparable jasmin de Damas, dont les pétales se ferment la nuit et s’ouvrent le jour ». Un « nez » est chargé de la composition. Les flacons sont ensuite fabriqués à l’usine Dorin, qui depuis 1980 se consacrait exclusivement à la production à façon pour d’autres maisons. Huit ans plus tard, son propriétaire qui partait à la retraite va céder la marque Dorin à M. Nasri. Avec en prime, une gamme d’objets et les archives qui dormaient depuis deux siècles et demi dans des caisses. Ces documents sont « un vrai trésor pour tous ceux qui s’intéressent à la technologie et aux anciens produits », écrit Jean Claude Le Joliff, ancien directeur de la recherche chez Chanel, et contributeur récurrent de L’Observatoire des cosmétiques.

Bas de soie au musée Dorin. Photo tirées du site officiel du musée

La saga « Give me a Dorine »

Les archives révèlent l’histoire oubliée de l’enseigne qui, à l’origine, s’appelait « Fards rouges et blancs ». Elle a été fondée par « la » Marguerite Montansier (1730-1820), directrice des spectacles à la cour de Louis XVI, où elle introduisit ses poudres, ses fards blanchissants et ses boîtes à mouches, qu’elle appose sur le visage des coquettes. La qualité de ses produits lui vaut d’être le « fournisseur » de la cour de Versailles dès 1780. En 1819, Jean-Marie Dorin, associé à Montansier, va acquérir la maison, lui donner son nom et la développer. Dans les années 1920-1930, l’usine installée à Colombes compte alors plus de 85 employés. Les parfums La Dorine, le rouge brunette, la crème ÉclatLys et les poudres sont exportés dans une vingtaine de pays. Jean Claude Le Joliff souligne que « le rouge à lèvres a été le produit emblématique de la marque. Aux États-Unis, elle est passée dans le langage courant. Ainsi, Give me a Dorine signifiait Donnez-moi un rouge à lèvres. En 1927, Rouge Baiser est le premier rouge à lèvres qui résiste à tout, même au baiser… Audrey Hepburn en fera son produit fétiche ».

Un Air de Paris Eau de toilette au musée Dorin. Photo tirée du site officiel du musée

Le Shaker avant-gardiste

Les poudres, l’autre spécialité de Dorin, se déclinaient sous toutes les formes et nuances, « libres ou compactes pour le corps, le visage, les jambes ». Cette dernière appelée Bas de soie, et accompagnée du crayon noir pour dessiner la couture le long de la jambe, se revendique « résistante à la sueur, aux frottements de la robe et à l’eau ». Il existait aussi une exclusivité : le coffret Shaker contenant quatre nuances de poudres. Il était possible de mélanger à sa convenance les différentes teintes. « C’était déjà de la personnalisation de couleurs en fonction de sa carnation ! Ce qui montre l’avant-gardisme de la marque », ajoute l’ancien directeur de la recherche chez Chanel. Les produits Dorin ont obtenu de nombreuses récompenses lors des expositions universelles : médaille d’or à Paris en 1900, Grand Prix à St Louis aux États-Unis en 1904, à Liège en 1905 et à Bruxelles en 1922. Mais souffrant économiquement des effets de la Seconde Guerre mondiale, la maison ne retrouvera jamais son niveau d’avant le conflit. Elle arrête son activité dans les années 1980, et travaillera pour le compte des autres maisons de parfum et de cosmétiques. Elle sera rachetée en 1998 par la SARL France Excellence de Bashar Nasri.

La Tour Eiffel dans une bouteille de parfum en édition limitée en hommage à Paris. Photo tirée du site officiel du musée

Le musée

La Maison Dorin a aujourd’hui son musée à Chatou, dans le département des Yvelines en région Île-de-France. C’est un musée privé logé dans une demeure datant des années 1860. Plus de 700 pièces retraçant la saga de la maison y sont rassemblées : des flacons de parfum, des coffrets de maquillage pour tout le corps, pour les reines et les rois, pour les femmes et les hommes, les comédiens de théâtre et les habitants de Paris et des villes occidentales. Des rouges à lèvres « conçus au départ sous forme de pâte coulée dans des écrins de porcelaine, avant de se transformer en bâtonnets de la taille d’un briquet, habillés de cylindres de métal légèrement souple (fer ou étain), voire de papier métallisé semi-rigide », souligne Nasri. Exposé également, le catalogue de 1914, « un véritable trésor. Il est déjà à l’époque traduit en plusieurs langues (anglais, espagnol, allemand…). Les dessins y sont remarquables, peints à la main à taille réelle. Ils expriment de manière extraordinaire les valeurs de la marque, son exigence, l’excellence de l’exécution et son côté précurseur ». Pour visiter le musée, il faut prendre rendez-vous avec la société France Excellence Dorin Paris.

L’une des plus anciennes maisons de parfums et de cosmétiques au monde est aujourd’hui la propriété du Franco-Syrien Bashar Nasri. Cet ingénieur diplômé de l’université de Damas débarque en France au début des années soixante et s’inscrit à la faculté de géophysique de Paris. Féru de musique et jouant de la guitare, le jeune étudiant se produira les samedis dans des bars...

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