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Moyen-Orient - Éclairage

Accord sur le nucléaire : ce que change la victoire de Raïssi

Si l’arrivée d’un dur à la présidence iranienne pourrait, à première vue, rendre la suite des pourparlers plus difficile pour Washington et ses alliés européens, conservateurs et ultras pourraient cependant bénéficier d’une plus grande marge de manœuvre que leurs prédécesseurs dans ces discussions.

Accord sur le nucléaire : ce que change la victoire de Raïssi

Le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, porte un masque facial en raison de la pandémie de Covid-19, alors qu’il arrive pour voter le 18 juin 2021, le jour de l’élection présidentielle. Atta Kenare/AFP

Il s’agissait de faire vite. Depuis l’arrivée de l’administration Biden au pouvoir à Washington, en janvier 2021, les États-Unis et la République islamique ont été entraînés dans une course contre la montre pour faire revivre le deal qu’ils avaient signé en 2015 mais dont Donald Trump s’était retiré de manière unilatérale en 2018. La Maison-Blanche nourrissait ainsi l’espoir d’aboutir à un accord avant le probable avènement à la présidence d’un dur du régime, avec lequel les négociations seraient plus difficiles.

Quant à Hassan Rohani et son ministre des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, il s’agissait pour eux de laver l’affront qui leur avait été fait et de regagner – autant que faire se peut – cette crédibilité dont Washington les avait en partie dépouillés aux yeux de l’opinion publique. La politique de la pression maximale est ainsi venue asséner un coup quasi fatal à une économie déjà titubante. Mais la fenêtre d’opportunité paraissait d’emblée limitée dans le temps. Et la victoire de l’ultra conservateur Ebrahim Raïssi à la présidentielle iranienne semble, à première vue, confirmer à l’équipe américaine en charge des négociations – tout comme à leurs intermédiaires européens – la nécessité d’accélérer la cadence en vue d’atteindre un deal avant la prise de fonctions d’un dur à la tête du gouvernement iranien.

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Les premières déclarations prononcées hier par le gagnant donnent déjà le ton. Alors qu’un nouveau cycle de négociations s’est achevé dimanche dernier à Vienne sur une note positive, Ebrahim Raïssi s’est fendu d’un « non » sec et franc à la question posée par un média américain sur son intention de rencontrer Joe Biden si les pourparlers entre Washington et Téhéran frayaient véritablement la voie à un allègement des sanctions contre la République islamique. M. Raïssi a également affirmé sans détour qu’il ne laisserait pas les négociations se dérouler « pour le plaisir de négocier », ajoutant que « toute rencontre doit produire des résultats (...) pour la nation iranienne ». Un discours on ne peut plus clair qui aurait de quoi inquiéter les États-Unis et leurs partenaires européens. Sauf que ces fanfaronnades feraient presque oublier l’essentiel. Le calendrier de l’accord ne dépend pas du calendrier politique en interne, puisque côté américain comme iranien, une conviction est partagée : le deal est une nécessité. Qui plus est, les prérogatives présidentielles en Iran sont fortement restreintes, l’essentiel du pouvoir décisionnel relevant de l’autorité du guide suprême de la révolution, l’ayatollah Ali Khamenei, qui avait lui-même donné son aval à des discussions, auxquelles il avait toutefois fixé plusieurs conditions.

Plus musclées

Dans ces circonstances, la figure d’Ebrahim Raïssi ne change pas fondamentalement la donne, sans être anodine non plus. Car jusqu’ici, Washington pouvait juste se prévaloir d’un interlocuteur officiel par le biais du chef de la diplomatie iranienne Mohammad Javad Zarif. Mais celui-ci était doté d’une marge de manœuvre extrêmement limitée, le guide suprême étant peu enclin à lui donner suffisamment d’espace pour naviguer. L’arrivée d’une administration iranienne menée par un dur – très proche de Ali Khamenei et pressenti comme l’un de ses successeurs – pourrait conduire à des discussions beaucoup plus directes entre Washington et Téhéran. Moins étouffée dans ses démarches par l’État profond, ses relations diplomatiques avec l’administration Biden pourraient cependant être plus musclées. Conservateurs et ultras seraient ainsi encore plus réfractaires aux compromis et moins disposés à s’afficher avec les Occidentaux. Encore faut-il savoir qui sera nommé à la tête des négociations côté iranien. Choisir l’un des leurs permettrait de récolter les lauriers de la gloire si la conclusion d’un accord aboutit effectivement à l’allègement des sanctions. Choisir une figure plus « consensuelle » – à l’image d’un Mohammad Javad Zarif – leur permettrait de faire porter le chapeau d’un échec à d’autres.

