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Culture - Disparition

Michel Harmouche, le goût du beau, éternellement...

L’architecte-décorateur qui a signé quelques-uns des plus beaux décors d’intérieur beyrouthins a succombé à la pandémie. L’élégance, l’intemporalité, un chaleureux éclectisme mêlé à un brin de fantaisie étaient les fils conducteurs de son travail.

Michel Harmouche, le goût du beau, éternellement...

Michel Harmouche posant, en 2017, devant l’une de ses toiles sur le thème de l’arbre. Photo d’archives Michel Sayegh/L’OLJ

Il restera aux yeux de ses compatriotes un maître du goût et du raffinement. Michel Harmouche, décédé dimanche des suites du Covid-19, a été l’un des premiers décorateurs libanais. « Le tout premier Libanais diplômé de l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris, en 1946 », se plaisait-il à rappeler.

Né à Mousseitbé en 1925, d’un père, Halim Harmouche, ingénieur civil et entrepreneur (qui avait été chargé de l’exécution de nombreux projets publics, dont le Musée national, le Parlement et la municipalité de Beyrouth), Michel Harmouche avait une conception de l’espace intérieur axée autour de l’architecture, de la couleur, de la luminosité et de la belle facture, réputée inégalable à Beyrouth.

Il avait entamé sa carrière au début des années 1950, imprimant, durant plus d’un demi-siècle, sa patte éclectique et d’une élégance intemporelle sur les plus beaux intérieurs du Liban et de la région. Signant également la décoration de grands hôtels et de demeures princières. Celui qui avait côtoyé l’architecte brésilien Oscar Niemeyer, le sculpteur César ou encore le peintre Georges Mathieu incarnait, aux yeux de la nouvelle génération d’architectes-décorateurs, l’époque fastueuse du pays du Cèdre, l’icône de la profession de l’âge d’or des années d’avant-guerre.

Demeures princières et grands chantiers

Ses clients ? L’épouse du roi Fayçal d’Arabie saoudite ; le roi Hussein de Jordanie qui le charge d’agrandir et de meubler le palais royal de Amman ; plusieurs princes du royaume ; l’ancien ministre d’État saoudien pour les Affaires étrangères Omar Saqqaf qui lui donne carte blanche pour construire et meubler son palais de 10 000 m² ; le Hilton International qui le choisit pour réaliser certains de ses hôtels à Londres, à Athènes et à Beyrouth ; l’hôtel al-Bustan dont il dessine « à la main » le décor dans les années soixante et dont il supervisera la rénovation après-guerre. Parmi ses autres grands projets internationaux, la trentaine de succursales de la BCCI (Bank of Credit and Commerce International), dont celles de Paris, Londres, New York et du Proche-Orient. Ou encore la flotte de Boeing de la Kuwait Airways dont il dessine les sièges…

Architecte, esthète, collectionneur et peintre

Avec son épouse (décédée il y a quelques mois) Jacqueline Dubie, rencontrée lors de ses études en France et mère de ses deux enfants Halim et Martine, il partageait la passion de l’art. Ainsi que l’exigence du beau et de la qualité qui les mènera à ouvrir la boutique Perspectives, pour offrir « une gamme soigneusement sélectionnée d’éclairages, de mobilier, de tissus et d’objets de design », puis un magasin d’antiquités Rétrospectives. En 1975, lorsque la guerre éclate au Liban, la famille s’installe à Paris, où Michel Harmouche, tout en poursuivant ses nombreux chantiers aussi bien en Europe qu’au Moyen-Orient, court les antiquaires, les galeristes, les musées... De retour à Beyrouth, dans les années 1990, il signera encore pendant une dizaine d’années quelques très belles réalisations, avant de se décider à prendre une retraite bien méritée.

« Une période bienheureuse » pour cet esthète dans l’âme qui était revenu vers sa passion première : la peinture. Avec une palette à l’harmonie parfaitement maîtrisée, il avait commencé par peindre, il y a une vingtaine d’années, tout ce qui composait jusque-là son univers : la matière, le tissu, les motifs décoratifs... Avant de libérer son pinceau en le dédiant à la représentation paysagère. Cet amour de la nature – que beaucoup ne lui soupçonnaient pas – a ainsi généré au cours de ces dernières années une multitude de grandes huiles sur toile sur le thème récurrent de l’arbre. « Tout ce qui a trait à la terre me touche. Et tout ce qui est artificiel m’ennuie profondément », affirmait-il à L’OLJ, en octobre 2017, pour justifier cette obsessionnelle thématique. Il présentait alors, à 93 ans, à l’instigation de sa galeriste Dala Bahaderian, sa dernière cuvée de peintures. En plein cœur de Beyrouth, dans un trio d’immeubles en construction (3 Beirut), un espace ouvert en parfaite adéquation avec son large geste pictural et son irrépressible besoin d’amplitude, lui qui « détestait, disait-il, les petites toiles autant que les petits espaces ».

Michel Harmouche s’était reconverti ces vingt dernières années en peintre... heureux. Photo d’archives Michel Sayegh/L’OLJ

« Si vous savez regarder… » disait-il

Même à un âge avancé, Michel Harmouche dégageait une vitalité sereine, cet apaisement de celui qui avait trouvé son chemin. « Dieu merci, j’ai toujours fait ce que j’avais envie de faire », nous avait-il confié lors de cette dernière exposition. Ajoutant aussitôt : « En fait, la vie vous mène toujours là où vous devez arriver... Si vous savez regarder. »

Michel Harmouche savait regarder, indéniablement. D’un coup d’œil, il jaugeait le potentiel d’une pièce, d’un objet, d’une œuvre. Il avait l’œil d’un architecte, d’un esthète et d’un collectionneur curieux et enthousiaste. En témoigne, s’il le fallait, son cadre de vie. Cet immense appartement surplombant la villa Audi regorgeant de tableaux du XVIIIe, de statues helléniques, de panneaux italianisants, de peintures modernes et contemporaines russes, espagnoles, libanaises, d’eaux-fortes de Raoul Dufy ou encore d’Henri Matisse, de sculptures signées aussi bien May Richani que François-Xavier Lalanne, dont certaines spécialement réalisées pour lui par le célébrissime sculpteur français. Un lieu à l’image de ce brillant architecte d’intérieur qui « abhorrait les décors aseptisés » et cultivait, en toute chose, un raffinement vivant et chaleureux.

Il restera aux yeux de ses compatriotes un maître du goût et du raffinement. Michel Harmouche, décédé dimanche des suites du Covid-19, a été l’un des premiers décorateurs libanais. « Le tout premier Libanais diplômé de l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris, en 1946 », se plaisait-il à rappeler. Né à Mousseitbé en 1925, d’un père, Halim...

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