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Agenda - Hommage

L’adieu à Jean Moubarak

Nous étions cinq au temps flamboyant du Paris de nos études. De cet âge de formation où s’entremêlent les efforts et les passions, le labeur et la nonchalance, l’exaltation de l’idéal et la désinvolture des comportements, l’esprit de sérieux et le rire irraisonné, subsistent des souvenirs qui rougeoient à présent au crépuscule de nos vies.

Georges a été le premier à nous laisser cheminer esseulés sur le chemin de nos habitudes et de nos routines. Il partait trop tôt, rongé par une maladie qui ne voulait pas le lâcher, en dépit de nos espoirs et sous nos yeux aux regards furtifs, inquiets et suppliants devant le corps dévasté. Georges avait tout caché de la gravité du mal qui devait le terrasser laissant, avec ses enfants, notre amitié meurtrie au bord de l’insondable gouffre de nos angoisses. En plus de notre premier effroi, inscrit à jamais dans notre esprit, devant l’impudique inanité des morts soudaines. Sa grandeur d’âme et sa pudeur à fleur de peau avaient empêché Georges de nous parler et de se confier. Ce silence longtemps retenu ne cesse de troubler nos pensées. Il ravive telle une douleur tenace nos moments de doute et hante telle une vague entêtée nos temps d’incertitudes.

Et voilà que Jean, l’ami Jean, vient lui aussi de signer sa fin de partie. La maladie qui l’a emporté s’apparentait à une incessante dérive, celle d’une mémoire qui avait pris congé de la vie bien longtemps avant que la vie ne prenne congé de son corps. Ne subsistait plus à la fin, dans le brouillard où s’estompaient sa conscience et ses survivances, que la tristesse d’un sourire flottant sur la mer immense et opaque de l’oubli. Enfuis avec sa vie sont désormais nos moments les plus fervents. Des moments charnels comme des corps, vifs comme les fulgurances du bonheur, attristés maintenant par les déshérences que traînent les existences qui s’épuisent, lourds comme des silences quand ils scellent à tout jamais des solitudes emmurées. Jean, notre ami Jean, nous a ainsi lui aussi à son tour laissés. Lassé sans doute de sa vie de reclus de la mémoire. Nous ses amis, avec ses enfants, avons pris possession du palais des souvenirs. Jean, lui, est parti habiter le paradis des étoiles là où il aimait s’évader. Il joue désormais avec les comètes qui illuminaient sa vie, trop longtemps endeuillée de nuit. Dorénavant, il vit pleinement après avoir été un mort de la vie. Plus présent qu’il ne l’a jamais été, plus réel qu’au temps de sa vie irréelle, plus persistant que l’oubli, plus proche de nous que lors de son passé impalpable….

Nous étions cinq. Nous ne sommes plus que trois. Avec tous ceux qui l’ont connu et aimé.

Nous étions cinq au temps flamboyant du Paris de nos études. De cet âge de formation où s’entremêlent les efforts et les passions, le labeur et la nonchalance, l’exaltation de l’idéal et la désinvolture des comportements, l’esprit de sérieux et le rire irraisonné, subsistent des souvenirs qui rougeoient à présent au crépuscule de nos vies. Georges a été le premier à nous...