
Nizar Mouchilian dans son atelier, véritable antre coloré, comme un joyeux bric-à-brac. Photo DR
Connu en tant que figaro sous le (pré)nom de Nizar, il signe ses tableaux de son vrai nom : Nazar Mouchilian. Son penchant pour le dessin se révèle dès son plus jeune âge. À six ans, il remplit ses cahiers de tout ce dont regorge son imagination. Une habitude agaçante pour ses professeurs d’école, qui s’en plaignaient à ses parents. Pourtant, personne ne parviendra à brider cette passion qui ira crescendo, jusqu’à occuper, plus tard, tout son temps. D’abord maquilleur, Nazar Mouchilian donne lumière, couleur et vie aux visages. Plus tard, devenu coiffeur armé de ses ciseaux, il se consacre à cet art libéral et libre de la coupe et de la coiffure. Mais une tête pose des limites pour sa créativité et rien ne réussit à départir cet artiste dans l’âme de son goût prononcé pour le dessin. Après sa journée de travail, il reprend ses crayons et ses fusains, s’adonne à son imaginaire et s’enthousiasme pour Serge Poliakoff, Mark Rothko, Lucian Freud et Robert Ryman, qu’il découvre à travers les ouvrages et les expositions au gré de ses voyages. Véritable antre coloré, son atelier a des allures de joyeux bric-à-brac. À l’intérieur, des croquis, des toiles réalisées à l’acrylique, des tubes de peinture, des palettes et des pinceaux, des vernis, des médiums, des dissolvants et autres chiffons. « Je n’ai jamais appris à peindre ni à dessiner, c’est venu tout seul », confie-t-il. Quand pour la première fois il achète ses tubes et son rouleau de papier toilé, il a « des sueurs froides ». « L’échec est devenu ma plus grande peur. J’avais la phobie de ne pas réussir à m’exprimer avec ces nouveaux outils ou de rater l’essentiel. Au début, j’ai détruit quantité de toiles qui n’étaient pas abouties », avoue-t-il. Mais au fil des jours, cette peur irraisonnée s’estompe. Car l’artiste en lui est bien présent. Nazar Mouchilian ne manque pas de créativité ni d’aptitude pour approfondir sa technique et développer son talent. Pour lui, plus qu’un métier, « l’art est une passion. C’est ma vie ».
Le catalogue édité par la Librairie Antoine est un résumé du travail de Nizar Mouchilian. Photo DR
Le bleu, sa couleur fétiche
Grandes ou petites, toutes ses œuvres (ou presque) sont des acryliques. Des compositions abstraites mais aussi des « figuratifs-abstraits », comme il aime les qualifier, dont l’une des particularités réside dans la couleur bleue : le navy blue et le bleu nuit auxquels l’artiste dit être « accro ». « Sans ces bleus, c’est visuellement ennuyeux pour moi ! » dit-il. Si bien que toile après toile, il les utilise tantôt pour dénoncer l’ampleur du désastre financier en taguant un visage du symbole de la monnaie américaine, tantôt sur des faces frontales au caractère accentué par des barres colorées et des lignes énergiquement marquées, reflétant chacune une étape importante de son parcours émotionnel et personnel. Mais aussi en allusion picturale à un désir visible de faire valoir que « les situations requièrent des décisions, des actions et des résolutions », relève l’artiste dans son catalogue. Ou encore pour dire, à travers une horloge pointant 3h20 du matin, que « l’insomnie se transforme en un moment fécond ». Alors le voilà qui « joue » (selon son expression) de manière théâtrale à maquiller la femme de drôles de couleurs, avec des yeux jaunes, des joues vertes, mais en lui concédant un rouge flambant aux lèvres. C’est toutefois sur fond blanc, « rendant les choses bien visibles », qu’il évoque le cauchemar absolu du 4 août 2020 en mettant en scène ses baskets lacérées par l’explosion, sa façon à lui de dire qu’il « ne pardonne pas et n’oublie pas ». Pourtant, il ne néglige pas de mettre en parallèle cet autre côté de la vie intitulé Ma Eva, un dessin au crayon ponctué de taches de couleur intuitives pour exprimer la tendresse et la gaieté brillante que son Ève essaime autour d’elle. « La peinture est pour moi une thérapie dans les heures les plus sombres. Elle est pour moi une source de réconfort », commente l’artiste.
Des toiles intenses où le bleu règne en maître. Photo DR
Une longue introspection
C’est la galerie beyrouthine de Mark Hachem, à Minet-el Hosn, qui lui a offert son premier solo en 1996. En 1995, le même marchand d’art l’avait invité à participer à une manifestation collective à Paris, où la galerie Joseph Karam et associés, avenue Raymond Poincaré, lui avait également offert ses cimaises pour une exposition personnelle. Ses œuvres ont figuré dans des expositions collectives, chez Janine Rubeiz, Tanit, Rochane et au Centre culturel français à Zahlé, entre autres. En plein confinement ces deux dernières années, Nazar Mouchilian s’est trouvé encore plus intensément en mode création, et ce besoin est toujours présent. Lui est-il arrivé de refuser de vendre l’une de ses œuvres ? « Le fait d’exposer et de vendre nous offre la possibilité de partager notre passion. Quand un client dégage quelque chose qui ne me plaît pas, je sais que mon tableau ne vivra pas bien chez lui, je dis alors qu’il est réservé », avoue l’artiste. Depuis quelques années, ce peintre autodidacte s’est lancé encore plus intensément dans l’art. L’année 2010 marque un changement dans sa vie d’artiste. Tout en poursuivant sa carrière dans la coiffure, Mouchilian assume, après une longue introspection, son véritable soi et décide de signer ses tableaux de son simple prénom : Nazar.