Depuis le coup de fil samedi entre le président français, le prince héritier saoudien et le président du Conseil libanais, le climat général dans le pays a changé. Même si personne n’est réellement convaincu que le contentieux entre l’Arabie saoudite et le Liban est réglé, tout le monde s’accorde à dire que le processus de dégradation des relations entre les deux pays devrait s’arrêter.
C’est en tout cas ce qu’a révélé le Premier ministre Nagib Mikati lors de sa rencontre hier avec le chef de l’État Michel Aoun. M. Mikati aurait ainsi déclaré à M. Aoun que le prince héritier Mohammad ben Salmane (dit MBS) lui aurait affirmé qu’il souhaite ouvrir une nouvelle page dans les relations de son pays avec le Liban. Cela constitue certainement un indice positif, mais qui doit encore se concrétiser. Alors que Baabda attend d’avoir le son de cloche du président français, qui a annoncé qu’il comptait s’entretenir directement avec son homologue libanais sur ce sujet, la prudence reste donc de mise.
Ce qui est sûr, à ce stade, c’est qu’aussi bien le président français que le prince héritier saoudien ont marqué des points dans les développements de samedi. D’abord, le président français a réussi à convaincre MBS d’atténuer ses positions en flèche à l’égard du Liban et de parler directement avec Nagib Mikati. Ensuite, il s’est imposé comme le leader occidental qui peut parler avec toutes les parties au Moyen-Orient et leur arracher des concessions, montrant ainsi qu’il est écouté et qu’il dispose d’une certaine marge de manœuvre pour influer sur le cours des événements. Il a réussi à renforcer le rôle de la France dans la région, à la fois sur les plans politique, diplomatique et économique.
De son côté, Mohammad ben Selmane a réussi à accueillir un chef d’État occidental, et pas des moindres, dans son pays pour la première fois depuis octobre 2018, date de l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi au consulat saoudien à Istanbul. Selon des sources diplomatiques arabes, Mohammad ben Salmane, qui aurait, à plusieurs reprises au cours des derniers mois (et même récemment avant le sommet climatique qui s’est tenu à Glasgow), tenté de se rapprocher des Américains et en particulier du président Joe Biden élu en 2020, aurait donc marqué un point en accueillant Emmanuel Macron à Djeddah. Ces mêmes sources se demandent même si la dernière crise avec le Liban n’aurait pas été déclenchée pour pousser les Occidentaux à parler avec les dirigeants saoudiens, sachant combien les premiers tiennent à ce que le Liban ne s’effondre pas totalement. Les sources diplomatiques arabes précitées rappellent que la crise entre le Liban et l’Arabie n’est pas récente. Même avant son rappel à Riyad, l’ambassadeur saoudien ne se rendait pas chez les responsables libanais, qu’il s’agisse du chef de l’État ou du président du Conseil. C’est pourquoi, selon ces mêmes sources, la réaction musclée aux propos du ministre de l’Information démissionnaire Georges Cordahi, tenus avant sa nomination, pourrait n’être qu’un prétexte qui aurait permis aux dirigeants saoudiens de faire bouger les choses.
De fait, toujours selon les sources diplomatiques arabes, la nouvelle crise ainsi déclenchée et les mesures de rétorsion saoudiennes ont eu un impact considérable sur la situation économique, financière et sociale au Liban, plaçant réellement le pays au bord du précipice. Il fallait donc une réaction rapide pour empêcher un effondrement économique total. Le président français a donc saisi cette occasion pour intervenir, estimant, toujours selon les sources diplomatiques arabes précitées, que le moment est opportun pour agir, d’abord parce qu’il a l’aval de l’administration américaine, ensuite parce que les dirigeants saoudiens souhaitent qu’un responsable occidental se rende en Arabie pour consacrer le rôle de ce pays en tant que puissance régionale. Le président français a donc fixé la date de sa tournée dans les États du Golfe, et le président du Conseil libanais a été informé de la démarche qu’il comptait entreprendre. M. Mikati a donc clairement demandé au ministre de l’Information de présenter sa démission dans ce contexte. La suite des événements est désormais connue. La démission a permis au président français d’évoquer le sujet avec le prince héritier saoudien, avant de prendre son téléphone personnel pour appeler Nagib Mikati et passer ensuite l’appareil à Mohammad ben Salmane.
Dans ce scénario compliqué où chaque détail avait été minutieusement préparé, le président français peut s’estimer satisfait, ainsi que les dirigeants saoudiens. Sur le plan libanais, Nagib Mikati a aussi marqué un point, devenant un interlocuteur agréé des deux dirigeants, tout en renforçant sa position interne. De même, le Liban a poussé un soupir de soulagement avec la reprise de contact directe entre le Liban et l’Arabie.
Mais le problème de fond n’est pas réglé pour autant, et il pourrait ne pas l’être de sitôt. Le paragraphe concernant le Liban dans le long communiqué franco-saoudien parle de « limiter les armes aux forces légales libanaises » et revient sur la nécessité d’appliquer la résolution 1559 du Conseil de sécurité. Ce qui a poussé des sources proches du Hezbollah à comparer la situation actuelle à celle de 2005, avec tous les développements qui ont suivi avant d’aboutir à la rencontre de Doha en mai 2008... S’agit-il pour le président français et pour l’émir ben Salmane d’une position de principe ou d’une revendication concrète ? Les Libanais ne le savent pas encore. Le Liban attend la concrétisation de la reprise de contact avec Riyad à travers le retour des ambassadeurs des deux pays. Ce qui constituerait un pas positif.
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Pas si vite Dame Scarlette. La preuve en mille que ce président ne sert plus à rien car il a perdu sa crédibilité face au monde après l’avoir perdue face aux libanais. Vous écrivez « Alors que Baabda attend d’avoir le son de cloche du président français, » il va attendre longtemps à mon avis. En attendant il peut se contenter du rapport que Mikati lui fera puisque c’est lui, le premier ministre qui a été reçu en Arabie Saoudite pourdiscuter du sort du Liban avec un président d’état et un monarque et non le président du pays concerné qui n’a plus que le titre pour s’enorgueillir. Si ça n’est pas une claque je ne sait pas comment la nommer. Depuis un temps certain, les russes, les français, les américains et tous les autres pays s’adresse au président du parlement en premier ou à défaut au PM puisqu’il savent que discuter avec Aoun ressemble à pisser dans un violon. A mon avis il l’a très bien compris, d’où son entêtement à emporter le pays avec lui dans sa descente en enfer qu’il nous a consciencieusement élaboré.
Sissi zayyat
11 h 09, le 07 décembre 2021