Pour l’heure, les pourparlers semblent buter sur deux points principaux. Côté iranien, on exige un engagement écrit de la part de Washington selon lequel aucun gouvernement américain ultérieur ne pourrait torpiller l’accord final. Côté américain, on rétorque que l’administration actuelle ne peut pas engager l’action de ses successeurs. En outre, alors que M. Biden doit affronter les peurs et les critiques de ses alliés israélien et saoudien – soucieux que l’accord en gestation s’étende aux domaines du programme balistique et des supplétifs régionaux iraniens – il souhaite que Téhéran accepte, lui aussi, de s’engager par une déclaration écrite à retourner à la table des négociations une fois l’accord de 2015 remis sur pied.

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Or missiles et milices constituent une ligne rouge infranchissable pour la République islamique. M. Zarif répondait d’ailleurs clairement à ses interlocuteurs occidentaux qu’aucune de ces deux questions n’est de son ressort. Si les durs seraient moins enclins aux renoncements que les « modérés » sur certains points, toujours est-il que toute concession de leur part serait autrement plus significative puisqu’ils sont alignés sur la ligne officielle du régime qu’incarne le guide suprême. Le successeur de l’actuel chef de la diplomatie iranienne pourrait avoir les poings relativement moins liés pour agir. Certes, pas au Liban. Certes, ni en Irak ni en Syrie, qui revêtent un caractère quasi existentiel pour l’Iran. Mais éventuellement sur le dossier yéménite, autour duquel Riyad et Téhéran sont à couteaux tirés depuis l’intervention militaire de la coalition conduite par l’Arabie saoudite en mars 2015. Le nouveau locataire de la Maison-Blanche avait fait de la fin du conflit au Yémen l’un de ses objectifs en matière de politique étrangère et le sujet aurait été au cœur des pourparlers amorcés en avril dernier, à Bagdad, entre la République islamique et le royaume wahhabite, sous l’égide du Premier ministre irakien. Le gouvernement mené par Ebrahim Raïssi pourrait toutefois y réfléchir à deux fois avant de lâcher du lest. Conservateurs et ultras n’ont pas manqué une occasion pour remettre en cause l’ouverture de Hassan Rohani envers les Occidentaux. Pourraient-ils eux-mêmes se trouver dans la même situation si les discussions n’aboutissent pas ou si elles aboutissent sans que cela ne dope suffisamment l’économie du pays ?

Il s’agissait de faire vite. Depuis l’arrivée de l’administration Biden au pouvoir à Washington, en janvier 2021, les États-Unis et la République islamique ont été entraînés dans une course contre la montre pour faire revivre le deal qu’ils avaient signé en 2015 mais dont Donald Trump s’était retiré de manière unilatérale en 2018. La Maison-Blanche nourrissait ainsi...

commentaires (2)

"La politique de la pression maximale est ainsi venue asséner un coup quasi fatal à une économie déjà titubante.". Ce qui rend l'économie iranienne branlante, c'est la politique nucléaire ruineuse - et totalement inutile si le but n'est pas militaire.

Yves Prevost

07 h 27, le 22 juin 2021

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Commentaires (2)

  • "La politique de la pression maximale est ainsi venue asséner un coup quasi fatal à une économie déjà titubante.". Ce qui rend l'économie iranienne branlante, c'est la politique nucléaire ruineuse - et totalement inutile si le but n'est pas militaire.

    Yves Prevost

    07 h 27, le 22 juin 2021

  • Mais quand est il de la déclaration de Ahmadinejad?!

    Bery tus

    07 h 08, le 22 juin 2021

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