Rechercher
Rechercher

Agenda - Hommage

Marc Saghié : un grand qui se prenait pour personne

Marc Saghié : un grand qui se prenait pour personne

Marc Saghié

Comment dire à ceux qui ne l’ont pas connu quel être d’exception était Marc Saghié ? Pour moi qui l’ai rencontré au début des années 80, dans le cadre du Nahar à Paris, il est resté Akram. Non seulement parce que j’aimais son prénom arabe, mais parce qu’il le portait à merveille. Sa générosité et son intelligence battaient des records de discrétion et de finesse. C’en était presque trop. Il faisait oublier ce qu’il donnait, se privait de ce qu’il pouvait, feignait le sarcasme pour cacher ses blessures. Sa personne passait toujours après. Après qui, après quoi ? Je ne sais pas. Il était l’antiportrait de l’opportuniste, du m’as-tu-vu, de l’homme satisfait. Il aurait pu être un écrivain de renom, il a choisi l’ombre.

Durant ses années londoniennes auprès d’Amnesty International, puis à Paris durant plus de vingt ans comme chef du service Moyen-Orient au Courrier international, il a incarné l’exigence moins la prétention. Ce n’est pas un hasard si le mot « international » revient en boucle dans son parcours : il était d’instinct un citoyen du monde. Il avait en horreur le chauvinisme, le fanatisme, la bêtise. Les trois réunis le rendaient grinçant, glacial.

Je lui ai connu des propos sans pitié, je ne lui ai jamais connu un coup bas, une vulgarité, une mesquinerie. Chaque fois qu’il a été question de réunir des sous pour une pétition, pour des blessés de guerre, pour des bourses d’étudiants… il était aussitôt là, anonymement de préférence. Il n’a cessé de soutenir L’Orient-Le Jour ces dernières années. Considérant ce quotidien comme le meilleur du monde arabe. « Le seul survivant », me disait-il – il en a publié de nombreux articles.

La tragédie du Liban et de la région l’ulcérait au plus haut point. Ce mal ne fut pas étranger, à mes yeux, à celui qui circulait dans ses veines. « Chère amie », m’écrivait-il, il y a cinq ans, jour pour jour, « je publie cette semaine dans Courrier des extraits de lettres que l’intellectuel syrien Yassine al-Hajj Saleh écrit à sa femme kidnappée depuis plus de trois ans. J’ai dû jongler avec toutes les contraintes pour prendre 5 % du contenu, et la peur au ventre de n’avoir pas assez rendu l’émotion et le désespoir de l’auteur ». Il était comme ça Akram : il avait une immense réserve de compassion pour ceux qu’il aimait, admirait, pour ceux qui souffraient ; très peu pour lui. « La leucémie est une crise de larmes », m’avait-il dit un jour.

Toujours prêt à s’éclipser, à s’effacer, Akram dissimulait le grand homme qu’il était. Sans succès : il suffisait de peu pour y avoir accès. Ceux qui ont eu la chance de l’avoir pour ami payent aujourd’hui le prix très élevé de son absence.


Comment dire à ceux qui ne l’ont pas connu quel être d’exception était Marc Saghié ? Pour moi qui l’ai rencontré au début des années 80, dans le cadre du Nahar à Paris, il est resté Akram. Non seulement parce que j’aimais son prénom arabe, mais parce qu’il le portait à merveille. Sa générosité et son intelligence battaient des records de discrétion et de finesse. C’en...