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Voyage, exotisme et quête d’idéal

Pour Charles Baudelaire, le poète en proie au Spleen aspire à l'Idéal. Cette quête, qu'il exprime dans Les Fleurs du Mal à travers les poèmes de la section « Spleen et Idéal », comme « L’horloge », « Le goût du néant » ou « L’ennemi », se traduit par une invitation au voyage, un attrait pour l'exotisme et une attirance pour la femme et le vin...

Voyage, exotisme et quête d’idéal

D.R.

L'invitation au voyage

Chez Baudelaire prime la thématique de l’errance ; le poète chérit le voyage quelle que soit sa nature (voyage réel, voyage imaginaire ou quête d’individuation, c’est-à-dire un voyage au tréfonds de l’âme). Chez Baudelaire, voyage rime souvent avec révélation et clairvoyance. Dans son poème « La vie antérieure », le poète ressuscite le mythe du paradis perdu qui trouve ses racines dans l’Antiquité, notamment dans la philosophie socratique et dans le texte biblique de la Genèse. Les portiques nimbés de lumières que Baudelaire évoque dans ce poème et sous lesquels il aurait vécu se situeraient quelque part en dehors de son pays natal. Quant à la tribu nomade que chante le poète dans un sonnet titré « Bohémiens en voyage », elle ne serait que le reflet de son âme vagabonde. L’homme libre, dont parle Baudelaire dans l’un de ces vers compacts des Fleurs du Mal, « chérira » toujours la mer : cet homme ne serait que le poète lui-même, ce matelot manqué, à la vocation gâchée. Pour Baudelaire, le voyage serait un moyen de se surpasser et d’affranchir sa conscience en la tirant de sa torpeur et en la mettant au contact de nouveaux climats et de nouvelles sensations. Plus que l’itinéraire, c’est l’appel de l’Ailleurs qui attire l’esprit de l’auteur comme le pollen les abeilles. En fait, le poète adule cet ailleurs quel qu’il soit, espace ou femme.

La fascination du féminin

En effet, le poète a une préférence pour les femmes étrangères ou exotiques parce qu’elles symbolisent l’inhabituel et l’inconnu. « Parfum exotique » confirme l’attirance du poète pour l’exotisme qui y est célébré à travers un corps féminin fantasque et féérique. « À une dame créole » apporte la preuve que Baudelaire adore les femmes basanées, noires ou imprégnées du Soleil. Dans son incontournable « Invitation au voyage », le poète s’explique sur son amour de l’Ailleurs où « tout n’est qu’ordre et beauté, luxe calme et volupté » et où la femme prédomine. Il semble même que Baudelaire confonde le corps géographique avec le corps féminin comme si le deuxième était l’effet du premier.

À la vérité, Baudelaire semble obsédé par la femme qui occupe une très grande place dans Les Fleurs du Mal parce que le poète dépend d’elle ; de la femme vient la bénédiction ou la condamnation. Parce que poète maudit et instable, Baudelaire a besoin d’une compagne comme une drogue pour stimuler sa verve poétique. Aimant les femmes éperdument, il les sanctifie dans son poème « À celle qui est trop gaie », mais, sa dépendance aux femmes l’enchaîne au pouvoir du « beau sexe » qui ne le serait qu’en apparence puisqu’il procure un plaisir vénéneux et que, passées les premières heures d’extase, le poète se retrouve en manque.

