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Culture - Exposition

Azza Abo Rebieh, l’Ariane des temps modernes

Les œuvres de l’artiste syrienne installée à Beyrouth depuis 2017 sont une superposition de matière textile tracées avec le fil de l’amour et de la vie. À la galerie Saleh Barakat, « Tawq », un accrochage comme le récit d’une rémission.

Azza Abo Rebieh, l’Ariane des temps modernes

Azza Abo Rebieh, « Heresy » (« Hérésie ») 50 x 25 cm. Courtoisie de l’artiste et de la galerie Saleh Barakat

Après une enfance partagée entre la ville de Homs où elle est née en 1980 et celle de Djeddah, en Arabie Saoudite, où son père exerçait le métier d’ingénieur et où elle a grandi, Azza Abo Rebieh présente le concours des beaux-arts à l’Université de Damas. Elle est acceptée avec les honneurs. C’est vers la gravure que son choix se porte, cette technique complexe employée depuis des siècles et qui sollicite des aptitudes particulières. « Le monde de la gravure est un univers à part, précise l’artiste à L’Orient-Le Jour. D’abord, il requiert un équipement qu’il est difficile de se procurer chez soi, ensuite, les œuvres produites sont monochromes et les impressions sont en négatif, ce qui vous pousse à développer une capacité à visualiser dans un effet miroir. » Mais Abo Rebieh a toujours aimé les défis, et commencer par la gravure la réconfortait dans le sentiment qu’elle pourrait aborder dans l’avenir tout autre pratique artistique. Diplômée et artiste accomplie, elle se lance dans la vie, ignorant que celle-ci lui réservait bien des embûches.

Des œuvres qui ouvrent une porte sur le rêve, dans un univers particulier où l’artiste Azza Abo Rebieh prouve que tout reste possible malgré tout. Courtoisie de l’artiste et de la galerie Saleh Barakat

Il a suffi d’un fil

Artiste reconnue dans l’univers de la gravure, ses œuvres parcourent le monde et sont présentées dans les galeries internationales et les musées à travers tous les continents. En 2011, lorsque, dans le sillage des mouvements de contestation qui agitent le monde arabe, des citoyens sSyriens descendront dans la rue manifester contre le pouvoir autoritaire du président Bachar el-Assad, Azza rejoint le mouvement sans hésiter, forte de ses convictions de préserver son identité syrienne en dehors de cet État totalitaire. Listée par les services secrets, elle mènera une existence en parallèle du monde. Contrainte de changer de domicile, de numéro de téléphone, de lieu de travail chaque dix jours, c’est une amie qui, sous la menace des armes, la dénoncera. Elle n’échappera pas à la prison et traversera un enfer qui durera quatre mois. Quatre mois durant lesquels sa croyance en son pays et sa foi dans la révolution n’ont jamais failli. Le reste de l’histoire partira d’un fil. Celui qu’elle tire des couvertures de sa cellule pour fabriquer de petites poupées et entraîner toutes ses compagnes avec elle afin de ne jamais céder au désespoir. Plus tard, transférée à la prison de Adra, elle aura accès à un papier et un crayon, et dessinera les prisonnières privées de miroir depuis des mois et qui se verront à travers les croquis de l’artiste. Ce fil qu’elle avait tiré, Azza Abo Rebieh ne le lâchera plus jamais. Il se faufilera dans ses œuvres, tracera le cours de son destin, la mènera sur le chemin de la rédemption et de la gloire, elle, l’Ariane des temps modernes. Et à la question : « Comment avez-vous été libérée? », c’est avec beaucoup de difficulté et un sentiment de honte qu’elle répond : « Le pouvoir de l’argent. »

Longtemps après sa sortie des geôles syriennes, les cauchemars peupleront ses nuits, et la nourriture, plutôt que de la sustenter, représentera une insulte à ses camarades de cellule restées derrière les barreaux et que l’on affamait. « J’avais même un problème avec la propreté, avoue l’artiste. La souillure était devenue ma seconde peau. » Lorsqu’elle quitte la Syrie par peur des représailles, c’est un billet sans retour qu’on lui impose. Installée à Beyrouth depuis 2017, elle continue sa révolution personnelle, et se reconstruit avec un fil entre les mains et un papillon dans la tête.

