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Monde - Éclairage

La Transnistrie moldave, symptôme de la difficile équation entre Moscou et Bruxelles

Bande de terre située à la frontière moldavo-ukrainienne, le territoire sécessionniste prorusse met en lumière le difficile équilibre à trouver pour éviter une expansion de la guerre en Ukraine.

La Transnistrie moldave, symptôme de la difficile équation entre Moscou et Bruxelles

La présidente moldave Maia Sandu a reçu le président du Conseil de l’Europe Charles Michel, le 4 mai 2022 à Chisinau. Vladislav Culiomza/Reuters

9 mai. Une date-clé pour la Russie comme pour l’Union européenne. D’un côté le jour de la victoire soviétique sur l’Allemagne nazie en 1945, de l’autre la Journée de l’Europe commémorant la déclaration Schumann de 1950. Habituellement célébrés simultanément en Moldavie, les deux événements pourraient cette année accroître les divisions dans l’ancienne république soviétique d’Europe de l’Est, dans le contexte de la guerre en Ukraine. Hasard du calendrier, le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres, entame aujourd’hui une visite de deux jours dans le pays pour exprimer son soutien à l’accueil des réfugiés ukrainiens sur le territoire moldave. Affichant certaines similitudes avec Kiev, le gouvernement de Chisinau tient une ligne pro-européenne tandis que 30 % de la population est russophone et qu’un territoire séparatiste à la frontière avec l’Ukraine est sous la coupe de Moscou depuis trois décennies. Fin avril, la Transnistrie, cette bande de terre située sur la rive gauche du fleuve Dniestr, a été le théâtre d’incidents sécuritaires qui ont fait craindre un débordement du conflit russo-ukrainien dans l’un des pays les plus pauvres d’Europe.

Les lundi 25 et mardi 26 avril, plusieurs explosions ont secoué le territoire séparatiste sans intention apparente de faire des victimes. Le bâtiment vide d’une agence sécuritaire à Tiraspol, capitale de la Transnistrie, a notamment été endommagé, tandis que des pylônes de télécommunications diffusant des radios russes ont été détruits. Dénoncées d’un côté comme des actes terroristes imputés au voisin ukrainien, de l’autre comme des provocations de Moscou pour attiser les tensions, ces attaques faisaient suite à une déclaration du major général russe Rustam Minnekaev. Ce dernier affirmait que l’action militaire de Moscou en Ukraine comprend un plan pour prendre le contrôle de tout le sud du pays, reliant ainsi ces territoires à la Transnistrie voisine, où des cas d’oppression de la population russophone auraient été constatés selon lui. Réfutant ces dires, le Kremlin a réaffirmé par la suite son attachement à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de la Moldavie, selon le ministre des Affaires étrangères de Chisinau. Les partis prorusses ont néanmoins appelé la population moldave à porter le ruban de saint Georges lors des marches organisées pour le jour de la Victoire dans le pays, où il est désormais interdit d’afficher ce symbole militaire et patriotique russe, ainsi que d’autres signes distinctifs de soutien à la guerre en Ukraine.

Adhésion à l’UE

« Il est peu probable qu’il y ait une quelconque déstabilisation ou des provocations, ou si elles ont lieu, je ne suis pas certain qu’elles mèneront à quelque chose de plus sérieux. (...) La société moldave est aujourd’hui plus consolidée, plus unie et ne souhaite pas d’escalade et de guerre », soutient Iulian Groza, directeur exécutif de l’Institut européen pour les politiques et les réformes (IPRE) basé à Chisinau, et membre du Conseil suprême de sécurité de Moldavie. Si la neutralité du pays est inscrite dans la constitution, Chisinau a déposé le 3 mars dernier une demande officielle pour adhérer à l’Union européenne, comme l’Ukraine et la Géorgie, tout en rejetant l’éventualité d’une demande d’adhésion à l’alliance transatlantique, dont l’expansion est source d’anxiété pour Moscou.

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Deux mois plus tard, mercredi dernier, le président du Conseil européen Charles Michel s’est rendu à Chisinau pour promettre une augmentation de l’aide européenne en termes notamment d’équipement militaire et de lutte contre la désinformation et les cyberattaques, techniques de déstabilisation et de propagande généralement attribuées à la Russie. Dans une résolution adoptée le lendemain, le Parlement européen s’est ensuite déclaré favorable à la candidature de la Moldavie pour entrer dans l’UE, bien que l’existence de frontières clairement définies et non disputées était jusque-là une condition sine qua non pour y adhérer. « Cela n’était pas possible avant le début de la guerre en Ukraine », souligne Tatsiana Kulakevich, chercheuse à l’institut sur la Russie de l’Université de Floride du Sud. « Pourtant, depuis 2005 particulièrement, la Moldavie a clairement défini l’entrée dans l’UE comme sa priorité numéro un en politique étrangère », rappelle Iulian Groza. En 2014, le pays a signé un accord d’association avec Bruxelles pour entamer le processus de rapprochement et faciliter les échanges entre les deux entités, y incluant également la république autoproclamée transnistrienne, qui malgré son indépendance de fait n’a même pas obtenu la reconnaissance de son parrain russe.

Allégeance à Moscou

Un an après avoir obtenu son indépendance en 1991, la Moldavie est entrée dans une guerre civile avec les séparatistes de Transnistrie soutenus par Moscou. Si un cessez-le-feu a été signé en juillet 1992 entre les deux pays, réclamant notamment le retrait des forces armées de la bande de terre moldave, la Russie continue d’y avoir environ 1 500 hommes stationnés, en plus des forces locales estimées entre 4 500 et 7 500 soldats. « Il n’y a pas d’intérêt à combattre, mais cela reste un conflit géopolitique. (...) Chisinau est la cible d’agressions hybrides de la part de la Russie depuis des années, qui utilise la région transnistrienne pour influencer les décisions nationales et rendre le pays plus vulnérable », résume Iulian Groza. « Dans le Donbass en Ukraine, les républiques autoproclamées de Donetsk et Lougansk, établies en 2014, sont tout à fait un copier-coller de l’approche adoptée avec les séparatistes de Moldavie en 1992 », ajoute-t-il en comparant deux des pays que Moscou cherche à garder dans sa sphère d’influence.

« L’allégeance du territoire transnistrien à Moscou est assurée via des allocations versées aux retraités et du gaz distribué gratuitement », explique la chercheuse Tatsiana Kulakevich, alors que le reste du pays est presque entièrement dépendant de ses importations de gaz russe. Une influence économique concurrencée ces dernières années par le poids commercial de l’UE, qui constitue un débouché pour 70 % des exportations de la république autoproclamée. Si Chisinau n’a pas suivi le train de sanctions imposées à Moscou par les Occidentaux, les échanges commerciaux sont plus difficiles avec l’Est depuis l’invasion russe, du fait notamment du renforcement des contrôles ukrainiens à leur frontière avec la Moldavie, connue pour être le terreau de trafics en tous genres. « Dans la région transnistrienne, ils réalisent qu’ils ne veulent ni mourir, ni faire la guerre. Ils veulent juste faire du business. (...) Ils aimeraient continuer à profiter du statu quo », conclut cyniquement Iulian Groza.

9 mai. Une date-clé pour la Russie comme pour l’Union européenne. D’un côté le jour de la victoire soviétique sur l’Allemagne nazie en 1945, de l’autre la Journée de l’Europe commémorant la déclaration Schumann de 1950. Habituellement célébrés simultanément en Moldavie, les deux événements pourraient cette année accroître les divisions dans l’ancienne république...
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