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La quadrature du cercle politico-confessionnel

La quadrature du cercle politico-confessionnel

D.R.

L’essai de Nawaf Salam s’ouvre sur une minutieuse description de la transformation multiséculaire, des « groupes religieux confessionnels » du Liban, cimentés par un ensemble de dogmes et de pratiques de culte, en « communautés ou corps politiques » et ce, avec un souci obsédant de la précision méticuleuse digne de Max Weber. La communauté politique demeure une réalité sociale vivant sur le territoire d’une cité (Polis) qui régule l’exercice du pouvoir coercitif. Ainsi, plutôt que de privilégier la « philia » aristotélicienne comme trait communautaire essentiel, Weber insiste sur le « maintien, par le recours à la force, de la domination ordonnée sur un territoire et sur les hommes ». Le premier chapitre de Salam intitulé « L’Emprise Communautaire » ne fait qu’illustrer cette conception wébérienne, enrichie par certains emprunts à Ibn Khaldoun et son « esprit de corps » (assabiya). Durant leur longue histoire, ces groupes religieux ou ces communautés de culte vont se différencier en s’individualisant en fonction des narcissismes des différences de pratiques ; puis se séculariser pour former aujourd’hui des corps achevés participant des attributs de la nation, au sens moderne. C’est cette transsubstantiation de l’identité religieuse cultuelle en une identité politique qui permet de comprendre la puissance d’absorption et de dilution de l’individu au sein d’un tel corps. Mais ce corps lui-même est doté d’une unique volonté de puissance qui s’exprime nécessairement à travers une seule voix, celle du chef ou de l’ethnarque, ce qui dilue et réduit toute la communauté à la personne du chef.

Dans la foulée de Maxime Rodinson, l’auteur fait remonter la genèse de ce processus à l’antiquité tardive. À partir du IVe siècle, les querelles dogmatiques au sein des sociétés chrétiennes ont entraîné l’émergence de ces « confessions » devenues aujourd’hui « tawaïfs » pseudo-nationales. Les Tanzimat ottomanes, grâce au rescrit impérial de 1856 (Khatti i-Shariff) accordèrent la personnalité morale de droit public à chacune des communautés non musulmanes. Ainsi, le millet (ou nation au sens pré-moderne) devient un corps politique au sein duquel le concept de citoyen est compris sur le registre ethno-religieux et non politico-civique.

La juxtaposition de dîn wa dawla (Religion et État) doit être recherchée avant le IVe siècle, au sein de l’Empire romain encore païen où le lien civique était de nature religieuse. Tel est l’enjeu du débat abordé par l’auteur. L’Édit de Dèce en 249 impose la « paix des dieux » et persécute les citoyens chrétiens, non pour impiété mais pour rébellion aux lois vu leur refus de sacrifier aux divinités de l’Urbs Romana. Du IIIe au VIe siècle, se déploie la longue histoire de l’homogénéisation de la société antique. Vers la pensée unique intitule Polymnia Athanassiadi son essai qui raconte cette histoire oubliée. Le confessionnalisme libanais est l’écho lointain de ces bouleversements qui ont vu le passage d’une société organisée à la mesure de l’Homme à une autre bâtie au nom de Dieu. L’Islam au VIIe siècle ne fera qu’imiter cette vision, au nom de Dieu et non de César. Sont des citoyens à part entière, les croyants fidèles qui sont astreints à l’impôt du sang pour défendre le douaire de l’Islam. Les « Gens du Livres » en sont exemptés mais s’acquittent en compensation, selon le régime de la dhimma, d’un impôt de capitation (jizya) qui protège leur personne physique ainsi que d’un impôt foncier (khârâj) qui leur garantit le droit à la propriété. Tel était le statut des « tributaires », ou « pérégrins », sous les Empires romain, byzantin et sassanide.

Comment dépasser le confessionnalisme au Liban ? Peut-on continuer à ignorer toute sécularisation du statut personnel au nom de la traditionnelle cohabitation, au sein du même espace public, d’un ordre juridique national et d’ordres juridiques communautaires dont doivent relever les citoyens malgré eux, en fonction de l’appartenance religieuse reçue à leur naissance ? Telle est la quadrature du cercle des Libanais qui, selon Nawaf Salam, sont des « citoyens empêchés dans un État inachevé ». Le dernier mutassarif du Mont-Liban, Ohanès Kouyoumdjian, les voyait comme un mélange de féodalité aryenne et de tribalisme sémitique.


L’essai de Nawaf Salam s’ouvre sur une minutieuse description de la transformation multiséculaire, des « groupes religieux confessionnels » du Liban, cimentés par un ensemble de dogmes et de pratiques de culte, en « communautés ou corps politiques » et ce, avec un souci obsédant de la précision méticuleuse digne de Max Weber. La communauté politique demeure une réalité...

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