Azza Abo Rebieh, « Apprehension » (« Appréhension ») 100 x 130 cm. Courtoisie de l’artiste et de la galerie Saleh Barakat

Métamorphose

« Je me suis longtemps posé la question à ma sortie de prison, si j’étais vivante ou non, souligne Azza Abo Rebieh, et pour avoir vécu l’indicible, la vie avait tous les jours une saveur nouvelle. Et un jour, un papillon a franchi le seuil de mon atelier et il est entré dans ma vie, et de me poser la question : qu’est ce qui me rapproche de ce lépidoptère ? Tout ! Sa naissance, son combat pour survivre, sa mutation, sa puissance d’adaptation. Nous sommes tous des papillons. Vivants, nous subissons des métamorphoses ; et morts, nous revenons visiter les vivants. »

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Symbole de la résurrection, le surgissement du papillon au centre de ses compositions est frappant, il souligne le regain d’espoir de l’artiste après le chaos engendré par une injuste incarcération accompagnée d’humiliations et de souffrances physiques infligées. Fragile et en perpétuel mouvement, le papillon, avec son insaisissabilité et ses métamorphoses, renvoie à la nature combative de l’artiste, à sa capacité de se régénérer et à sa volonté de puissance dans le sens nietzschéen du terme, celle de ne jamais céder et d’aller toujours de l’avant. Sur ses toiles, le papillon occupera ses entrailles, se faufilera dans sa tête, se transformera en violoncelle, la poussera par la puissance de ses ailes vers l’absolu. « Vous saviez, relève l’artiste, que le papillon ne s’arrête jamais, de peur d’être dévoré. Il est en perpétuel vol pour se protéger des prédateurs. »

Et d’ajouter : « Le hasard qui a fait pénétrer ce papillon dans ma vie est le fil conducteur de toute mon œuvre. » Comme si elle peignait pour abolir tout contrôle, le résultat est toujours le fruit d’un dialogue entre la couleur, les lignes qu’elle trace avec un fil et son désir de transcender la douleur. L’artiste joue avec la fine frontière entre collage et montage dans un procédé original qu’elle s’est inventé, qui consiste à juxtaposer des morceaux de tulle de différentes tonalités jusqu’à en créer celles propres à son œuvre. Ses différentes expériences et recherches plastiques l’ont amenée à créer son propre monde pour concevoir des œuvres poétiques nées d’une subtile harmonie entre dessin et collage, transparence et légèreté. Un univers artistique où la perception visuelle de la couleur n’est presque jamais vue telle qu’elle est vraiment.

Cette artiste nous invite à appréhender chacune de ses toiles comme une expérience à part entière au gré de l’imaginaire dans une exposition rédemptrice.

« Apprenez à voir et à ressentir la vie, cultivez votre imagination parce qu’il y a encore des merveilles dans le monde, parce que la vie est un mystère et qu’elle le restera », aurait pu être sa devise. Mais si elle ne le déclare pas avec ces mots, son œuvre parle pour elle.

À la galerie Saleh Barakat : « Tawq » de Azza Abo Rebieh ; « Metamorphosis » de Nelsy Massoud, secteur Clemenceau, jusqu’au 23 juillet.

Une musique, une installation

Deux artistes participent à l’exposition « Tawq » à la galerie Saleh Barakat : le musicien Khaled Omrane, qui accompagnera le visiteur à travers son parcours par une pièce sonore composée à partir d’enregistrements de différents matériaux présents dans l’atelier d’Abo Rebieh, et Nelsy Massoud, sa partenaire d’atelier, qui explore les propriétés de la loofah pour réaliser des suspensions lumineuses qui ne sont pas sans rappeler les chrysalides, comme pour libérer les papillons de Azza Abo Rebieh.

Après une enfance partagée entre la ville de Homs où elle est née en 1980 et celle de Djeddah, en Arabie Saoudite, où son père exerçait le métier d’ingénieur et où elle a grandi, Azza Abo Rebieh présente le concours des beaux-arts à l’Université de Damas. Elle est acceptée avec les honneurs. C’est vers la gravure que son choix se porte, cette technique complexe employée...

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