La condamnation, le week-end, dernier du journaliste du quotidien al-Akhbar Radwan Mortada à un an et un mois de prison par contumace par le tribunal militaire a relancé le débat sur la comparution de journalistes, et de civils de manière générale, devant cette instance. M. Mortada, dont l’employeur est proche du Hezbollah, a été condamné pour « outrage à l’institution militaire et son commandant en chef », après avoir évoqué lors d’une interview télévisée une éventuelle responsabilité de l’armée dans les explosions meurtrières du port de Beyrouth.
Le journaliste avait mis en avant la responsabilité supposée du commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun, dans le stockage au port de Beyrouth des 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium qui ont conduit aux tragiques explosions du 4 août 2020. Ces propos avaient été considérés par l’armée comme un « outrage ». Radwan Mortada avait déjà comparu en janvier dernier et dans le cadre de la même affaire devant la Cour de cassation à la suite d'une plainte du général Aoun. Il avait été libéré sous caution d’élection de domicile.
Contacté par L’Orient-Le Jour, le journaliste s’est dit « surpris » par le verdict du tribunal. « Je n’ai même pas été notifié de la tenue de cette audience. On voit bien qu’ils voulaient que cela se fasse rapidement », accuse-t-il, tout en rappelant qu’il aurait dû être déféré devant le tribunal des imprimés, en sa qualité de journaliste. « Il s’agit d’une occasion pour le commandant en chef de l’armée de donner l’exemple à travers ma condamnation, parce que je suis un des seuls à aborder les manquements de l’armée », ajoute Radwan Mortada qui assure qu’il ne se présentera pas devant le tribunal. « Le général Aoun m’a déjà interdit d’entrer dans les institutions militaires, pensant qu’il pouvait ainsi entraver mon travail. Mais il n’a pas le droit de le faire, il faut une décision de justice », lance le journaliste qui a coutume d’attaquer dans ses articles l’armée et le juge d’instruction en charge de l’enquête sur les explosions au port, Tarek Bitar.
Problème d’ordre personnel ?
Réagissant à la condamnation de son journaliste, le quotidien al-Akhbar s’est lancé dans une violente diatribe le week-end dernier contre le commandant en chef de l’armée, dans le cadre d’un dossier intitulé « Joseph Aoun lance sa campagne présidentielle : régime militaire et arrestation d’un journaliste ». Dans son édition du samedi 27 novembre, le journal proche du parti pro-iranien évoque « une vengeance à caractère personnel » concoctée par le général Aoun, que le quotidien accuse d’être au service des États-Unis.
Commentant les propos de Radwan Mortada et les accusations d’al-Akhbar, une source proche de l’armée indique à L’OLJ que « la troupe n’a aucun lien direct avec le tribunal militaire ». « Ce tribunal relève du ministère de la Défense et non pas de l’armée. Je doute qu’il y ait un problème d’ordre personnel qui oppose l’armée et son commandant en chef au journaliste en question, poursuit cette source qui a requis l’anonymat. Je pense que M. Mortada n’a pas été déféré devant le tribunal des imprimés, car il a également lancé des accusations à l’encontre de l’armée sur les réseaux sociaux et que les nouveaux médias ne sont pas inclus dans les prérogatives du tribunal des imprimés. » Le juriste Nizar Saghieh estime pour sa part que l’affaire « dépasse le fait de traduire un journaliste devant la cour militaire ou le conflit qui l’oppose à l’armée ». « Ce n’est malheureusement pas la première fois qu’un journaliste est jugé par le tribunal militaire. Mais il est temps d’aller au-delà de l’anecdote et de remettre en question la présence de ce tribunal et sa compétence pour juger les civils », indique M. Saghieh à L’OLJ. Selon lui, le tribunal militaire est « un tribunal exceptionnel qui n’assure pas la tenue d’un procès équitable ». « Le juge qui y préside est un militaire et il a donc forcément un parti pris. De plus, il n’est possible ni de faire appel ni de présenter un recours auprès de ce tribunal. Ce ne sont pas seulement les journalistes qu’il ne faut pas traduire devant la cour militaire, mais les civils en général. Ce tribunal doit devenir un conseil disciplinaire pour les membres de l’armée et non pas un outil pour contrer les ennemis de l’armée », souligne le juriste. Il rappelle que plusieurs projets de loi ont été présentés pour limiter les prérogatives du tribunal militaire, sans succès. « Ce sont surtout les députés du Hezbollah qui refusent que ces prérogatives soient réduites, sous prétexte que cette instance lutte contre le terrorisme », explique le juriste qui appelle à « réformer le système ».
QUE RADWAN MORTADA DEMANDE À HAJ MOHAMMAD RAAD, CHEF DU GROUPE PARLEMENTAIRE DU HEZBOLLAH, D'ACCEPTER DE RÉDUIRE LES PRÉROGATIVES DU TRIBUNAL MILITAIRE.
19 h 48, le 21 décembre 2021