Un rapport ambivalent aux femmes

Dès que le plaisir qui l’excite sexuellement et mentalement le quitte, Baudelaire se vide de sa substance et éprouve alors le poids du vide. Sans femmes et sans libido, tous les sens du poète se raidissent ; il se sent impuissant à tous les niveaux, y compris intellectuellement. Punitive est la libido baudelairienne qui empêche toute créativité en dehors d’elle. Justement, Baudelaire laisse sa misogynie s’exprimer dans certains de ces poèmes dans le but d’entreprendre un voyage aux confins d’une nouvelle dimension de l’être qui soit asexuelle. C’est cette quête d’un moi pur et sain qui aurait incité le poète au rejet de la féminité et à l’écriture de poèmes critiques sur les femmes. Les sentiments partagés de Baudelaire envers les femmes traduisent un déchirement entre une attirance pour elles et le désir de s’en débarrasser. Baudelaire n'hésite pas à utiliser dans Les Fleurs du Mal cette métaphore animalière : « Le serpent qui danse », afin de titrer un de ses poèmes : il rappelle par là l'image biblique qui accuse la femme de complicité avec le serpent maléfique. Serpentine, la femme l’est aussi dans un poème que Baudelaire baptise « Les métamorphoses du vampire » et où il écrit : « La femme cependant de sa bouche de fraise/ En se tordant comme un serpent sur la braise,/ Et pétrissant ses seins sur le fer de son busc,/ Laissait couler ces mots tout imprégnés de musc… ». Tour à tour déesse et diablesse, la femme chez Baudelaire « met l’univers entier dans sa ruelle » mais elle est surtout cette Ève pécheresse qui attire Adam dans ses filets. Baudelaire ne peut rien contre le charme envahissant des dames, ces dignes réincarnations des Sirènes homériques. De même, Baudelaire craint la perte de sa créativité, laquelle serait liée à une diminution de sa libido, pourtant principal moteur de son génie. Baudelaire déteste la femme autant qu’il la vénère car il la craint ou craint qu’il ne devienne indifférent au charme des femmes et que celles-ci n’allument plus en lui le feu de la poésie. La misogynie se ressent dans les poèmes suivants des Fleurs du Mal : « Sed non satiata », « Une nuit que j’étais près d’une affreuse juive », ou « Les deux bonnes sœurs » où les sœurs en question sont en fait deux filles du mal, à savoir la Débauche et la Mort. Avec un poème intitulé « Le vin de l’assassin », Baudelaire franchit une ligne rouge puisqu’il y relate fièrement un féminicide perpétré par un ivrogne contre son épouse. Seule compte toutefois la symbolique de ce féminicide puisque, n’étant pas un criminel, Baudelaire symbolise à travers ses vers son triomphe sur l’emprise de la femme, remplacée dorénavant par un nouvel allié, le vin.

Le vin salvateur

Dorénavant, aucune femme ne remplacera le vin dans le cœur du poète. De la sorte, cherchant une autre substance, stimulatrice d’intellect, Baudelaire la trouve dans le vin qui « produit des résultats fructifiants » sans qu’il n’ait besoin de femmes. Vers la fin de son recueil, Baudelaire consacre plusieurs poèmes à ce vin salvateur. Cette potion lui mettra du baume au cœur, sera sa muse et lui inspirera de beaux vers. Enfin, pour Baudelaire, le vin est plus précieux, plus fiable et plus fidèle que le corps féminin car ce dernier finira décomposé comme l’explique l’auteur des Fleurs du Mal dans « Une charogne ».

☛ Baudelaire aura donc été un voyageur insatiable qui a la soif de l’Ailleurs et qui, confronté à la claustration et à la grisaille, écrit un poème qui commence par le vers suivant : « Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle ». Cet amateur du grand air a quêté l’Ailleurs partout où il se trouve. Génie divin pour les uns, raclure pour les autres, Baudelaire est demeuré un poète incompris car l’acception mystique des Fleurs du Mal a été pendant longtemps inaccessible aux critiques. Quêteur de l’Ailleurs, il a essuyé des revers en se cherchant pour se retrouver. Peut-être, découvrant précocement la possibilité d’un voyage vers une nouvelle condition de l’être, Baudelaire s’est-il empressé de quitter la terre afin d’atteindre dans l’au-delà ce qu’il ne pouvait pas se permettre ici bas, à savoir l’état de béatitude.

L'invitation au voyageChez Baudelaire prime la thématique de l’errance ; le poète chérit le voyage quelle que soit sa nature (voyage réel, voyage imaginaire ou quête d’individuation, c’est-à-dire un voyage au tréfonds de l’âme). Chez Baudelaire, voyage rime souvent avec révélation et clairvoyance. Dans son poème « La vie antérieure », le poète ressuscite le mythe du...

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