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Culture - Quoi qu’on en lise

Mon libraire sait ce qui plaît aux femmes

Perdu devant les cinq cents romans de la rentrée littéraire, j’ai suivi le conseil de Luca, mon libraire riche et communiste, et j’ai lu « Pour que je m’aime encore » de Maryam Madjidi.

Mon libraire sait ce qui plaît aux femmes

L’écrivaine Maryam Madjidi. © Grégory Augendre-Cambon

Il faut arrêter avec le mythe du libraire fauché. Il y a des libraires heureux, riches et quand même de gauche (il ne faudrait pas exagérer !). J’en connais un, c’est même devenu un grand ami, il s’appelle Luca. Il m’avait demandé de ne jamais donner son prénom si je parlais de lui, mais je n’ai pas pu résister. Son père était un mafieux italien, sa mère, une professeure d’italien. Lui ne parle pas italien, il m’a dit : « À quoi bon ? Les Italiens ne parlent qu’avec les mains » et effectivement, Luca est bilingue. Il parle aussi bien français qu’avec les mains. La première fois que je l’ai rencontré, j’ai pensé qu’il était juif. Il parle et s’habille comme un vendeur de textile du Sentier dans les années 90. Luca pensait également que j’étais juif et grâce à nos deux erreurs d’appréciation, nous sommes très vite devenus proches. Il est né en France, mais ses parents viennent du nord de l’Italie. Lui préfère Palerme. Il pense d’ailleurs s’y acheter un palais vénitien abandonné. « Je me sens bien là-bas », m’a-t-il écrit fièrement par SMS avant-hier. Dans sa librairie, après la fermeture, il organise des matches de boxe. Quand je déjeune avec lui, il commence et finit toujours le repas par un shot de calva et un express. Oui, les deux en même temps. Avant et après. Luca est un être protéiforme, il veut être tout à la fois : communiste et riche, con et intelligent, sportif et alcoolique, il est ce à quoi aspire chaque écrivain, d’être un surhomme.

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Si je parle autant de Luca, c’est qu’il va devenir un personnage récurrent dans mes chroniques, car un lecteur n’est rien sans son libraire. Devant les cinq cents nouveautés de la rentrée littéraire, j’étais perdu. Après avoir mis de côté les livres des amis et de mes éditeurs, il en restait toujours plus de 400. Alors quel livre lire ? Quel livre chroniquer ? Quel livre bon sang ! Avec Luca, on s’en échange beaucoup des livres. S’échanger des livres en 2021 revient à s’envoyer les couvertures sur WhatsApp. Luca lit, il lit beaucoup et pas seulement les résumés comme une partie de ses confrères. Je ne sais pas à quelle heure il a le temps de lire autant entre son travail, ses matches de boxe et ses projets immobiliers (grâce à la vente de livres, il investit en banlieue dans des complexes hôteliers). Il a un faible pour les épopées littéraires, les essais philosophiques imbuvables et les jeunes auteurs prometteurs. Il est souvent de très bons conseils.

Lors de cette rentrée, il m’a envoyé une photo du deuxième roman de l’écrivaine Maryam Madjidi publié aux très belles éditions du Nouvel Attila : Pour que je m’aime encore. Luca a ajouté sous la photo : « C’est un bon livre. Un bon livre. » Et effectivement, c’est un bon livre. Efficace et sans prétention. L’histoire d’une jeune femme qui a grandi dans une famille iranienne en banlieue parisienne. À l’école, les élèves l’appelaient « Washed Machine » à cause de « ses cheveux frisés, épais, bouclés » et « Barre de shit » à cause de son mono-sourcil qu’elle décrit ainsi : « Un long sourcil qui traversait mon front et qui formait un rempart infranchissable au-dessus de mes yeux. » Une adolescente qui se demandait à seize ans si elle était « peut-être une androgyne. À la fois homme et femme, ou bien ni l’un ni l’autre. Tout comme j’étais à la fois française et iranienne, et au fond ni l’une ni l’autre. Cet entre-deux, cet état informe et indéterminé » qui la rendait dingue. On rencontre ses amis, ses professeurs et certains membres de sa famille (j’ai un faible pour son grand-père surnommé « Agha Joon » qui mange avec les mains et drague les boulangères françaises). On rit, on s’émeut et on le lit d’une traite ce roman. J’en ai même acheté trois exemplaires pour les offrir à ma compagne Alma, à ma petite cousine Rawa au Liban et à la reine Farah Pahlavi à qui j’envoie toujours des textes de jeunes auteurs iraniens même si je ne la connais pas personnellement. J’ai toujours imaginé que cette dame devait s’ennuyer à mourir dans sa vie. Sûr et certain que ce livre plaira à mes trois destinatrices, j’ai réalisé qu’en plus d’être libraire, boxeur, promoteur immobilier et tout un tas d’autres choses, Luca sait aussi ce qui plaît aux femmes.

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« Pour que je m’aime encore »

Maryam Madjidi

Le Nouvel Attila

Écrivain, journaliste, photographe et commissaire d’exposition, Sabyl Ghoussoub est l’auteur de deux romans aux éditions de l’Antilope : « Le nez juif » et « Beyrouth entre parenthèses ». Son troisième roman sortira aux éditions Stock courant 2022.

Il faut arrêter avec le mythe du libraire fauché. Il y a des libraires heureux, riches et quand même de gauche (il ne faudrait pas exagérer !). J’en connais un, c’est même devenu un grand ami, il s’appelle Luca. Il m’avait demandé de ne jamais donner son prénom si je parlais de lui, mais je n’ai pas pu résister. Son père était un mafieux italien, sa mère, une professeure...

commentaires (2)

Non on ne peut pas être communiste et riche en même temps, l’hypocrisie des limousine-liberals, âge de décadence et ceux qui veulent être plusieurs choses en même temps

Jad Abdallah

23 h 39, le 28 septembre 2021

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Commentaires (2)

  • Non on ne peut pas être communiste et riche en même temps, l’hypocrisie des limousine-liberals, âge de décadence et ceux qui veulent être plusieurs choses en même temps

    Jad Abdallah

    23 h 39, le 28 septembre 2021

  • C’est toujours un plaisir de vous lire Écriture vive portraits a capella Style ciselé mots choisis Merci et surtout ne changez rien !?

    Noha Baz

    22 h 00, le 28 septembre 2021

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